Un reportage EQDA
Reportage à Bamako, qui accueille beaucoup d’enfants non-accompagnés et migrants. Des réseaux de solidarité participent à leur prise en charge.
Après la pluie, dans le marché de Médine, des commerçantes, assises sur des cageots retournés, attendent les clients. Entre les rangées de courgettes et d’ignames empilés sur des bâches, des enfants trottinent dans les allées boueuses. En alerte, un petit paquet bleu bien plié dans la main droite. Ces garçons de 7 à 16 ans, appelés «bagagistes», vendent leurs sachets plastiques aux clients du marché et transportent leurs courses jusqu’à leur véhicule.
Baba Djalou, une quinzaine d’année, est arrivé il y a sept mois d’un village au centre du pays. «Bagagiste, c’est le premier travail que j’ai trouvé en arrivant à Bamako», explique-t-il. Avec un bénéfice de cinq francs par jour, il parvient à envoyer régulièrement une petite somme à ses parents. Contrairement à beaucoup de ses compagnons qui passent la nuit dans le marché sur un carton posé au sol, il est logé par une connaissance.
Bamako est ville de destination, de transit et de départ pour des enfants, parfois jeunes, qui ont quitté leur village pour chercher du travail. Ils s’orientent vers le commerce, l’économie domestique (lire ci-dessous) ou l’orpaillage. La capitale malienne est aussi un point stratégique de la route migratoire en direction de la Libye, puis de l’Europe.
Risque d’exploitation
Aux mouvements saisonniers des enfants de zones rurales vers les centres urbains, s’ajoute une migration internationale. Des filles et des garçons de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Niger et de Guinée Conakry rejoignent les mines d’or artisanales, travaillent comme domestiques ou dans le commerce. «Ces enfants, sans protection, sans papiers, se trouvent dans des situations de vulnérabilité extrême», relève Seckna Bagayoko, coordinateur du réseau à Enda Mali. L’exploitation, économique et sexuelle, est fréquente, les enfants travaillent sans repos, dorment dehors et se nourrissent mal. Certains économisent pour poursuivre leur migration vers le Nord.
A Bamako, l’association des enfants et jeunes travailleurs (AEJT) repère et aide les enfants de passage. Cireurs de chaussures ou commerçants dans les gares routières, ses agents ont l’œil pour repérer ceux qui voyagent seuls. «J’ai logé chez moi un jeune Ivoirien de 15 ans, qui n’avait nulle part où aller», explique Guindo Sékou, 16 ans, membre de l’AEJT. L’association regroupe 49 000 membres, dans trente localités du Mali et collabore avec des ONG qui prennent en charge ces enfants dits «en mobilité». «Le jeune a accepté de retourner à Abidjan où il recevra une aide pour développer un commerce», poursuit le garçon.
Né en 1994 au Sénégal, le mouvement africain des enfants et jeunes travailleurs défend douze droits, dont ceux de ne pas s’exiler, d’avoir une formation pour apprendre un métier ou d’exercer une activité en toute sécurité. Ses membres revendiquent le droit de travailler pour les mineurs: «Si tu ne vas pas à l’école, tu dois trouver une activité. Mais il faut que la charge de travail et les horaires correspondent à l’âge de l’enfant», assène Assitan Sissoko, 16 ans, coiffeuse et présidente de l’AEJT. Au Mali, l’âge légal pour travailler est de 15 ans. Une barrière peu respectée.
Opportunités à créer
L’association a un petit local dans une bâtisse du centre-ville de Bamako. Elle y héberge régulièrement des enfants migrants. «Beaucoup transitent à Bamako pour se rendre dans les zones d’orpaillage. Nous les informons des dangers et nous cherchons avec eux une alternative à la migration», explique Assitan Sissoko. Acceptent-ils de revoir leur projet de mobilité? «Certains, très fatigués par leur parcours, veulent retourner dans leur village. Nous regardons avec eux comment les protéger, s’ils peuvent retourner à l’école ou monter un commerce», répond-elle.
Pour la prise en charge des enfants migrants, l’AEJT collabore avec Enda Tiers Monde, membre d’un mécanisme de coopération. Mis en place en 2005 avec l’appui du service social international (SSI), basé à Genève, le Réseau Afrique de l’Ouest regroupe quinze Etats et vise une prise en charge individuelle. «Cette collaboration a mis fin aux simples rapatriements à la frontière. Lorsqu’un enfant est identifié, nous recherchons sa famille et mettons en place un projet de réinsertion», explique Djibril Fall, coordinateur du réseau pour le SSI. Les 6500 enfants suivis (chiffres 2016) ont en moyenne 13 ans: 68% ont été scolarisés, un quart ont reçu une formation professionnelle. «Nous développons les activités génératrices de re-venu. Lorsque l’enfant a des opportunités économiques sur place, il renonce à la migration», note Seckna Bagayoko.
Consulter la version PDF de cet article.
Au Nord, prise en charge des enfants victimes de la crise
A Tombouctou, Terre des hommes accueille depuis deux ans les enfants en mobilité dans des «Points espoirs». Plus de 400 adolescents de 13 à 18 ans ont reçu un accompagnement social avec des cours d’alphabétisation, et, pour les plus âgés, une formation professionnelle, dans la coiffure, la couture ou le commerce.
La crise qui sévit depuis 2012 a amené son lot d’enfants déplacés. Ils sont venus rejoindre ceux qui travaillent dans l’économie domestique, réputée pour être mieux rémunérée au Nord, carrefour de commerce, que dans la capitale.
«Chaque histoire est différente. L’un quitte son village de peur d’être enrôlé par un groupe armé, une autre fuira un mariage forcé. Avec le conflit, beaucoup de familles sont éclatées», rapporte Sidi Bah, responsable de projet à Terre des hommes. Les projets d’intégration ont surtout lieu sur place, grâce à l’aide de familles qui hébergent les enfants en mobilité. Dans les gares et au port, les syndicats des transports sont sensibilisés à détecter les enfants vulnérables. «C’est grâce à ce travail en réseau que nous pouvons les prendre efficacement en charge», relève le coordinateur.