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Migration des adolescents: le dilemme de l’intégration suisse

Migration des adolescents: le dilemme de l’intégration suisse

UN REPORTAGE EN SUISSE DE MOUSSA MAGASSA (LE JOURNAL DU MALI)

Ce sont chaque année quelques centaines d’adolescents qui arrivent sur le sol suisse. Les uns fuyant l’insécurité, les autres, la misère dans leurs pays. Ils partagent tous un même idéal : bénéficier de l’asile afin de commencer une nouvelle vie. Cependant, les réalités de l’intégration finissent par se transformer en obstacles pour beaucoup. Ils n’abandonnent pas pour autant leurs rêves. A l’âge de la majorité (18 ans), beaucoup sont expulsés. Tour d’horizon dans la vie de ces jeunes garçons et filles, qui ne demandent qu’à intégrer dans une société suisse où les procédures d’intégration sont de plus en plus difficiles.

Vêtu d’un pantalon jean et d’un t-shirt aux longues manches, F. échange quelques mots en français avec son enseignante. Un exercice plutôt difficile pour ce jeune Erythréen de 19 ans. Depuis deux ans qu’il est arrivé en Suisse, tout semble bien se passer pour lui. Comme la majorité des migrants, il a emprunté les voies connues de tous les migrants africains dont le rêve est d’atteindre l’Europe. En deux ans, il a traversé le Soudan, la Libye et l’Italie où il refuse de faire une demande d’asile. « Je voulais aller en Angleterre ou en Suisse », justifie-t-il. Arrivé dans la Confédération helvétique sans aucun document, F. atterrit dans un foyer du canton de Vaud, en Suisse romande, où il est pris en charge en tant que mineur non accompagné (MNA), terme qui désigne les enfants ou adolescents migrants qui arrivent à la frontière Suisse sans représentation légale.

Entre 2010 et 2015, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) estime qu’environ 5000 MNA, venus pour la majorité d’Afghanistan, d’Erythrée, de Syrie ou de pays d’Afrique de l’Ouest comme la Côte d’Ivoire ou la Guinée Conakry, ont été accueillis par la Suisse.

Si les raisons de la migration ont en commun la pauvreté et l’instabilité structurelle, « se cache de façon récurrente et omniprésente les problématiques de discrimination et inégalité des genres, les conflits ethniques et la violence, ou encore la perte de l’un ou des deux parents », écrit en 2016 Depallens Villanueva, médecin au CHUV (Centre hospitalier universitaire) du canton de Vaud, où elle s’occupe des MNA.

Le parcours Suisse
Une fois sur le sol Suisse, les MNA sont pris en main. C’est une obligation pour le pays car deux textes de loi défendent la protection des mineurs en Suisse; le premier est la loi de protection des mineurs qui s’applique dans les 26 cantons que compte la Suisse, et la seconde est la Convention internationale des droits de l’Enfant (CIDE). Ces lois privilégient l’intérêt supérieur des enfants. Une grande responsabilité donc pour l’Etat qui les accueille.
C’est pourquoi les structures d’accueil organisent une prise en charge adaptée aux besoins de ces adolescents. Il s’agit de fournir aux MNA l’accès au logement, un soutien éducatif, une formation, des soins somatiques ou psychologiques adaptés. Toutes choses censées placer ces adolescents dans de meilleures conditions de vie. Mais les réalités et les structures peuvent varier d’un canton à un autre avec une grande disparité. Celles conçus pour accueillir les adolescents étant très souvent surchargées, les mineurs sont placés généralement dans des structures pour adultes. Une situation qui pose d’importantes questions légales et éthiques. « Que faire? Il faut bien les loger quelque part non? », s’interroge une éducatrice du canton de Fribourg, l’un des trois cantons bilingues de la Suisse.

Dans cet établissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM), cohabitent 66 adolescents soit 56 garçons et 10 filles. Trois d’entre eux viennent de l’Afrique de l’Ouest dont deux de la Guinée Conakry et un de la Côte d’Ivoire. Au foyer depuis sept mois, ce dernier n’est plus en contact avec sa famille vivant à Yamoussoukro, au centre de la Côte d’Ivoire. Personne ne sait s’il est mort ou vivant : « c’est mieux ainsi », lâche-t-il, un peu gêné. Un peu plus méfiant, D., venu de la Guinée, n’accepte pas vraiment d’échanger tout de suite. Il confiera plus tard qu’il se méfie, car « tout le monde dit qu’ils vont nous renvoyer chez nous », confie-t-il. Une crainte légitime : la Suisse n’accorde presque pas d’asile aux ressortissants des pays de l’Afrique de l’Ouest. Les raisons sont simples : « Leurs vies ne sont pas en danger dans ces pays », explique une autre source proche des services de migration. H., un autre jeune Guinéen, semble avoir perdu tout espoir et confie son regret d’avoir choisi la Suisse comme pays d’asile : « Si seulement j’avais su », lâche-t-il, le regard dans le vide.

