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La parité imparfaite du Sénégal

La parité imparfaite du Sénégal

UN REPORTAGE AU SENEGAL DE JEREMY RICO

Le Sénégal dispose de l’un des parlements les plus féminins du monde. Mais derrière la statistique flatteuse, la parité est encore loin d’être acquise à tous les échelons politiques

«Pour beaucoup de femmes, obtenir une loi parité tenait de la chimère, de la folie. Mais c’était une conviction!» Installée à la table de son jardin verdoyant situé dans un quartier plutôt aisé de Dakar, Amsatou Sow Sidibé affiche encore aujourd’hui la fierté de celle qui avait un coup d’avance. Face au thé que l’un de ses employés de maison vient de servir, elle rembobine. A l’époque, en 2010, la professeure de droit à l’Université de Dakar était l’un des fers de lance du combat qui a conduit à l’adoption de la loi parité. Ardemment désirée par une coalition de femmes politiques et intellectuelles de l’époque, cette loi fixe la parité absolue sur toutes les listes de candidats à l’Assemblée nationale, aux parlements départementaux, municipaux ainsi qu’à leurs bureaux. Exigence supplémentaire: les listes doivent y être ordonnées selon une stricte alternance entre hommes et femmes.

Résultat: alors que les députées occupaient moins de 20% des sièges à l’Assemblée nationale avant la loi, elles constituent aujourd’hui 41,8% de l’hémicycle. Le Sénégal se place ainsi au 15e rang mondial des pays dans lesquels les femmes sont le mieux représentées au parlement. Juste devant la Norvège et la France, et loin devant la Suisse, 38e avec 32,5% de femmes au Conseil national et 15,2% au Conseil des Etats. Sauf que derrière ce classement flatteur, la lutte des femmes sénégalaises pour une meilleure représentation en politique est loin d’être achevée.

Un homme de plus
Appliquée pour la première fois en 2012 lors des élections législatives, la loi parité est globalement bien respectée au Sénégal. «Les partis l’ont accepté puisqu’elle est contraignante, mais il ne faut pas croire qu’ils s’y plient de gaieté de cœur», prévient toutefois Oumar Babacar Diarra, responsable «suivi et évaluation» à l’Observatoire national de la parité.
Et pour cause: les partis ont développé plusieurs stratégies pour faire tout de même élire davantage d’hommes que de femmes. La plus appliquée: placer systématiquement un homme en tête de liste. Profitant de l’alternance obligatoire des sexes entre candidats et candidates, ce stratagème permet aux partis, en cas de nombre d’élus impair, de faire élire un homme de plus. «Nous avons constaté que, le plus souvent, ce problème survient lorsqu’il n’y a qu’un élu sur la liste», souligne Fatou Sow Sarr, directrice du Laboratoire genre et recherche scientifique à l’Université de Dakar. De quoi expliquer pourquoi la parité absolue, souhaitée par la loi, n’est pas atteinte à l’Assemblée nationale.
Mais le fossé est encore bien plus grand dans les scrutins où la loi parité ne s’applique pas. Exemple le plus flagrant: les mairies. Sur les 557 municipalités que compte le pays, seules 13 sont administrées par des femmes. Même constat au sein des partis politiques: seule une poignée des quelque 300 partis que compte le pays est pilotée par des femmes, alors que celles-ci représentent la majorité de leurs effectifs. Leur action est ainsi souvent centrée sur la mobilisation des partisans ou l’animation des rassemblements, loin d’où se décident les stratégies politiques.

Priorité à la formation
Comment lutter contre ces déséquilibres? Un groupe de femmes députées et d’intellectuelles sénégalaises travaille actuellement pour adapter le texte de loi parité. Deux options: forcer les partis à placer des femmes en tête de liste ou empêcher l’élection d’un nombre impair de candidats issus d’une même liste. La possibilité d’étendre la loi parité à d’autres élections fait aussi son chemin auprès des militantes.
Au sein des partis politiques, le combat est également lancé. Et il passe par la formation. «Il y a un grand nombre de femmes capables d’occuper des postes politiques. Il faut que nous les mettions à l’aise, que nous les amenions à oser parler», analyse Amsatou Sow Sidibé, par ailleurs première femme sénégalaise candidate à l’élection présidentielle.
A l’échelle nationale, cette formation est principalement assurée par diverses structures non gouvernementales, parmi lesquelles l’association des juristes sénégalaises ou le caucus des femmes leaders, qui réunit des femmes issues des partis politiques, des syndicats et de la société civile. Fondatrice de ce dernier groupe, Fatou Sow Sarr compte d’ailleurs passer la vitesse supérieure, en mettant en place un système de formation et de promotion des profils féminins au sein du Parti socialiste, grande force politique nationale qui devrait prochainement être dirigée par une militante historique de la cause des femmes.

Travail sur les consciences
Mais, de l’avis de tous, la plus grande partie du travail devra se faire sur les consciences. «Il faut que la parité soit intériorisée, qu’elle entre dans le 
subconscient. C’est un travail qu’il faut mener auprès des populations, parce que la culture est résistante», poursuit Amsatou Sow Sidibé (lire ci-contre).
Face à cette situation, la solution viendra peut-être de la nouvelle génération. C’est du moins ce que pense Jaly Badiane. A 32 ans, celle qui se décrit comme «afro-féministe» représente la jeune garde de femmes activistes. Dans la salle de réunion dans laquelle elle reçoit, en banlieue de Dakar, un autocollant collé au mur donne l’adresse de son blog. Preuve que l’activiste met en pratique sa théorie. Car pour elle, l’émancipation des femmes viendra d’internet et de la génération de Sénégalaises nées avec un téléphone portable entre les mains. «Tous les programmes que je développe se concentrent sur les médias sociaux, parce qu’ils permettent à des filles qui n’ont pas un terreau propice au développement de leur leadership de trouver de quoi s’instruire.»

Autre atout de cette génération de jeunes filles: elles sont pour la première fois, d’après les statistiques de l’Observatoire de la parité, majoritaires à tous les échelons scolaires. Une révolution dans un pays où l’analphabétisme, encore très présent, touche historiquement davantage les femmes que les hommes.

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Jérémy Rico

Jérémy Rico est journaliste multimédia à La Liberté depuis 2017. Au sein de la rubrique web, il réalise des dossiers associant textes et images à destination des abonnés numériques du quotidien fribourgeois. Avec une idée fixe: pratiquer un journalisme qui intéresse les jeunes générations et leur donne la parole. Engagé au sein de la rubrique régionale de La Liberté en 2014, Ce Fribourgeois de 27 ans obtient son diplôme du CFJM en 2016. En Suisse comme au Sénégal, il s’applique à pratiquer un journalisme de terrain, au plus près de la réalité vécue par ses interlocuteurs.

Mariame Djigo

Journaliste depuis 2017, Mariame Djigo travaille dans un quotidien d’informations générales, Sud Quotidien basé à Dakar au Sénégal, dans lequel elle a également effectué son stage de formation. Après des études en anglais à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, elle s’est inscrite à l’Institut Supérieur des Sciences de l’Information et de la Communication à Dakar. Depuis son plus jeune âge, Mariame Djigo a toujours été passionnée pour le journalisme.

Jérémy Rico

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