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Entre déchets et espoirs

Entre déchets et espoirs

Le Guatemala tente d’améliorer la gestion des déchets, ce qui se révèle assez compliqué. Le village de San Pedro La Laguna a par exemple tenté d’interdire les sacs en plastique, avant de revenir en arrière.

Lise-Marie Piller/La Liberté

Au marché de San Pedro La Laguna beaucoup d’habitants avaient remplacé les sacs plastiques, durant leur interdiction, par des feuilles de maxan. Photo Lise-Marie PIller

Une bouteille en plastique vide jaillit de la fenêtre d’une jeep. L’objet s’échoue sur la plate-bande. Ce geste est banal au Guatemala, où les déchets finissent majoritairement dans de gigantesques déchetteries à ciel ouvert ou sont jetés dans la nature.

Pourtant, certains essaient de lutter contre ce phénomène, à commencer par Mauricio Mendez, «syndic» de San Pedro La Laguna, sur les rives du lac Atitlán. Ce village compte environ 12 000 habitants, selon les projections de l’Institut national de la statistique.

Promouvoir le tourisme

En 2016, l’élu a décidé d’interdire les sacs en plastique à usage unique et les pailles, entre autres, via un accord municipal. «Beaucoup de plastique finissait dans le lac, ce qui donnait une mauvaise image pour le tourisme. A l’époque, on m’appelait «le fou», mais nous n’avons qu’une planète», raconte celui dont la municipalité a reçu en 2017 la médaille présidentielle de l’environnement. Il assure que ce n’était pas pour obtenir des votes pour son élection. Peu à peu, grâce à un travail de sensibilisation auprès des habitants, des Eglises ou des écoles, la mayonnaise a pris. Ceci malgré un recours juridique des puissantes Chambre de l’industrie et Agexport, association d’exportateurs qui promeuvent la croissance des exportations au Guatemala. Mais les autorités du village ont gagné et 80% des habitants respectaient l’interdiction, selon le syndic.

Il faut aussi dire que des amendes sont fixées: 300 quetzals (38 francs suisses) pour une personne individuelle et pour les distributeurs 15 000 quetzals (environ 1900 francs). L’élu n’a cependant pas de statistiques concernant le nombre de sanctions infligées par année, mais assure qu’il y en a eu peu. Il dit déjà constater des effets de cette interdiction: il n’y aurait par exemple plus eu besoin de faire appel à des cliniques ambulantes car la santé des habitants se serait améliorée. L’idée a aussi inspiré sept autres communes, selon l’élu.

Plastique, le retour

Hélas, force est de constater que cette belle aventure a été stoppée net par le Covid-19. Les autorités locales ont rendu la mesure plus flexible, pour des questions de santé publique, et aujourd’hui les sacs en plastique sont partout. Il n’y a qu’à aller au marché pour le constater: «Si je ne donne pas de sac, je ne vends pas, et les gens s’énervent, même si je leur dit parfois de venir avec leur propre contenant», explique Miguel Angel Mendez, qui propose des grains de maïs. Lui-même préférait la période de 2016, car il faisait des économies grâce à l’interdiction, n’ayant pas à acheter des sacs à fournir.

Les ventes ont fortement diminué chez cet homme vendant des feuilles de maxan (semblables à celles des bananiers), substituts des sacs en plastique au début de l’interdiction: «Avant, j’en prenais 100 avec moi. Maintenant, c’est plutôt 60.» Parmi les clients, Vicenta Chabajay, 61 ans, continue à utiliser les feuille. Une manière d’agir pour l’environnement. La Guatémaltèque déplore que tant d’autres ne fassent pas comme elle, alors qu’elle essaie parfois d’inciter ses connaissances à l’imiter. Elle affirme que les gens ont plutôt rechigné en 2016, lors de l’interdiction.

Dans le lac, la lutte contre le plastique fait aussi rage. Selon Manuel Bazin, gardien d’une école d’espagnol qui possède une petite plage, chacun nettoie son secteur. Lui-même encourage ainsi le tourisme et ramasse chaque jour environ deux tonnes d’algues et remplit 10 gros sacs avec du plastique et d’autres déchets. Il y aurait aussi un groupe d’une quinzaine de femmes du village, soutenues par la municipalité, selon Mauricio Mendez.