Dans un autre foyer, les MNA venus de l’Afrique de l’Ouest affirment tous avoir fui leur pays pour des raisons familiales. Certains pour éviter de se marier, d’autres parce qu’ils sont constamment indexés comme des bons à rien.
Depuis 2015, la Suisse ne cesse de recevoir des MNA, seuls quelques heureux élus auront une chance d’obtenir l’asile. Pour cette éducatrice, il s’agit majoritairement d’Erythréens, d’Afghans et de Syriens, « compte tenu de la situation sécuritaire plutôt alarmante dans ces pays où les droits humains sont constamment violés», explique-t-elle.

Le dilemme de la protection
Dès qu’il a soufflé sa dix-huitième bougie, F. a quitté le foyer. « Je me suis pris une chambre quelque part dans la ville », explique-t-il, souriant. A l’âge de la majorité, tout « MNA » quitte le foyer qui l’a accueilli. Le loyer, l’assurance, le transport, sont pris en charge par sa structure d’accueil. Une somme forfaitaire de 370 francs suisse, soit environ 200 000 francs CFA, lui est également allouée par mois en attendant la décision du SEM sur la demande d’asile, qu’il a introduite dès la semaine de son arrivée en Suisse. Les MNA sont aidés dans les procédures administratives par un référent, un soutien dans les démarches qu’ils auront à faire. La demande d’asile de F. ayant été refusée en décembre dernier par le SEM, il a fait appel de la décision grâce à l’aide du foyer. S’il n’obtient pas de réponse positive, il perdra automatiquement les avantages qui lui sont actuellement accordés. Puisqu’il a un permis provisoire, F. ne sera pas expulsé de Suisse, il recevra une aide d’urgence lui permettant de survivre. Chose difficile, car il sera presque impossible pour lui de se trouver un emploi sans un permis de travail délivré seulement quand l’étranger existe légalement.

La décision du SEM est imminente car la transition du MNA au statut de majeur à son 18ème anniversaire coïncide très souvent avec une décision de renvoi. Dans un communiqué de presse datant de juin 2017, le SEM annonce qu’en 2015, la Suisse a été le pays qui a réalisé le plus grand nombre de renvois vers d’autres États. Ce sont 60 000 personnes qui ont été frappées d’une telle décision depuis 2009, toujours selon le SEM.

« Les renvois sont appliqués de manière totalement aveugle, automatique et systématique », commente Émilie Touillet, membre du collectif R [1], « l’absurdité et la violence des situations sont éloquentes » ajoute-t-elle. Or, la Suisse a la possibilité d’examiner les motifs des personnes en situation de vulnérabilité, comme ces adolescents, surtout quand ils sont renvoyés vers des États qui n’ont pas la possibilité de les accueillir dans la dignité; généralement en Italie ou en Grèce. Les MNA sont protégés en attendant d’avoir 18 ans, et ils sont ensuite expulsés parfois en plein milieu d’une formation.

En attendant d’obtenir une réponse positive du SEM sur leur demande d’asile en Suisse, les 66 jeunes du foyer de L’EVAM attendent impatients et confiants, à l’exception des adolescents venus de la Guinée et de la Côte d’ Ivoire, dont les chances de rester en Suisse demeurent très minces.

Règlement Dublin
« Le SEM n’y peut rien, c’est le règlement Dublin », explique Émilie Douillet lors d’une conférence de presse organisée par la société civile le 13 juin, à Lausanne, pour appeler les autorités à mieux « protéger les réfugiés vulnérables ». Ce genre de réponse est, selon elle, la réaction des autorités à chaque interpellation directe sur le terrain. Une grande majorité de la société civile continue néanmoins de se rassembler pour dire « Non à l’application aveugle du règlement Dublin » qui représente aujourd’hui le point de discorde entre les autorités cantonales et la société civile.

Il s’agit d’un texte normatif de l’Union européenne consacré au règlement juridique du droit d’asile en vertu de la Convention de Genève (art. 51). Il régit la situation des étrangers qui formulent une demande d’asile dans un pays et sont interpellés dans un autre pays de l’Union européenne. Dans la pratique, le texte pose de nombreux problèmes, car l’étranger qui arrive par exemple en Suisse est aussitôt refoulé vers le pays où il a fait sa demande d’asile pour la première fois.

Vu le trajet des migrants, ils sont très souvent refoulés vers l’Italie et la Grèce, où les foyers d’accueil débordent déjà de monde. Une situation qui révolte Nicolas Margot, médiateur Église-Réfugiés : « Nous sommes consternés en voyant des personnes pleines de potentiel, qui pourraient facilement suivre un chemin d’intégration et qui perdent des mois voire des années de leur vie, ballotées d’un pays à un autre », regrette-t-il. La Suisse est l’un des pays qui appliquent le plus strictement la procédure Dublin, bien que l’accord prévoie des marges de manœuvre prévues par le paragraphe 17 du préambule du règlement Dublin III. Cet article stipule: « Il importe que tout État membre puisse déroger aux critères de responsabilité, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin de permettre le rapprochement de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent et examiner une demande de protection internationale introduite sur son territoire ou sur le territoire d’un autre État membre, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères obligatoires fixés dans le présent règlement ». C’est dire que la Suisse peut faire usage de la clause discrétionnaire, qui offre la possibilité à chaque État d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas. Concernant l’évaluation des critères de renvoi, Magaly Hanselmann, secrétaire romande de l’Entraide Protestante Suisse (EPER) [2], explique «qu’il est impossible de savoir quand le SEM fait application de la clause discrétionnaire ».

