REPORTAGE DE MICHAËL RODRIGUEZ ET FERNAND NOUGWLIGBÈTO
Très prisés des habitants de Cotonou, la capitale économique du Bénin, les taxi-motos sont à l’origine de beaucoup d’accidents et de pollution. La mairie mise sur la création d’un réseau de bus, qui se fait attendre.
Quand on les voit attendre en peloton au carrefour, avec leurs chemises jaunes ornées d’un numéro, prêts à démarrer en trombe, cela fait penser à quelque rallye urbain. Mais les «zémidjans», les taxi-motos de Cotonou, la capitale économique du Bénin, ne font pas la course. Si ce n’est une course pour la subsistance. Artisans, mécaniciens, paysans, diplômés sans emploi ou encore étudiants, ils seraient plus de 140’000 à conduire un taxi-moto dans cette ville peuplée d’un million d’habitants environ, où les transports publics sont quasi inexistants.
Le prochain client
Ce moyen de transport, rapide et pratique, est aussi très dangereux. «Un zem ne pense pas à sa sécurité. Il pense déjà à combien il va gagner avec le prochain client, donc il se dépêche. C’est ce qui m’est arrivé il y a cinq ans», relate Sosthène Amouzou, conducteur de taxi-moto depuis 1989, en montrant les cicatrices sur sa jambe.
A Cotonou, les accidents de la route sont fréquents, et souvent meurtriers. La circulation est chaotique et la plupart des carrefours dépourvus de feux opérationnels. L’un d’entre eux a même été baptisé «carrefour de la mort» par les Cotonois après une série d’accidents tragiques. Au Bénin, 725 personnes sont mortes sur les routes en 2009 (1).
«J’ai perdu mon grand-frère, zémidjan comme moi, dans un accident de la route, confie François Houessouvo, conducteur depuis quinze ans. Il était arrêté au feu. Un poids-lourd est arrivé par derrière et a ramassé cinq motos». Le commandant Oumorou Nouroudine, chargé de la brigade de la circulation au Commissariat central de Cotonou, confirme: «La plupart des victimes des accidents de la route sont des personnes sur des engins à deux roues».
Pas de casque
Les taxi-motos, qui constituent une part non négligeable des deux-roues, sont impliqués dans bien des accidents. N’hésitant pas à se faufiler entre les voitures, roulant la plupart du temps sans casque, transportant parfois deux voire trois passagers, les zémidjans se montrent volontiers téméraires. «Ils ne respectent pas les feux et font des excès de vitesse», pointe le commandant Oumorou Nouroudine. Le problème, c’est que les compteurs des taxi-motos fonctionnent rarement.
Le phénomène contribue aussi à faire de Cotonou l’une des villes les plus polluées d’Afrique de l’ouest. Exposés en première ligne, les conducteurs développent de nombreuses affections: maladies cardio-vasculaires et respiratoires, cancers de la gorge et du poumon.
L’origine des zémidjans («emmène-moi vite» dans la langue fon, parlée au sud du Bénin) remonte aux années 1970. Il s’agissait de simples vélos qui servaient à transporter des marchandises – et bientôt leurs vendeuses avec – depuis les villages vers les marchés. Le système a connu un coup d’accélérateur avec la motorisation, mais la ville de Cotonou, jugeant ce moyen de transport trop dangereux, a commencé par l’interdire. Elle s’est ravisée en 1986 face à la montée du chômage. Depuis lors, l’effectif des taxis-motos n’a cessé de croître, alimenté par l’exode rural.
«L’ignorance tue»
«Les gens quittent la campagne, viennent à la recherche d’un emploi et se mettent à transporter des vies humaines sans connaître le code de la route. L’ignorance tue!», assène Robert Yèhouénou, secrétaire général de l’Union des conducteurs de taxi-motos de Cotonou (UCOTAC). L’immense majorité des zémidjans n’ont pas de permis de conduire. En 1993, la mairie de Cotonou voulait soumettre la profession à une série de règles, dont l’obtention d’un permis et le port du casque. Mais elle a reculé devant la mobilisation des zémidjans, qui constituent un électorat très courtisé. «Personne n’ose vraiment affronter cette corporation», explique Mesmer J.-M. Yeou, chef de service des gares et parkings à la mairie de Cotonou.
