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Les B-Girls réinventent le breakdance: quand la force se conjuge avec la grâce

Les B-Girls réinventent le breakdance: quand la force se conjuge avec la grâce

L’arrivée du breakdance aux Jeux Olympiques de Paris 2024 marque un tournant historique. Ce sport, ancré dans la culture hip-hop, se voit enfin reconnaître sur la scène internationale. Le breakdance n’est plus seulement une question de force et d’acrobaties, il est devenu une expression artistique plurielle et inclusive, où chacun peut trouver sa place et s’exprimer librement.

Reportage de Meriem Djouder / Le Jeune Indépendant.

Meriem Djouder (à droite) interviewe la B-Girl Shayna. Photo Cécile Dalla Torre

Le breakdance, connu pour ses acrobaties spectaculaires et ses mouvements énergiques, a toujours été perçu comme un domaine majoritairement masculin. Cependant, à l’ATB, une salle de gym de l’école Hugo-de-Senger, à Genève, deux jeunes filles changent la donne. Maya, 14 ans, et Shayna, 17 ans, sont des B-Girls passionnées qui naviguent avec grâce et détermination au milieu d’une dizaine de B-Boys. Leur présence dans cette salle de gymnastique résonne comme un symbole de diversité et d’inclusivité dans une discipline en pleine évolution.

Chaque mercredi après-midi, l’atmosphère est électrique à l’ATB de Genève. Au cœur de ce ballet énergique, les silhouettes de Maya et Shayna se distinguent. Malgré la tension palpable, leurs mouvements précis et élégants forcent l’admiration des garçons présents. Maya, arrivée la première avec son coach Yury, enchaîne les figures acrobatiques avec une aisance impressionnante. Shayna, quant à elle, trouve dans le break une échappatoire et un moyen de s’affirmer loin des stéréotypes genrés.

Yuri, un coach visionnaire

Le coach de Maya, Yury alias B-Boy Sory, joue un rôle crucial dans leur parcours. Convaincu du potentiel des B-Girls, il les encourage à ne jamais renoncer à leurs rêves. Pour lui, le breakdance est avant tout un travail mental, où la technique et la créativité priment sur la puissance brute. « L’idée que le breakdance est uniquement une question de force physique est une erreur », affirme-t-il, citant l’exemple de B-Girl Vlora, la meilleure de Suisse.

Yury regrette la séparation des disciplines en compétitions, estimant que « les femmes peuvent surpasser les hommes dans certains cas ». Il évoque le Red Bull BC One, où les filles et les garçons s’affrontent séparément. Malgré les défis, il encourage les femmes à découvrir le breakdance, une discipline ouverte à tous.

Maya, malgré sa scolarité et sa scoliose, s’entraîne dur et participe régulièrement à des battles, affrontant des garçons souvent plus âgés et plus expérimentés. Sa passion pour le breakdance est contagieuse. « Je m’entraîne assidûment, je perfectionne mes figures et je participe régulièrement à des battles et des compétitions », explique-t-elle. À seulement 14 ans, Maya ne se voit pas en faire son métier pour l’instant, préférant se consacrer à sa passion tout en aspirant à devenir architecte.

Meriem Djouder (à droite) en entretien avec la B-Girl Maya. Photo Cécile Dalla Torre

Shayna, quant à elle, est une véritable ambassadrice du breakdance. Animant des ateliers dans des écoles et des centres de loisirs, elle partage sa passion et inspire les jeunes générations. Son parcours, débuté à l’âge de 4 ans avec la danse classique, témoigne de sa persévérance et de son talent. « Le break n’a pas besoin de force. C’est avant tout une danse et un sport physique. Il y a l’aspect de la musicalité et de l’originalité », affirme Shayna.

Un combat pour la reconnaissance

Si le breakdance attire de plus en plus d’adeptes, les femmes y restent encore sous-représentées. « Depuis plus de trois ans, leur présence se raréfie, voire s’est complètement éteinte, laissant place à une domination masculine qui ne fait qu’accentuer les inégalités de genre », observe Maïa, animatrice à l’ATB. Les stéréotypes et les discriminations persistent, créant un climat parfois hostile pour les B-Girls. Elles sont souvent confrontées à des remarques sexistes, du harcèlement, voire des abus, ce qui les pousse à abandonner cette discipline qu’elles aiment tant.

Comme d’autres milieux sportifs masculins, le break peut être confronté aux problématiques du harcèlement, des abus sexuels et du manque de respect envers les femmes. Les B-Girls peuvent également être victimes de stéréotypes et de jugements sur leur talent et leur place dans la discipline.

Une danseuse nous a fait part d’agissements problématiques, embarquée dans un crew de danseurs plus âgés et renommés ayant mis «le breakdance suisse sur la carte mondiale». Face à cette situation, l’ATB s’engage à promouvoir le vivre-ensemble et à lutter contre les discriminations sexistes. L’association a pris la décision de mettre en place des accueils séparés pour les filles et les garçons, afin de leur offrir un espace sécurisé et propice à leur épanouissement personnel. Cette initiative permet aux B-Girls d’évoluer en toute confiance, sans se sentir jugées ou intimidées par le regard masculin. Elles peuvent ainsi se concentrer sur leur passion et exprimer leur créativité sans crainte. 

