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La face cachée des drones humanitaires

La face cachée des drones humanitaires

Un reportage EQDA

Des drones autonomes desserviront les régions reculées du Rwanda. Derrière ces projets de développement, de grandes multinationales préparent l’avenir.

Un petit carton rembourré tombe en parachute dans le ciel de Muhanga, à l’ouest de Kigali, au Rwanda. Il contient des médicaments, des vaccins mais surtout des poches de sang stockées dans des conditions optimales. Il vient d’être lâché à quelques pas du centre de santé par un petit avion sans pilote. La démonstration fait son effet. Le Rwanda est devenu cet été le premier pays au monde à se doter d’un réseau de drones autonomes capables de livrer du matériel médical dans ses zones reculées.

Sur le terrain, ces nouvelles capacités devraient révolutionner les pratiques. «Chaque année nous avons des milliers de femmes qui meurent en couche faute d’avoir pu être transfusées. Des morts évitables qui feront partie du passé si le projet est couronné de succès», s’enthousiasme Malik Kayumba, porte-parole du Centre biomédical rwandais. Le communicant rappelle toutefois que pour l’heure seules les poches de sang peuvent livrées, mais qu’une fois la logistique mise en place des traitements pour le VIH, la tuberculose ou la malaria seront distribué par les petits avions.

Marketing humanitaire

Pour l’heure il ne s’agit que de la phase pilote, menée dans l’ouest du pays, mais à terme le projet prévoit de livrer 21 centres médicaux reculés et de réaliser jusqu’à 150 livraisons par jour. Pesant une dizaine de kilos, les 15 drones sont capables d’embarquer chacun 1,3 kilo de médicaments. Sans pilote, ils sont guidés par GPS et le réseau cellulaire du pays. Volant à plus de 100 km/h, ces véhicules électriques ont une autonomie de 120 kilomètres et pourront desservir les hôpitaux en moins de trente minutes après qu’un médecin ou un infirmier a commandé son matériel par… sms.

Le concept, imaginé en Suisse, à l’EPFL, a été repris par Zipline, une firme américaine de la Silicon Valley. Derrière cette petite start-up se cachent de grands noms comme Google ventures, Paul Allen, cofondateur de Microsoft, Jerry Yang, cofondateur de Yahoo, ou encore le géant de la livraison UPS. Des blazes ronflants pour rappeler qu’en filigrane se joue en Afrique une guerre économique dans un secteur – celui de la livraison automatisée, pas l’humanitaire – qui pourrait potentiellement peser des milliards.

Comme la plupart des pays développés ont mis en place des législations trop strictes pour pouvoir expérimenter à grande échelle ces systèmes de livraison, il fallait trouver des alternatives. Avec ses lois très souples et un environnement favorable à l’arrivée de nouvelles technologies, le Rwanda est devenu le laboratoire à drones pour ces grands groupes.

Possibles dérives

Mais il n’est pas seul. Le Malawi teste en ce moment des quadricoptères pour acheminer des tests VIH pour les nourrissons dans les régions reculées. Là encore, de grandes multinationales se cachent derrière le projet humanitaire – les drones ont été conçus par Google –, même si l’Unicef est impliquée.

D’ailleurs, au Rwanda, l’humanitaire devrait rapidement être accompagné d’activités plus lucratives une fois le droneport construit à Muhanga. En plus de la ligne «rouge» d’acheminement de matériel médical, une ligne «bleue» à but commercial, (vente d’habits, pièces détachées etc..) va être lancée. Si le succès est au rendez-vous, trois autres droneports devraient voir le jour d’ici à 2020, et à terme une quarantaine.

Dérives sécuritaires

Malgré l’enthousiasme du gouvernement et des investisseurs étrangers, l’idée de voir des drones quadriller l’ensemble du territoire ne réjouit pas tout le monde. Sous couvert d’anonymat, journalistes et militants d’associations s’inquiètent de possibles dérives sécuritaires, notamment en matière de surveillance.

«Nous connaissons tous le désir de contrôle de notre président, Paul Kagamé. Une caméra est vite installée sur un drone. Pour faire plaisir aux compagnies qui financent le projet, nous avons littéralement renoncé à toute forme de législation sur ces engins. Cela pose des questions de libertés fondamentales», s’indigne l’un d’eux. Les autres pointent du doigt les possibilités d’armer ces mini avions. «L’inventivité des dictateurs africains pour transformer des engins inoffensifs en armes de guerre n’est plus à prouver.»

Mohamed Musadak

Journaliste «d’ici et d’ailleurs», Mohamed Musadak est né en Somalie et s’est naturellement passionné pour l’histoire du continent noir. Après des études de relations internationales et divers emplois dans la Genève internationale, notamment la Croix-Rouge, Mohamed a décidé de tenter l’aventure journalistique. A RTSinfo d’abord en 2013, puis Le Courrier, où il reprend la rubrique neuchâteloise.

Bryan Kimeyini

Mohamed Musadak

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