UN REPORTAGE DE DELPHINE WILLEMIN AU CAMEROUN
Les autorités du Cameroun voient-elles d’un bon œil les structures parallèles aux forces de l’ordre, créées par la population pour assurer sa propre sécurité? Ces comités de vigilance ne leur font-ils pas de l’ombre? Les réponses du directeur de la Police judiciaire à Yaoundé, au sein de la Délégation générale à la sûreté nationale.
Beaulys Djom, vous êtes directeur de la Police judiciaire à Yaoundé. Dans beaucoup de quartiers de la ville, la population assure sa propre sécurité via des comités de vigilante. Que pensent les autorités de ces structures?
Nous voyons ces comités d’un bon œil. D’ailleurs, ils se mettent en place avec la bénédiction du pouvoir. Les autorités administratives les répertorient et font des enquêtes pour s’assurer de la moralité des responsables. Dans des cas marginaux, on peut les infiltrer pour obtenir des informations sur leur fonctionnement interne.
N’est-ce pas un aveu de faiblesse des forces de l’ordre? Ou la preuve d’un déficit de policiers?
Il ne s’agit pas de faiblesse. Mais les forces de l’ordre ont besoin du concours de la population. Les comités ne font pas concurrence à nos hommes, ils les appuient. Leurs missions sont simples: ils donnent l’alerte et arrêtent des individus. Cela dit, on n’aura jamais assez de forces de l’ordre pour couvrir tout le territoire. A Yaoundé il y a 3000 policiers, mais tout le monde demande du renfort. Les besoins sont immenses. Nous manquons aussi de moyens logistiques pour faire face aux cambriolages et aux agressions.
Depuis quand ces structures ont-elles émergé et combien en dénombre-t-on aujourd’hui à Yaoundé?
Ces organisations citoyennes sont nées avec l’avènement du multipartisme et les mouvements de protestation des années 1990. Les gens ont voulu se prendre en main en devenant des interlocuteurs des autorités. Je ne saurais vous dire combien de ces comités existent à Yaoundé, car la ville n’arrête pas de grandir et les forces de l’ordre ne vont pas partout. Il est difficile de pénétrer dans les zones reculées, non éclairées. Mais a priori, chaque quartier possède son comité d’autodéfense. Alors comme il y a sept arrondissements comprenant chacun vingt à trente quartiers, il y en n’a pas loin de deux cents je pense.
Quelles conditions les comités de vigilance doivent-ils remplir pour être reconnus par les préfectures?
Les responsables doivent posséder une carte d’identité nationale. Ce doit être des personnes recommandables. Et il est formellement interdit pour les vigiles d’être armés.
Est-ce qu’il existe une collaboration entre les pouvoirs publics et ces structures citoyennes?
Bien sûr. Il y a un échange d’informations. Les comités nous fournissent des données. Ils interpellent les brigands et les remettent à la police. Cette collaboration fonctionne bien, les vigiles ne dépassent pas leurs compétences en général. Mais certains abandonnent leur travail après quelques temps, car ils ne sont que très peu rémunérés. Surveiller les quartiers ne fait pas vivre son homme.
Puisque l’utilité des comités d’autodéfense est reconnue, l’Etat a-t-il l’intention de les aider?
C‘est une question ouverte. Dans le cadre du processus de décentralisation en cours dans le pays, nous menons une réflexion sur la pérennité de ces organisations. A l’avenir, les communes auront plus de moyens pour agir. Peut-être alors qu’elles prendront en charge ces comités.
Propos recueillis par Delphine Willemin, L’Express/L’Impartial
COMPLÉMENT D’ARTICLE :
Un pied dans la forteresse
L’information est un bien protégé de près par le régime camerounais. Surtout lorsqu’il s’agit de sécurité. Obtenir des renseignements fiables est donc une performance.
Pour décrocher l’interview ci-dessus, il a fallu pénétrer dans les méandres de la Délégation générale à la sûreté nationale, à Yaoundé. Au pied du large portail, une sentinelle casquée, mitraillette en bandoulière, filtre la longue file d’attente derrière ses Ray Ban, en mâchouillant son chewing-gum. Un coup de fil au chef de la Cellule de communication nous permet de franchir ce premier obstacle. A l’entrée du bâtiment, deux autres sentinelles prélèvent notre passeport, référençant nos coordonnées. A nous le dédale des couloirs! Déposer une demande d’entrevue dûment motivée à la cellule du courrier. Retourner chercher la réponse le lendemain. L’indication «IG2» tamponnée sur notre missive nous dirige vers l’inspecteur général n°2. Sur place, on nous renvoie chez l’IG1, deux étages et quatre couloirs plus loin. Pas de chance. Il reçoit de 9h à 11h et il est 11h15. Le lendemain, après une heure d’attente au secrétariat, notre missive est examinée. Verdict: il manque la signature du directeur de publication du journal «Le Messager», avec qui nous menons l’enquête. Malheureux hasard, le PDG est décédé trois jours plus tôt. On nous accorde une seconde chance, suivie d’un nouveau refus: il aurait fallu mettre l’en-tête du journal sur la lettre, pour qu’il y ait un responsable en cas de «délit de presse».
Trois jours plus tard, on tente à nouveau l’expérience. Bingo! Une réponse favorable nous ouvrira les portes du directeur de la police judiciaire deux semaines plus tard, soit un jour avant notre vol pour la Suisse. Deux témoins assisteront à l’interview, pour consigner nos questions. Et attention: pas question de prendre des photos. /DWi