Manuel Bazin à San Pedro La Laguna ramasse chaque jours des déchets et des algues sur les rives du lac Atitlán. Photo Lise-Marie Piller

Pêcheurs volontaires

Une trentaine de pêcheurs ont constitué leur propre groupe: «Nous nettoyons le lac environ une fois par mois. Nous faisons une annonce aux habitants pour qu’ils nous aident», explique José Maria Gonzales Yojcom, pêcheur âgé de 66 ans, qui affirme qu’il y a très peu de poissons depuis deux à trois ans. La récolte moyenne: 25 à 30 gros sacs remplis de plastique, probablement amenés par le courant en provenance d’autres villages, selon lui. Hélas, il y a peu de volontaires. L’argent pourrait aider, mais les autorités de la localité refusent d’en donner. Le syndic confirme cette information, précisant que la raison est liée à la fiscalité. Il indique que de la nourriture est néanmoins offerte aux bénévoles. Un touriste soutient aussi financièrement l’action des pêcheurs, selon José Maria Gonzales Yojcom. A noter qu’un accord gouvernemental a été adopté en 2019 pour interdire notamment l’usage des sacs en plastique, des pailles, des plats et verres en plastique jetables. Mais ce texte a été annulé lors du gouvernement suivant, comme l’explique Fredy Chiroy, vice-ministre des Ressources naturelles et du changement climatique. «Ce texte limitait la production de plastique au niveau national mais n’empêchait pas l’importation et ne donnait une solution qu’à ce thème. Et comme le pays est très agricole, la plupart des déchets sont organiques, seuls 9% sont du plastique.» En attendant, la bouteille gît toujours au milieu des brins d’herbe, vers San Pedro La Laguna.



Un droit chemin semé d’embûches

Le Gouvernement guatémaltèque veut améliorer la gestion des déchets, en incitant le tri et en créant de nouvelles déchetteries.

Pour la gestion des déchets, le Guatemala est à des années-lumière de la Suisse, comme le reconnaît Fredy Chiroy, vice-ministre des Ressources naturelles et du changement climatique. Ceci, alors que chaque habitant génère quotidiennement entre 0,5 kg et 1,51 kg de déchets ménagers, selon les estimations, et que le gouvernement aurait fermé 1400 décharges illégales en 2021 (le pays en comptant 28 légales). Le problème va au-delà des frontières: les ordures charriées par le fleuve Motagua se retrouvent au Honduras, mais le gouvernement a empoigné ce dossier, assure le vice-ministre.

Des efforts sont faits: «En août 2021, nous avons publié un règlement pour la gestion des déchets, qui définit comment les récolter, les recycler ou les réutiliser. Les conditions concernant les travailleurs y sont aussi stipulées. Nous sommes dans la phase d’application. Actuellement, les gens doivent séparer les déchets organiques du reste des ordures. Dès 2024, ce sera le papier, le carton et le verre.» Pour inciter la population à respecter le règlement, le vice-ministre voit d’un bon œil le principe du pollueur-payeur.

L’élu évoque aussi la création de déchetteries où l’absence de contamination serait garantie grâce à l’établissement d’un règlement. Le hic, c’est que la population n’a pas envie d’un tel lieu à proximité. Le vice-ministre estime toutefois que le fait de pouvoir rentabiliser les très nombreux déchets organiques en les valorisant et en les revendant aiderait les projets à se concrétiser.

Il faut aussi trouver de l’argent car l’idéal serait d’avoir au moins seize déchetteries en tout dans le pays. Chacune coûterait environ 300 millions de quetzals (33,8 millions de francs suisses). «Les zones les plus pauvres ne pourraient pas payer pour ce système de gestion des déchets, c’est pour ça qu’une aide extraordinaire de la part du gouvernement pourrait être envisagée.» Même si des élections auront lieu l’année prochaine, le vice-ministre ne pense pas que ces idées seront enterrées par les futures autorités ou mises en danger par la corruption, omniprésente dans le pays: «Il a fallu 7 ans pour élaborer ce règlement, mais il a été finalisé. Je pense qu’il existe une volonté politique car il y a une demande des habitants.» Reste qu’entre la théorie et la pratique, il y a un décalage. Rien qu’à l’heure actuelle, beaucoup de monde ne respecte toujours pas la séparation des déchets organiques et ménagers.