Toutefois, la mairie et les syndicats se sont entendus pour que, dorénavant, les zemidjan s’inscrivent à la mairie et paient 5100 francs CFA (1 franc suisse = 490 francs CFA). Ils reçoivent un numéro, qu’ils portent au dos de leur tenue jaune. Officiellement, ils s’acquittent d’une taxe annuelle de 4800 francs. Mais beaucoup ne la paient pas, et depuis quelques années, les autorités ne font plus de contrôle. Plus de 140’000 zémidjans ont été enregistrés à ce jour, un chiffre qui ne tient pas compte des numéros tombés en déshérence et, à l’inverse, des nombreux taxi-motos clandestins.
Les fréquents accidents ont convaincu les syndicats, d’abord opposés à l’introduction de règles, de la nécessité de mieux cadrer la profession. Avec divers partenaires, ils mènent des actions de sensibilisation et de formation auprès de leurs membres (lire l’encadré).
Projet de bus
La mairie de Cotonou ambitionne quant à elle de revoir en profondeur son système de transports. Après une expérience infructueuse en 1995, elle a lancé un nouvel appel d’offres pour recruter un opérateur de bus privé. Une flotte de zémidjans, engagés par l’opérateur, ferait le relais entre les arrêts de bus et le domicile des usagers. La place des taxi-motos serait donc sensiblement réduite. «Leur problème, c’est la subsistance. Notre problème c’est d’offrir aux Cotonois un moyen de transport sûr et confortable, résume Mesmer J.-M. Yeou. Chacun choisira son mode de transport. Comme dans la jungle, c’est les plus forts qui l’emporteront».
Reste en outre à savoir ce qu’il adviendrait des dizaines de milliers de personnes privées de leur gagne-pain. Le fonctionnaire municipal estime qu’ils doivent revenir à l’agriculture. Beaucoup, parmi les zémidjans, en rêvent. En 1998, l’ancien président Mathieu Kérékou avait lancé à leur intention un plan de reconversion dans la culture du manioc qui avait été un échec complet. Le chemin est donc encore long avant que ce rêve ne devienne un jour réalité.
Michaël Rodriguez et Fernand Nouwligbèto, pour Le Courrier et PermaGroup avec la collaboration de Chimelle Gandonou.
(1) Centre national de la sécurité routière, sept. 2010
COMPLÉMENT D’ARTICLE :
Des efforts conjoints pour la prévention et la formation
L’ONG Alinagnon («la route sera bonne»), créée en 2008, fait un travail de prévention dans le domaine de la sécurité routière. Ses militants se postent régulièrement à certains carrefours de la ville et, avec l’aide de la police, interceptent les zémidjans pour leur demander pourquoi ils ne portent pas de casque. «Ils nous répondent souvent qu’ils ne veulent pas dépenser leurs maigres sous pour acheter un casque car ils vivent au quotidien», rapporte Gad Abel Dideh vice-coordinateur de Alinagnon.
Pour Alphonse Aïdji, secrétaire général du Syndicat des conducteurs de taxi-moto du littoral (SYCOTAMOL), ce n’est pas forcément une question de moyens. «Le casque n’est pas si cher. Mais les zem ne sont pas habitués à ça. Certains ont des maux de tête, des problèmes de vue. Moi-même j’ai deux casques mais je ne les porte que quand je fais de longs voyages». L’un des rares conducteurs de taxi-moto équipés d’un casque que nous avons rencontrés a expliqué qu’il ne le faisait pas pour se protéger mais, étant musicien, pour éviter d’être reconnu…
Depuis 2006, la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) finance un programme de formation pour les zémidjans membres de l’Union des conducteurs de taxi-motos de Cotonou (UCOTAC). Les conducteurs de taxi-moto sont initiés au code de la route, à la sécurité et à l’hygiène au travail. Ils sont une centaine, à ce jour, à avoir été formés dans le cadre de ce programme, qui doit se terminer en 2011.