Un environnement de cohésion

L’esprit de famille règne à l’ATB. Malgré les rivalités et l’intensité des battles, une cohésion palpable anime les danseurs. Au début et à la fin de chaque séance, un tcheck symbolique de respect et de reconnaissance rappelle leur appartenance à une même communauté. Cette ambiance conviviale se prolonge au-delà des murs de la salle, avec des repas partagés et des discussions passionnées sur leur discipline.

En Suisse, le chemin est encore long pour que le breakdance soit pleinement reconnu. Les danseurs comme Yury appellent à une plus grande reconnaissance des artistes, citant les difficultés rencontrées par la compagnie suisse Caractère pour se faire un nom. « Le pays a le potentiel de briller sur la scène artistique internationale, mais il doit accorder plus de confiance à ses talents », estime Yury.

Malgré ces défis, les B-Girls comme Maya et Shayna ouvrent la voie à une nouvelle génération de danseuses talentueuses. Leur détermination et leur passion contribuent à faire évoluer les mentalités et à créer une atmosphère positive et motivante au sein de la communauté du breakdance.

Maya et Shayna à l’entraînement. Photo Cécile Dalla Torre

L’intégration aux Jeux olympiques: un avenir prometteur?

L’intégration du breakdance aux Jeux Olympiques de Paris 2024 représente une avancée majeure pour cette discipline. Les B-Girls et B-Boys du monde entier auront l’occasion de briller sur la scène internationale, mettant en lumière leur talent, leur créativité et leur passion. Cependant, cette officialisation suscite des ambivalences. « C’est une chance de donner plus de visibilité à cette discipline. De l’autre, cette officialisation peut dénaturer l’essence du breakdance, ancré dans la culture hip-hop », explique Yury.

Le parcours pour devenir un professionnel du breakdance en Suisse reste ardu. « La discipline manque de reconnaissance et les opportunités sont rares », déplore Yury, qui encourage les danseurs à se diversifier et à explorer d’autres styles de danse pour élargir leurs horizons.

Les pesanteurs sociales et culturelles

Le milieu du breakdance n’est pas exempt de défis sociaux et culturels. L’animatrice de l’ATB, Maïa, observe avec inquiétude la disparition progressive des filles des espaces de loisirs libres et sur inscription. « Depuis plus de trois ans, leur présence se raréfie, laissant place à une domination masculine qui accentue les inégalités de genre », explique-t-elle.

Pour contrer cette tendance, l’ATB s’engage à promouvoir le vivre-ensemble et à lutter contre les discriminations sexistes. Des accueils séparés pour les filles et les garçons ont été mis en place pour offrir un espace sécurisé et propice à leur épanouissement personnel.

L’histoire de Maya et Shayna est un témoignage inspirant de résilience et de détermination. Malgré les obstacles et les stéréotypes, elles prouvent que les femmes ont tout autant leur place dans le breakdance que les hommes. « Les femmes peuvent développer la même force musculaire et exceller dans ce sport », affirme Maïa, citant son modèle, B-Girl Logistix, qui a surpassé tous les hommes lors de la compétition Red Bull BC One.

En partageant leur passion et en inspirant les jeunes générations, Maya et Shayna contribuent à changer les mentalités et à ouvrir la voie à une nouvelle ère pour le breakdance. Leur parcours démontre que, malgré les défis, le breakdance est une discipline vibrante et prometteuse, où chacun peut trouver sa place et s’épanouir.

Fadila Djouder

Fadila Djouder est une journaliste algérienne spécialisée dans le domaine culturel. Elle a obtenu une licence en journalisme en juin 2015 à l’Université Mouloud Mammeri à Tizi-Ouzou et a suivi un stage avancé à la Radio de Tizi-Ouzou d’expression tamazight. Depuis 2016, Fadila a travaillé dans plusieurs publications. Elle a commencé sa carrière en tant que rédactrice titulaire au quotidien Reporters, où elle a travaillé jusqu’en 2019. En 2020, elle a rejoint le quotidien Maghreb Info, puis a continué au site Télégramme Afrique en 2021. En 2022, elle a été journaliste au quotidien l’Express et est actuellement en poste au quotidien Le Jeune Indépendant, où elle s’occupe de la page culturelle. En plus de ses fonctions, Fadila a collaboré avec divers sites culturels de 2017 à 2023, couvrant des sujets tels que le cinéma, le théâtre, la musique et la littérature. Elle parle couramment le français et le tamazight, avec de bonnes notions d’arabe.

Cécile Dalla Torre

Cécile Dalla Torre est journaliste et critique de danse-théâtre au quotidien indépendant Le Courrier depuis 2011, où elle chapeaute la rubrique Scène. Elle y travaille aussi à la rédaction web et à l’édition. Traductrice de formation (ESIT, Paris), elle a notamment étudié à l’université de Salamanca et rédigé et traduit pour l’ONU et ses organisations dans différents pays. Née dans une famille d’artistes, elle a suivi des études musicales avant de se tourner vers les langues et le journalisme culturel ainsi que la communication écrite (Certificate of Advanced Studies CAS, université de Genève). Elle est titulaire du CAS en dramaturgie de l’université de Lausanne.

Meriem Djouder

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