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Les oubliés de l’apocalypse

Les oubliés de l’apocalypse

UN REPORTAGE PHOTO DE CHRSTIAN BRUN AU VIETNAM – MEDIA DE REFERENCE : 24HEURES – LE COURRIER

Cinquante ans après le début des épandages, la dioxine contenue dans ces défoliants, dont le plus utilisé fut l’agent orange, gorge encore les sols de certaines régions et dix pour cent de ces munitions n’ont pas explosé. Des habitants, contaminés par la dioxine, souffrent de maladies graves ou de malformations congénitales. Chaque jour d’anciennes munitions explosent provoquant mutilations ou décès.

Les effets de l’agent orange ne sont pas toujours spectaculaires. Ho Thi Gia Thu vit dans un village encore fortement contaminé. Elle est lentement devenue aveugle après avoir souffert de plusieurs maladies, inconnues jusqu’alors dans sa famille.

Un lieu que les habitants nomment « génie de la mort »
Dans la vallée d’A Luoi, sur le site d’une ancienne base militaire américaine, les taux de dioxine affolent les compteurs. 

Après la guerre, le gouvernement vietnamien fixa dans le district d’A Luoi les populations de plusieurs ethnies nomades. Des maisons en dur furent construites et de nombreux cratères de bombes agrandis en bassins piscicoles, servant également de réserves d’eau potable. En 1998, l’étude canadienne Hatfield qui fait autorité en matière de contrôle des taux de dioxine, analysa les sols à l’emplacement de l’ancienne piste d’atterrissage américaine d’ A Shau (dont il ne reste rien) dans la commune de Dong Son. La terre et l’eau des bassins se révélèrent extrêmement contaminées; maisons et piscicultures furent alors abandonnées.

Pire, à l’emplacement où l’on remplissait les citernes des avions, un endroit que les habitant nomment « génie de la mort », on détecte des taux de dioxine parmi les plus élevés du Vietnam, 400 fois supérieur à la norme canadienne. Les 34 familles habitant dans cette zone furent déplacées, mais le mal était fait. De nombreuses maladies jusqu’alors inconnues par ces peuplades ont commencé à apparaître.

Maisons et pisciculture abandonnées dans la commune de Dong Son. Là ou se trouvait l’ancienne piste atterrissage US d’A Shau.

Plus de 432 800 litres de produits chimiques toxiques contenant onze kilos de dioxine ont été déversés sur le district d’A Luoi par l’armée américaine. Un dix-millième de gramme de dioxine suffirait pour tuer un homme, un dixième de cette quantité engendrerait déjà cancers et malformations congénitales.

La famille de Gia Ngan figure parmi les 34 foyers qui vivaient sur l’aéroport d’ A Shau. Sa femme Ho Thi Lien a accouché 14 fois, mais seuls trois enfants ont survécu. Leur fille de 14 ans Ho Thi Gia Thu (au centre à gauche) a subit trois opérations cérébrales mais est devenue aveugle. Les deux autres enfants comme Ho thi Linh (au centre à droite),13 ans, sont aussi en train de perdre progressivement la vue ainsi qu’une partie de l’audition. La mère, très malade, vient de subir plusieurs traitements hospitaliers dont les frais ont complètement ruiné la famille.
M. Ho Van Hoa, dont les parents vivaient également à l’emplacement de l’ancienne base militaire, souffre de malformations congénitales.

Une région ravagée par l’agent orange
La végétation luxuriante de la forêt tropicale qui recouvrait la vallée d’A Luoi, peuplée alors d’une faune extrêmement riche, n’est plus qu’un souvenir. Durant la guerre du Vietnam, cette étroite vallée jouxtant le Laos, à l’ouest de Hué, fut l’une des principales voies de la piste Hô Chi Minh utilisées par les forces communistes pour acheminer armes et nourriture au sud.

Afin de priver l’ennemi de sa forêt dissimulatrice, les Américains implantèrent sur place, la base aérienne d’ A Shau. De là, les avions de l’opération « Ranch Hand » décolaient pour « sprayer » leurs défoliants, anéantissant toute végétation.

Juste avant d’entrer dans la vallée d’A Luoi on peut observer ce qui reste de la forêt vierge après l’agent orange : le grand arbre vivant à survécu au défoliant il y a 50 ans, l’autre en est mort et la verdure en dessous est tout ce qui a péniblement réussi à repousser depuis.

Un poison invisible et une vie qui semble si normale

Comme à son habitude, ce buffle se prélasse dans un trou d’eau, il en profite pour s’abreuver. Mais la dioxine qui reste dans la couche de terre entre 40 centimètres et un mètre de profondeur se retrouve en suspension dans ce liquide.
Bien sûr la vie reprend toujours le dessus. Mais les enfants jouent autour des anciens cratères de bombes infectés de dioxine près de l’ancienne piste américaine.

En dehors de la dioxine, rien n’empoisonne la vallée d’A Luoi

Il n’y a jamais eu d’industrie dans vallée d’A Luoi. Refusant de souiller les tombes de leurs ancêtres enterrés dans les champs, les ethnies minoritaires qui la peuplent n’utilisent aucun engrais, pas même du fumier. De nombreux scientifiques internationaux affirment que seuls les produits toxiques déversé par l’armé américaine sont la cause de ces nombreuses maladies.

Victime de l’agent orange, Ho Thi Gia Thu a perdu la vue. Inactive sur son lit, elle tente de retrouver l’image de son singe en peluche.

Les animaux que les populations consomment s’intoxiquent encore dans la zone contaminée de Dong Son

La dioxine ne monte pas dans les végétaux mais est bien présente dans la terre qui colle à ses racines et que les animaux ingèrent en broutant.
Buffle et trou de bombe à l’emplacement de l’ancienne piste américaine d’A Shau.
Les poules grattent et picorent la terre contaminée.

Un village fantôme sur l’ancienne base américaine d’A Shau

La dioxine, non soluble, descend et s’accumule au fond des cratères de bombes.

Christian Brun

Né en 1959 à Brest, il arrive en Suisse à l’âge de 9 ans. Un parcours atypique : électricien auto, technicien dans le traitement de l’eau et pilote de rallye l’amènent à devenir photographe de presse en 2004 au Quotidien de la Côte. S’intéressant aux problématiques des pays émergents, il effectue quelques mandats photos pour l’ONG Terre des hommes en Afrique et en Inde. Aujourd’hui photographe indépendant, il fut lauréat du troisième prix dans la catégorie «Actualité» au SWISS PRESS PHOTO en 2009 et 2013. Il travaille principalement pour le quotidien 24 Heures et l’agence de presse Keystone.

Dang Duc Tue

Diplômé de l’Ecole de journalisme de Lille (ESJ Lille), il est aujourd’hui journaliste indépendant basé à Hanoi (Vietnam) et travaille comme pigiste pour des journaux francophones (Geo, La Croix, Ouest-France, InfoSud…). Il travaille comme fixeur-interprète ou régisseur pour des tournages (télévision ou documentaire) au Vietnam (Thalassa, Echappées belles, Rendez-vous en Terre Inconnue…, ou Arte, Radio-Canada). Il se spécialise depuis 6 ans en enquêtes journalistiques sur l’histoire du Vietnam.

Christian Brun

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