Avec une croissance démographique annuelle de 4 à 7% depuis 1987, Yaoundé est la plus grande ville du Cameroun. Cette hausse constante a conduit à un étalement urbain désordonné, souvent catastrophique pour l’environnement et la santé des habitantes et habitants. Reportage dans les «quartiers spontanés».
Reportage de Vicky Huguelet/arcinfo
Quartier résidentiel Mballa 6, à Yaoundé, Cameroun. En ce mois d’août, la saison des pluies ne va pas tarder. A peine arrivés, nous tombons nez à nez avec un énorme tas de détritus. Il s’agit du lieu de dépôt de déchets officiel du quartier.
Entre les bouteilles en PET, les sacs en plastique et les restes de nourriture se dessine ce qu’on imagine être un étang. Tout autour, la végétation pousse encore. L’odeur est difficilement soutenable.
Un peu plus loin, les maisons, en bois, briques de terre crue, ciment ou tôle, sont généralement bâties à même le sol boueux. L’une d’entre elles a été abandonnée: l’eau a pris le dessus, inondant l’intérieur.
Le quartier a été construit sur des marécages. C’est le genre de lieux qu’on appelle ici pudiquement «quartiers spontanés». Autrement dit, des bidonvilles.
Centre-ville trop cher
A Yaoundé, la démographie est galopante, avec une croissance annuelle qui se situe entre 4% et 7% depuis 1987, selon les chiffres du Bureau central des recensements et des études de population (voir l’encadré).
Résultat: le centre-ville est saturé et trop cher pour les populations pauvres, qui trouvent dorénavant refuge dans des zones autrefois rurales. Elles construisent dans des bas-fonds inondables ou sur des pentes abruptes. Alors que la loi du pays interdit l’installation dans ces zones protégées.
Les terres sont asséchées, les arbres abattus, la biodiversité menacée. Les déchets et les eaux usées sont dispersés aux quatre vents, les autorités n’arrivant pas à suivre le rythme de l’extension de la ville avec les infrastructures nécessaires.
Selon la Communauté urbaine de Yaoundé, l’autorité locale, 60% de la superficie de la ville est constituée de ces quartiers anarchiques.
A Mballa 6, devant la maison du chef, un jeune homme ramasse les déchets qui obstruent les caniveaux. «Ici, nous avons respecté des normes de construction pour éviter les inondations, ce que d’autres ne font pas», relève Celestin Tankeu. Comme les autres chefs de quartier, il sert de tampon entre la population et les autorités de la ville.
Malgré cela, «nous avons parfois l’impression d’être oubliés. Le gouvernement chasse les gens au lieu de proposer des solutions progressives et participatives», regrette-t-il.
Car le quartier a beau être anarchique, cela fait «quarante à cinquante ans» qu’il existe, selon lui. «Dans notre bloc, qui compte environ mille âmes, on ne nous a jamais demandé de déguerpir. Nous avons construit assez loin de la rivière. Mais d’autres doivent s’attendre à quitter les lieux à tout moment.»
C’est une des craintes de Romuald Nsouga Amougou Fuele, chef de Nkolbisson Centre, qui a revêtu la tenue traditionnelle pour nous recevoir.
«Mon quartier était autrefois un village. Quand j’étais jeune, nous pouvions boire l’eau des rivières, nous avions du poisson et des forêts.»
A mesure que Romuald Nsouga Amougou Fuele raconte l’évolution des lieux, les larmes lui montent aux yeux. Il se dit révolté que les gens fassent leurs besoins directement dans les cours d’eau ou y jettent leurs déchets.
Outre l’impact dévastateur sur la nature environnante, il relève aussi les conséquences pour l’être humain: la fièvre jaune et le paludisme se propagent.
Sensibiliser ou sanctionner?
En découvrant Ntougou 2, un autre quartier de la ville, on comprend encore mieux l’étendue des dégâts. Les bas-fonds ont été envahis par les commerces en tous genres. Un panneau «Terrain privé, propriété de la communauté» frise le ridicule.