L’Etat, avec le soutien de l’Agence française de développement, octroie une aide financière aux conducteurs pour remplacer leurs motos deux-temps par des motos quatre-temps, moins polluantes. Une partie de la somme sert à financer l’obtention d’un permis de conduire.
Le Centre national de la sécurité routière (CNSR) appuie également les syndicats. «Nous formons les responsables syndicaux de ces taxi-motos, nous sensibilisons leurs syndiqués et les résultats sont bons, décrit Nestor Vitodégni, du Service informatique, statistiques, études et documentation. En revanche, il est difficile de travailler avec les usagers ordinaires de taxi-moto qui ne sont pas organisés en groupes.» MR/ FN
« La politique, je ne la fais jamais à crédit »
Les zémidjans ne font pas que transporter des passagers sur leurs motos. Bien souvent, ils sont aussi d’infatigables commentateurs de l’actualité politique. Très courtisés par les partis, qui ont vu en eux une force électorale considérable, ils sont nombreux à «rouler» pour telle ou telle formation politique et à afficher son logo sur leur chemise. Au Bénin, dit-on, on ne devient pas président de la République si les zémidjans en décident autrement. Car les conducteurs de taxi-motos, en se déplaçant continuellement, sont «des vecteurs d’information et de communication», explique Robert Yèhouénou, secrétaire général de l’Union des conducteurs de taxi-motos de Cotonou (UCOTAC).
L’UCOTAC a son organe politique, le Mouvement des zem pour un Bénin émergent (MOZEBE), qui soutient l’actuel président béninois, Boni Yayi. Le Syndicat des conducteurs de taxi-motos du littoral (SYCOTAMOL) est lié quant à lui à la Renaissance du Bénin (RB), qui s’est alliée avec cinq autres formations d’opposition pour présenter un candidat unique aux élections de 2011. Le secrétaire général du SYCOTAMOL, Alphonse Aïdji, est même député suppléant de la RB au Parlement béninois.
Conviction et intérêt financier sont souvent mêlés dans l’engagement des zémidjans. «La politique, je ne la fais jamais à crédit», lance l’un deux. Lorsqu’ils participent à des marches ou meetings en faveur d’un candidat, les conducteurs de taxi-moto peuvent toucher 5000 à 10’000 francs CFA (10 à 20 francs suisses), une manne appréciable au vu de leurs conditions de vie.
Une fois payés les frais de location de la moto – beaucoup de conducteurs ne sont pas propriétaires de leur véhicule – et le carburant, les zémidjans gagnent environ 2000 francs par jour. On peut donc estimer leur revenu à 40’000 francs par mois, soit davantage que le salaire minimum au Bénin (31’625). Mais l’écrasante majorité des conducteurs de taxi-moto n’ont ni protection sociale en cas de maladie, ni assurance responsabilité civile. Beaucoup d’entre eux, issus de villages lointains, dorment sur leur moto aux abords des stations-services et ne rentrent chez eux que le dimanche.
Les entreprises privées s’intéressent aussi de près à la visibilité que peuvent leur donner les taxi-motos. L’opérateur de télécommunications MTN a conclu un partenariat avec la mairie de Cotonou: en échange d’une campagne de publicité sur les chemises des zémidjans, l’entreprise s’est engagée à construire treize abris, équipés de cafétérias et de coins de repos, pour les conducteurs. Mais le projet a pris du retard. «Si 200 zem marchaient pour réclamer ces abris, la mairie s’activerait», assure Alphonse Aïdji, secrétaire général du SYCOTAMOL et président du collectif regroupant les syndicats de taxi-motos de la ville. «Mais on ne va pas le faire, parce qu’on est du côté du maire, continue-t-il. Même si le MOZEBE voulait le faire, je le bloquerais. Ils font la même chose avec nous».
L’unité syndicale, que le même Alphonse Aïdji appelle de ses voeux, ne sera donc pas aisée à réaliser. Au point que certains ne font plus confiance aux syndicats. C’est le cas de Koffi, un conducteur occasionnel de taxi-moto qui donne aussi des cours d’anglais et de français: «Nos syndicats ne peuvent plus soutenir la cause des zem. Ils sont trop liés à la politique». MR/ FN