UN REPORTAGE DE FETHI DJEBALI EN SUISSE
Rien ne peut distraire Pierre-Alain Ravussin de son engagement pour la protection des oiseaux. Même les interviews avec cet ornithologue passionné, rédacteur en chef adjoint du magazine Nos oiseaux, se tiennent dans la forêt, entre la visite des nichoirs de Gobemouche, et autres opérations de capture et de baguage. «C’est un oiseau nicheur présent en Suisse depuis les années soixante, mais qui a vu ses effectifs diminuer au fil du temps sur tout le territoire». La cause? «Pour cette espèce, c’est indéniablement la faute au changement climatique». Le Gobemouche noir est un migrateur au long cours qui hiverne en Afrique de l’ouest. Sa population a connu une phase expansive jusque dans les années 80. Selon M. Ravussin, cette régression coïncide avec la phase récente de réchauffement du climat, qui affecte l’Europe centrale et la Suisse en particulier. «Dans une tentative d’adaptation, le Gobemouche noir a avancé sa date de ponte de 8 à 10 jours en moyenne. Mais cette anticipation ne semble pas suffisante pour profiter pleinement du pic d’abondance des chenilles de lépidoptères, sa nourriture préféré», analyse l’ornithologue Comme le Gobemouche, le nombre d’espèces qui ont vu leur cycle de vie et de reproduction perturbé par l’augmentation de la température est alarmant.
Sédentarisation «forcée»
Car s’ils restent insaisissables parfois, les effets du changement climatique sur l’avifaune ne sont plus à démontrer. «Les oiseaux sont un excellent indicateur du changement climatique car ces êtres fragiles sont très sensibles aux bouleversements qui s’opèrent dans l’écosystème», estime Raffael Ayé, de l’antenne suisse de l’ONG Birdlife. Et particulièrement les migrateurs, qui tentent de s’adapter essentiellement en avançant ou en retardant leur date de départ en automne et au printemps pour atténuer l’effet du réchauffement. Ainsi, des espèces migratrices de longue et courte distance comme la fauvette à tête noire, l’hirondelle rustique, la rousserolle effarvatte, la fauvette des jardins ou l’étourneau sansonnet, ont avancé leur date d’arrivée dans les zones de nidification en Suisse, sur les bords de la Méditerranée et en Afrique de l’Ouest. Certaines espèces annulent même leur départ automnal vers le Sud et se sédentarisent, comme le chardonneret élégant. En effet, si le changement climatique pousse les oiseaux à décaler leur déplacement dans le temps, il les force aussi à migrer aussi dans l’espace. «Au lieu d’aller en Afrique, la cigogne se replie sur les décharges espagnoles», estime Lukas Jenni, directeur scientifique de la station ornithologique de Sempach. En Suisse, de nouvelles espèces font même leur apparition. C’est le cas du guêpier, difficilement observable auparavant dans le pays. D’autre espèces habituellement sédentaires, comme le serin cini, ont été obligé de devenir migratrices pour survivre. «Il y a une tendance générale chez les oiseaux d’aller plus vers le Nord de l’Europe», remarque Raphael Ayé.
Tunisie: révolution aussi pour les oiseaux
En Tunisie, autre escale importante pour les migrateurs qui traversent les deux pays, les oiseaux vivent aussi au rythme d’une petite révolution climatique. Les ornithologues suivent de près l’impact du réchauffement du climat sur les espèces venant y passer l’hiver. «Comme le climat est devenu plus variable en Tunisie, certaines espèces sont moins visibles dans nos stations d’observation», estime Ramzi Hedhli, secrétaire général de l’association des Amis des oiseaux, partenaire en Tunisie de Birdlife. «Le changement climatique pourrait aussi avoir induit un dessèchement des relais d’eau sur leur chemin de migration vers notre pays; du coup certaines espèces changent de destination ou meurent en cours de route». Selon Iyadh Labbène, président de l’Association tunisienne sur le changement climatique et le développement durable (2C2D), « au-delà de la dimension ornithologique, il y a un côté perception sociale des oiseaux : les Tunisiens ont été interpellés par le fait qu’ils observent moins de cigognes ou d’hirondelles dans leur pays, et cela les fait parler, débattre.»
De retour de Sempach et Tunis, Fethi Djebali
COMPLÉMENT D’ARTICLE :
En Tunisie, le «birdwatching» pâtit du changement climatique
Appelés également «spots», les lieux où l’on peut observer les oiseaux ne manquent pas en Tunisie. Du nord au sud, le patrimoine avifaune recèle d’importantes richesses et offre un dépaysement certain. Et pour cause, l’oiseau le plus rapide au monde, le faucon pèlerin, vit dans les falaises rocheuses de la dorsale tunisienne. Le golfe de Gabès abrite à lui seul en hiver la moitié de l’effectif des oiseaux d’eau hivernant en Méditerranée, soit environ 350.000 individus entre échassiers, limicoles, canards et autres oiseaux d’eau. Aussi, le plus grand aigle d’Afrique est-il observable seulement en Tunisie. Ce patrimoine fait le nid d’un type de tourisme qui se déroule loin du farniente balnéaire et des chambres d’hôtels climatisées : le birdwatching, littéralement l’observation des oiseaux. Ils sont entre 3000 et 4000 touristes à venir chaque année en Tunisie pour admirer les volatiles. «C’est un créneau très porteur mais dont la révolution tunisienne est venu freiner le développement, à l’image de tout le secteur touristique», estime Tarek Nefzi ,directeur de l’agence de voyages Bécasse, spécialisée dans l’organisation de birdwatching en Tunisie et au Maroc. Mais le changement climatique a aussi sa part dans ce début de régression. «La plupart des birdwatchers viennent pour voir les oiseaux d’eau ; or ces derniers se font de plus en plus rares à cause du réchauffement du climat», regrette M. Nefzi , un des pionniers du birdwatching. Seule solution pour ce passionné: élargir son champ d’action à toute la région du Maghreb pour faire face à la plus grande dispersion des espèces, et les suivre dans leurs nouvelles aires de répartition. FD