Au centre du quartier coule un ruisseau. Les déchets sont davantage visibles que l’eau, désormais noire. Barthélémy Emanda Emanda Tsilla, chef des lieux, regrette ce «désordre urbain très important».
Il assure que les chefs et les collectivités essaient «de faire prendre conscience à la population qu’elle doit s’enquérir des règles». Et ce pour «éviter des conséquences graves, comme les inondations». Pour lui, si la sensibilisation échoue, «il faudra sanctionner».
La Communauté urbaine de Yaoundé confirme les problèmes liés à l’étalement urbain. Arnauld Philippe Ndzana coordonne les projets liés au plan d’urbanisme et à l’assainissement. Son poste montre à lui seul la volonté de cadrer le développement de la ville. Même si le chantier s’avère pharaonique.
Il admet que «les autorités doivent parfois chasser les populations des zones inondables ou des flancs de collines. Avec tout ce que ça implique comme risque social.» Déracinés, les gens se déplacent dans des lieux similaires.
«Le règlement prévoit de rénover ce genre de quartier. Mais nous avons besoin de l’aide de l’Etat. Une municipalité n’a pas les moyens de le faire.»
Impliquer toutes les couches de la société
Pour Stanislas Joël Mvondo Ayissi, sous-directeur de l’environnement et du développement durable à la Communauté urbaine de Yaoundé, «l’implication de toutes les parties prenantes est indispensable: l’Etat, les collectivités et la population.»
Les associations et les entreprises privées actives dans l’environnement sont nombreuses et tentent de faire évoluer la situation. Il existe notamment des projets pour trier puis valoriser les déchets, au lieu de les enfouir.
Arnauld Philippe Ndzana conclut: «Il faudrait que le gouvernement développe des villes secondaires pour que tout le monde ne vienne pas dans les grandes villes.»
Des données statistiques imprécises
Pas facile de trouver des chiffres sur la démographie du Cameroun.
«L’enregistrement des événements à l’état civil n’est pas encore ancré dans les mœurs», souligne la dernière enquête réalisée dans le pays par le Bureau central des recensements et des études de population, en 2011. On estime cependant que la population a triplé depuis 1976.
Les taux de fécondité et de mortalité sont tous deux élevés; la population est ainsi très jeune. Claude Mbarga Ella, démographe à Yaoundé, apporte des précisions concernant la capitale du pays.
Comment la démographie de Yaoundé a-t-elle évolué dans l’histoire?
A la base, les lieux étaient peuplés par les autochtones. Yaoundé a été fondée en 1889 par les Allemands pour servir de poste militaire.
Au début des années 1900, l’administration coloniale française en a fait la capitale du Cameroun oriental.
Des infrastructures ont été créées pour l’installation des fonctionnaires. Dès lors, la croissance de la population a été exponentielle. L’exode rural a amplifié la situation: la ville est devenue une zone d’attraction.
De 100 000 habitants dans les années 1960, on est passés à 500 000 dans les années 1980 puis plus d’un million dans les années 2000. Aujourd’hui, la population est estimée entre 3,5 et 4,5 millions d’habitants.
Cela dit, les gens font désormais moins d’enfants. D’abord parce que la mortalité infantile baisse. Aussi, il devient plus compliqué de se rencontrer en ville, en raison des différences de culture, de traditions ou encore de religions. Enfin, les femmes ne veulent plus forcément faire des enfants, ou moins.
Yaoundé est-elle surpeuplée?
Yaoundé compte moins de 15 000 habitants par kilomètres carrés, on ne peut donc pas parler de surpopulation. La ville s’étend vers les périphéries, il n’y a pas de concentration.
Selon vous, cette extension va-t-elle continuer?
Oui, mais elle va stagner. Les jeunes ne trouvent pas de travail en ville. Désormais, ils optent pour un domaine professionnel correspondant à la localité dans laquelle ils sont nés.
S’ajoutent l’impossibilité de trouver un toit et les enjeux familiaux dont j’ai parlé. D’autres zones se développent donc à leur tour.