UN REPORTAGE DE KESSAVA PACKIRY AU SRI LANKA – MEDIA DE REFERENCE : LA LIBERTÉ
Six semaines ont passé. Et les deux Tamouls déboutés, qui avaient dû quitter la Suisse – l’un par renvoi forcé avec sa famille, l’autre par retour volontaire, selon Amnesty International – sont toujours maintenus en détention depuis qu’ils ont posé le pied au Sri Lanka. Il y a une semaine, le président Mahinda Rajapakse déclarait à la «SonntagsZeitung» que les deux hommes étaient en sécurité. Et assurait à la «NZZ» que les Tamouls souhaitant retourner au Sri Lanka n’avaient rien à craindre. Mais Berne, qui a suspendu provisoirement tout renvoi vers le Sri Lanka à la suite de cette affaire, reste préoccupée. Selon nos informations, l’Office fédéral des migrations (ODM) a demandé à la représentation helvétique à Colombo de mettre en œuvre le retour en Suisse de la famille d’un des détenus (l’autre étant célibataire). Il s’agit de sa femme et de ses deux enfants, nés en Suisse. Contacté, l’ODM n’entend rien commenter. Il informe qu’il ne communiquera sur cette affaire que lorsque la situation se sera clarifiée. Pour ce qui est des deux détenus, la loi sri-lankaise permet de les garder en détention durant trois mois. Un juge peut justifier ensuite de prolonger cette détention de trois mois. Rencontrée à Colombo, l’avocate des deux hommes, qui souhaite garder l’anonymat, n’a toujours pas pu s’entretenir avec eux. Une autorisation spéciale est requise. Mais la jeune femme ne désespère pas de pouvoir les visiter cette semaine. «Ils se trouvent dans des centres de détention. L’un à Galle, au sud de la capitale, l’autre à Colombo même. Ces centres dépendent du Ministère de la défense. Et les deux détenus sont sous l’enquête de la Division d’investigation sur le terrorisme (TID).»
Pour l’heure, l’avocate se base sur les témoignages des familles, originaires du nord du pays. «Elles s’inquiètent pour leur santé.» Venue de Jaffna pour s’entretenir avec son avocate, la mère du détenu célibataire de Galle confirme: «En Suisse il était sous traitement antidépressif. Depuis qu’il est au Sri Lanka, il ne reçoit plus ses médicaments. Son état a empiré. Mais j’ai aussi vu sur son front une grosse cicatrice. Et à l’arrière de son crâne une blessure de la taille d’une pièce de monnaie. Quand j’ai demandé aux membres du TID ce qui lui était arrivé, ils m’ont répondu qu’il avait glissé dans la douche.» Il est certifié qu’il s’est retrouvé à l’hôpital durant les trois jours qui ont suivi son interpellation, ajoute l’avocate.
Liés au LTTE?
La mère a visité pour la dernière fois son fils jeudi dernier. «Il boitait. Il n’a rien pu me dire. Nous étions sous la surveillance du TID.» L’avocate enchaîne: «Pour l’autre détenu, sa femme m’a raconté qu’il paraissait très nerveux. Et qu’il ne parlait plus.» Les deux familles attendent de la Suisse qu’elle mette en sécurité ces deux hommes, visiblement accusés d’avoir fait partie du LTTE, le mouvement des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul, anéanti en 2009 par l’armée sri-lankaise après près de 30 ans de guerre civile. «Mon fils n’a jamais fait partie du LTTE», assure la mère du détenu de Galle. «Son seul lien avec la guerre, c’est d’avoir travaillé pour une ONG de déminage lors du cessez-le-feu qui avait suivi le tsunami, en 2004.»
Cas préoccupants
A l’ambassade de Suisse à Colombo, on suit l’affaire de très près. C’est notamment la tâche qui incombe à Davide Vignati, premier secrétaire, et représentant de la division de la sécurité humaine du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Les autorités suisses ne savent pas si ces personnes ont été victimes de «mesures illégitimes». Dans les deux cas, le Tribunal administratif fédéral avait considéré que le renvoi des intéressés était licite et raisonnablement exigible.
«Le cas de ces détenus nous préoccupe beaucoup», souligne Kurt Meier, chargé d’affaires à l’ambassade de Suisse. Le problème est complexe pour la Confédération: ce ne sont pas des citoyens suisses; la représentation suisse n’a dès lors aucun mandat pour les visiter.
Depuis la fin de la guerre, la Suisse reçoit entre 2000 et 2500 demandes d’asile de requérants tamouls par année. Avec un taux de reconnaissance de près de 20% en 2009, et de 16% cette année, selon l’ODM. Des retours ont eu lieu durant les derniers mois de la guerre, entre 2008 et 2009. Mais très peu, indique l’ODM. Durant cette période cependant, la Suisse n’a procédé à aucun renvoi forcé via des vols spéciaux. Enfin, depuis 2011, 250 Sri Lankais sont retournés au pays sans problème. Dont une septantaine avec une décision négative, rentrés volontairement avec une petite aide financière, sans compter le billet d’avion.
COMPLÉMENT D’ARTICLE :
Un précédent en Birmanie
Selon Amnesty International, on compterait une vingtaine de cas connus de requérants renvoyés de Suisse et qui se seraient retrouvés en prison dès leur arrivée dans leur pays. Parfois pour de courtes périodes. «Mais au Sri Lanka, de plus en plus de cas nous sont reportés», confie Denise Graf, coordinatrice Asile à Amnesty Suisse. «Cela ne touche pas que les cas de renvois forcés. Des gens qui retournent volontairement sont également touchés. Et il n’y a pas que les Tamouls. Un Cinghalais, de retour après un séjour touristique en Suisse, a aussi été arrêté. Quant aux deux derniers cas, nous avons des indices comme quoi ils auraient subi des tortures.» Ces personnes sont souvent arrêtées dans le cadre de la loi antiterroriste. Elles peuvent alors être envoyées dans des camps de réhabilitation. Et cela peut durer un an, ou deux. «Le temps que l’on apprenne quelque chose, il peut se passer des mois», relève Denise Graf. «L’accès à l’information est très difficile.»
Outre le Sri Lanka, Amnesty Suisse cite également des cas de renvois de Kurdes en Turquie, qui ont fini en prison. Mais aussi en Libye: quatre cas à la connaissance de l’ONG. Enfin, il y a le fameux cas du Birman Stanley Van Tha, rapporté par le journal «Le Temps» en 2011: se disant persécuté par la junte birmane, il n’est pas jugé crédible par l’Office fédéral des migrations (ODM) qui l’expulse de force vers la Birmanie en 2004. Stanley est alors arrêté et torturé dans la prison de l’aéroport. Quatre mois plus tard, il est condamné, sans procès, à 19 ans de prison. La Suisse finira par reconnaître son erreur. Libéré par les autorités birmanes, Stanley fuit en Inde et est rapatrié en Suisse en 2008, où il obtient le statut de réfugié. L’ODM avait déjà fait venir sa femme et leur fils à la fin mai 2005 en Suisse.