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Ils cultivent des champs sur l’eau

Ils cultivent des champs sur l’eau

UN REPORTAGE AU BANGLADESH DE ANNE REY-MERMET (LA LIBERTÉ)

Les terres du Bangladesh, pays essentiellement agricole, sont régulièrement noyées par les inondations. Les paysans ont trouvé une parade: faire flotter les cultures. Une solution ingénieuse mais pas miracle

Des rangées de petites plantes s’épanouissent sous le ciel plombé par l’orage à venir. Sous ces jeunes pousses, pas de terre ferme, mais de l’eau.On appelle ces cultures des fermes flottantes, car les longues bandes qui accueillent les végétaux flottent littéralement à la surface.

Quand, du ciel, on regarde le Bangladesh, on se demande si ce sont les rivières qui sillonnent la terre ou les morceaux de terres qui survivent entre les innombrables étendues d’eau. Face à cette mainmise aquatique, les agriculteurs locaux ont trouvé une parade qui leur permet de cultiver différentes sortes de fruits et légumes sur ces terres submergées. Et de ne pas tout perdre quand l’eau monte.

Cette méthode est utilisée depuis plus de 150 ans, mais elle se développe de plus en plus, car elle est une bonne parade aux inondations devenues plus fréquentes et plus imprévisibles. Cette technique ingénieuse témoigne aussi de la faculté des Bangladais à s’adapter aux effets du réchauffement climatique.

Avec sa situation géographique et sa topographie, le Bangladesh est particulièrement vulnérable (lire en page 3). Dans ce pays-delta, les cultures ne sont pas les seules à flotter: des bateaux font notamment office d’écoles ou d’hôpitaux. Cela permet de diminuer l’impact des crues et des inondations sur le quotidien des habitants, dont la majorité vit de l’agriculture. D’autres solutions existent pour pallier les problèmes entraînés par les changements climatiques, comme des variétés de plantes résistantes à la salinité.

Technique ancienne
«Cela fait des années que nous utilisons cette méthode de cultures flottantes ici, explique Rowshan Ara. Mais elle se développe beaucoup dans la région car nos voisins ont vu que cela fonctionnait bien.» Cette femme, qui loue des terrains aux agriculteurs, estime que dans la région le nombre de «lits» flottants est passé d’une quinzaine dans les années 2000, à 500 aujourd’hui.

Dès le mois de juin, les paysans bangladais façonnent de longues bandes à partir de jacinthes d’eau enchevêtrées pour servir de lit aux jeunes pousses. Une deuxième couche, au-dessus, est constituée d’une autre sorte de plante aquatique, le pistia. Ses feuilles pourrissent, offrant ainsi un engrais aux plants. Elaborés hors de l’eau, ces lits flottent ensuite, maintenus au sol grâce à une longue perche. Car, bien qu’immergées, les terres sont louées aux agriculteurs et chacun paie pour son petit lopin. Pas question que les bandes d’algues dérivent sur le terrain du voisin.

Quand l’eau monte, ce qui se produit quotidiennement avec les marées, les cultures flottantes montent avec elle. Sans cette méthode, les agriculteurs locaux seraient privés de revenus durant plusieurs mois, alors qu’ils vivent déjà dans une relative pauvreté et que cette activité est souvent leur seule ressource.

Sur les bandes d’algues densément emmêlées, les agriculteurs alignent des rangées de petites boules qui contiennent elles-mêmes les graines. On y cultive notamment des courges, des papayes, des aubergines et des haricots.

Les pieds dans l’eau
Cette technique donne du travail à de nombreuses personnes. Non loin des plantations, une femme fabrique prestement les petites boules qui accueilleront les graines. Elle reçoit 80 takas, soit 90 centimes, pour 1000 boules et peut en façonner 2000 en une demi-journée (le salaire moyen au Bangladesh est d’une centaine de francs). Les fermes flottantes existent de juin à octobre-novembre. L’autre moitié de l’année, les agriculteurs cultivent du riz sur les mêmes terrains, plus ou moins asséchés. Les lits d’algues enchevêtrées se transforment alors en engrais pour les rizières.

Pour travailler à leurs cultures, les agriculteurs ont soit les pieds dans l’eau, soit ils utilisent de frêles embarcations pour se glisser entre les rangs de jeunes pousses. A ce moment-là de la journée, l’eau leur arrive à la taille. Si cette technique est pratique, elle ne constitue pas pour autant une solution miracle face aux problèmes causés par les effets du réchauffement climatique.

Les plantes n’arriveront pas à maturation sur leurs bandes flottantes. «Cela serait trop compliqué, il faudrait des infrastructures plus élaborées et donc plus coûteuses. Nos acheteurs, des grossistes, veulent des jeunes plants, donc cela convient à tout le monde», indique Kanchan Howlader, qui exploite une de ces fermes.

Les végétaux sont arrosés deux fois par jour avec l’eau sur laquelle ils flottent. Les agriculteurs concèdent qu’ils ont tout de même besoin occasionnellement d’un peu d’engrais et qu’ils ont parfois recours aux fongicides quand il pleut beaucoup, pour que tout ne pourrisse pas.

La culture sur les fermes flottantes rapporte davantage que celle du riz, mais les agriculteurs ont besoin de prêts d’organisations non gouvernementales (ONG) pour pouvoir acheter les algues nécessaires à la fabrication des lits. «Une fois les prêts et les intérêts remboursés, il ne reste pas grand-chose», souffle Kanchan Howlader. Alors que le ciel se fait de plus en plus menaçant, les paysans se dépêchent d’aller couvrir les toutes jeunes pousses, qui ne résisteraient pas à l’orage.

Anne Rey-Mermet

Je travaille pour la rubrique régionale de La Liberté depuis le printemps 2015. Avant cela, j’ai commencé par affûter mes crayons et mes questions dans le Chablais et la Riviera vaudoise, avant de découvrir la Broye au gré de différentes affectations dans les bureaux régionaux de 24heures. Ecrire pour une rubrique locale permet de passer du temps sur le terrain, à la rencontre des gens, un aspect de mon travail que j’apprécie énormément. C’est aussi au sein de la rédaction du quotidien vaudois que j’ai effectué mon stage RP, dans la rubrique web. L’occasion d’apprendre à maîtriser les outils numériques et de m’essayer à la vidéo.

Sarker Nazmus Saqib

Saquib Sarker collabore au quotidien en anglais Dhaka Tribune depuis février 2015. Il a commencé par être reporter puis a occupé différents postes rédactionnels pour être rédacteur adjoint du supplément hebdomadaire The Weekend Tribune depuis février 2018. Il est aussi consultant éditorial du mensuel financier en anglais Fintech. Il a suivi une formation en droit à Dhaka.

Anne Rey-Mermet

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