Perspective de vie
Sandra Muri est enseignante dans une classe d’accueil au groupe scolaire des Bergières, à Lausanne. Elle enseigne la connaissance suisse à 13 MNA depuis presqu’une année. Ici, se côtoient plusieurs nationalités. Neuf des adolescents sont en famille, c’est à dire qu’ils vivent avec un parent en Suisse. Les quatre autres, tous des Erythréens, vivent au foyer. Cette classe d’accueil est l’un des endroits les plus prisés de ces adolescents, où la race et la nationalité n’a pas d’importance. Ici, ils peuvent s’amuser, se côtoyer et échanger malgré leur bas niveau en français. Tous semblent renaître dans cette atmosphère. Une fois dehors, le constat est différent. À 15 ans, O. est un féru de football. Un sport qu’il pratique avec gaieté. Son talent ne plaît pas à tout le monde : « Après chaque victoire contre les élèves en classe normale, ils nous disent d’aller apprendre à mieux parler en français avant de venir jouer au football », déplore-t-il. Dans la cour de l’école, les élèves en classe d’accueil se regroupent, isolés des autres. « On ne veut pas se mélanger à eux parce qu’ils nous manquent de respect », lâche cette adolescente syrienne. « En plus ils sont racistes ».

A Lausanne le racisme n’est pas pratiqué ouvertement. Beaucoup de personnes ont cependant des préjugés vis-à-vis des personnes étrangères. Une situation qui pousse beaucoup d’adolescents à limiter leurs fréquentations. Dans cette classe de treize personnes, seul un adolescent venu du Portugal affirme avoir des amis suisses. Les autres préfèrent s’en passer.

Tous souhaitent cependant trouver une famille d’accueil avec laquelle ils partageront de bons moments. C’est soit une personne ou une famille qui accepte de prendre un MNA comme un membre de sa famille sans que ce dernier ne soit logé chez elle. C’est l’exemple de Z. Ce jeune afghan passe le week-end avec N. et son époux, devenus depuis quelques mois sa famille d’accueil. « C’est quelqu’un de super. Un peu timide mais très sympa », témoigne N. Contrairement à Z., beaucoup n’ont pas encore de famille d’accueil. Le canton de Vaud enregistre environ 180 parrainages contre seulement 5 dans le canton de Fribourg. Autant les réalités au niveau de chaque canton diffèrent les unes des autres, autant beaucoup de personnes hésitent encore à s’approcher des MNA.

Pendant ce temps, à Lausanne, F. a aménagé dans son nouvel appartement. Il apprend à faire la cuisine et à faire le ménage. Il évite autant que possible les dépenses futiles afin de pouvoir économiser car, dit-il, « on ne sait jamais ». Conscient que sa nouvelle demande d’asile peut être refusée une fois de plus, il tente donc de mettre toutes les chances de son côté. Ses économies pourraient lui payer sa prochaine destination ou servir à acheter des cadeaux pour sa famille, s’il venait à être expulsé en Erythrée.

Vidéo sur le centre EVAM de Bussigny (VD) :

Moussa Magassa

Journaliste reporter et blogueur, Moussa MAGASSA débute sa carrière d’homme de médias en 2014 au Journal du Mali (bi médias). Curieux et l’esprit vif, le jeune journaliste enchaîne les sessions de formations en journalisme. Lauréat du meilleur blog en 2015, il est invité par Radio France Internationale (RFI) à participer à la session de formation sur les nouveaux outils numériques du journalisme à Dakar au Sénégal. En 2016 il passe l’examen du Diplôme Approfondi de la Langue Française puis il est sélectionné à l’issue d’un concours parmi une cinquantaine de candidats pour bénéficier d’une formation offerte par l’Ambassade de France au Mali. Durant plus d’une année il suit le programme « Formation en alternance » de l’Ecole Supérieure de Journalisme (ESJ) à Lille avec 15 autres jeunes journalistes maliens. Il est actuellement inscrit en Master 2 international en Management des médias (Mi2M) à distance (2016-2018). Moussa MAGASSA est passionné de basket-ball, de lecture et de musique. Il est actuellement chargé de communication à ICRISAT Mali.

Sophie Dupont

Sophie Dupont écrit pour la page vaudoise du Courrier depuis 2013, après deux ans passés au magazine d’Amnesty International. Elle a toujours été animée par l’envie d’emmener calepin et stylo sur des terrains peu explorés, ici comme ailleurs.Titulaire d’un bachelor en sciences sociales de l’Université de Fribourg et d’un master en sciences politiques de l’Université de Lausanne, elle a arpenté plusieurs fois le Mali, jusqu’à la mythique Tombouctou. En Quête d’Ailleurs l’a naturellement amenée à redécouvrir ce pays, ébranlé par la crise.

Moussa Magassa

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