Une déchetterie pour sauver le lac Amatitlán

Afin d’éviter qu’un lac ne se transforme définitivement en poubelle géante, une déchetterie a été construite à proximité.

Si le village de San Pedro La Laguna a interdit les sacs en plastique, la situation diffère dans le reste du pays. Les incinérateurs sont très rares et appartiennent à des sociétés privées. Dans les déchetteries à ciel ouvert, la tactique est d’enterrer les déchets sous des couches de terre. L’exemple à la déchetterie gérée par la société AMSA (Autoridad para el manejo sustentable de la cuenca del lago de Amatitlán). L’endroit, situé à proximité de la capitale, reçoit les déchets de 32 communes de tout le pays, ce qui correspond à 550 000 tonnes d’ordures par année, dont plus de la moitié est organique. Le directeur Edgar Zamora indique qu’aucune étude n’a été faite sur le site avant l’implantation de la déchetterie. «Au Guatemala, l’air, la terre et l’eau sont contaminés par les déchets. Continuer à enterrer des ordures, ce n’est pas de l’économie circulaire. Nous devrions davantage recycler», reconnaît-il.

A la déchetterie gérée par AMSA, environ 120 personnes, que nous n’avons pas pu interviewer, récupèrent quotidiennement ce qu’elles peuvent pour le revendre et gagnent ainsi leur vie. «Ces personnes peuvent manger un pain qui a été jeté sans tomber malades. Elles sont très résistantes», assure le directeur, qui précise qu’un bâtiment où les déchets étaient classifiés en amont a disparu sous la pression d’un nouveau gouvernement. «Ce lieu avait permis d’offrir de bonnes conditions de travail avec une sécurité sociale, des gants.» Si en théorie les déchets dangereux tels que des radiographies, des métaux lourds ou des seringues sont interdits, il n’y a pas de fouille des poubelles: «Nous comptons sur le fait que chacun joue le jeu.» Le directeur assure que les déchets en provenance des hôpitaux sont traités pour ne plus être dangereux.

Mais l’avenir s’annonce différent. Le site, bientôt plein, ne pourra plus recevoir d’ordures à enterrer. L’idée serait de recréer un lieu dans lequel classifier manuellement les ordures, afin de recycler ou de réutiliser ce qui peut l’être. La structure serait autosuffisante grâce à la vente de déchets tels que le compost. Le directeur assure que le projet deviendra réalité, car il compte le concrétiser avant les élections de l’année prochaine. Il imagine aussi la création de biogaz et, à long terme, la mise en place d’un incinérateur afin de générer de l’énergie, mais il reste à trouver l’argent.

Fait insolite, à l’origine la déchetterie avait été imaginée pour sauver le lac Amatitlán, à proximité, pour empêcher que les déchets ne finissent dans l’eau. AMSA a aussi conçu une barrière de 1500 mètres placée à l’embouchure pour retenir les ordures, ensuite ramassées à la pelle mécanique. Ce qui correspond à 45 000 m3 d’ordures récoltés annuellement. Si ce système semble efficace, nous avons quand même vu un chien mort flotter sur le lac. Et les déchets liquides, telle l’urine, ne sont pas retenus, au plus grand bonheur d’une espèce d’algue qui prolifère et menace de porter le coup fatal au lac. LMP



«Trouver un substitut»

La société Agexport, dans laquelle travaille Mellany Díaz, promeut entre autres l’exportation de plastique.

Photo Lise-Marie Piller

Votre société a recouru contre l’interdiction des sacs en plastique à San Pedro La Laguna, pourquoi?

Mellany Díaz: Il faut savoir que la cause climatique peut amener des votes lors d’élections. D’autre part, certains contenants alternatifs ne pouvaient pas être recyclés, étaient plus coûteux et moins hygiéniques. De plus, l’interdiction ne fonctionne plus.

Comment justifiez-vous le fait d’encourager l’usage du plastique en 2022?

Chacun doit se faire son propre avis. Mais si nous renonçons au plastique, nous retournerions à l’époque des hommes des cavernes. De plus, le plastique est partout: dans les rideaux de douche, les téléphones portables, les bouteilles de shampoing, etc. Selon moi, il faudrait trouver un substitut parfait. Actuellement, nous encourageons le recyclage.

Reste que le plastique peut avoir de graves conséquences sur l’environnement

Nous sommes conscients des problématiques telles que celle du microplastique dans l’eau, mais il faudrait pouvoir faire des études afin de connaître tout ce qui affecte les poissons.

Combien d’emplois sont liés à la production de plastique?

Au Guatemala, nous dénombrons 10 000 emplois directs et 20 000 emplois indirects, par exemple de distributeurs. Cela représente 2,2% du PIB national.


COMMENTAIRE

Tout le monde doit tirer à la même corde, ce qui n’est pas gagné

La gestion des déchets est un défi pour le Guatemala, qui continue à accumuler des tonnes d’ordures dans des déchetteries à ciel ouvert. Des initiatives pourraient contribuer à améliorer la situation, comme l’interdiction de sacs en plastique à usage unique à San Pedro La Laguna en 2016, avant que les choses ne reviennent en arrière pour des raisons d’hygiène et de santé à cause de la pandémie de Covid-19.

San Pedro La Laguna est néanmoins devenue une référence pour tout le pays. Des initiatives similaires devraient être promues au niveau interinstitutionnel afin que le Ministère de l’environnement, les communes et les collectivités soient impliqués. Il y a bien un accord gouvernemental, sur lequel s’appuie un règlement sur la gestion des déchets afin d’éviter la contamination de l’environnement via la collecte, le transfert et le tri des ordures. Mais ce texte est encore lettre morte, de mon point de vue.
Actuellement, la gestion des déchets reste pratiquement la même, c’est-à-dire que les ordures continuent à arriver dans les décharges et à s’accumuler, sans autre contrôle.

Et s’il existe des idées pour mieux gérer les déchets, les projets lancés dans les dernières années d’exercice d’un président du Guatemala et de son cabinet restent presque toujours inachevés.
Les fonctionnaires qui occupent des fonctions publiques peuvent en effet démissionner pour continuer en politique ou être remplacés lorsqu’une nouvelle administration arrive.

Personnellement, je suis très préoccupée par le fait que la gestion des déchets n’attire l’attention que lorsque des situations compliquées se produisent dans les déchetteries, comme des glissements de terrain en hiver et des incendies en été. Entre 2008 et 2016, au moins 8 personnes qui travaillaient dans une immense décharge se trouvant dans la capitale sont mortes, ensevelies sous des tonnes de terre. Ce n’est qu’à ce moment-là que les problèmes sont évoqués, avant que tout redevienne pareil.

Il est important de souligner que la volonté politique, l’absence de corruption dans les investissements et l’implication ainsi que la demande de la population pourraient contribuer à beaucoup changer la situation actuelle. Sinon, nous continuerons à avoir ce problème de gestion des déchets, qui aura des graves conséquences pour l’environnement, notre vie et notre santé.

Mariela Castañon

Commentaire écrit par Mariela Castañon, journaliste guatémaltèque et coéquipière de Lise-Marie Piller dans le programme En Quête d’Ailleurs. Traduction par Lise-Marie Piller.

Article paru dans La Liberté:

Lise-Marie Piller

Lise-Marie Piller est journaliste à La Liberté depuis 2015. Au sein de la rubrique régionale, elle écrit sur tous types de thèmes, avec une prédilection pour la culture, la nature et l’écologie. Si ses articles sont axés sur le canton de Fribourg, elle réalise aussi un reportage en Haïti en 2017 sur le travail de la Croix-Rouge suisse. La Fribourgeoise de 31 ans obtient son diplôme du Centre de formation au journalisme et aux médias à Lausanne en 2017. Avant cela, elle a effectué un bachelor puis un master en Lettres à l’Université de Fribourg.

Mariela Castañón

Mariela Castañón, a Guatemalan journalist, obtained a bachelor’s degree in mass communication from the University Mariano Galvez of Guatemala. During the last 13 years, she has been working as a journalist covering events related to children, youth, women, crime, and violence. She has been recognized for her work and has received various awards. In 2019 she was nominated for the Outstanding Investigative Reporting Fetisov Journalism Award. In 2017 she won the Journalist of the Year award and received recognition for her humanitarian-focused coverage of dramatic events and better daily coverage. Currently, she is a professor of Communication Deontology at the University Rafael Landívar.

Lise-Marie Piller

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