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Comment le Sénégal cherche à devenir l’un des spots du surf mondial

Comment le Sénégal cherche à devenir l’un des spots du surf mondial

Depuis une quinzaine d’années, le surf se démocratise sur la côte de Dakar. Le Sénégal veut devenir une référence dans le domaine. Mais les défis financiers et logistiques restent importants pour faire briller les jeunes talents à l’international.

Reportage texte et photos Sophie Dorsaz / Le Nouvelliste

Jim Ndiaye, surfeur dakarois, devant la fameuse «droite» de l’île d’Ngor. Une vague rendue célèbre par le légendaire film de surf «The Endless Summer» tourné en 1966.

La terrasse du Surf Paradise, dans le quartier des Almadies à Dakar, surplombe l’océan. Quelques mètres en contrebas, la houle vient s’écraser contre la digue qui protège les bâtiments de l’avancée des eaux. En ce dimanche matin de juillet, les vagues sont encore vierges de surfeurs.

Ils arriveront plus tard dans la journée. Malgré la saison chaude et humide, qui court jusqu’en septembre, on surfe douze mois par an aux Almadies, comme aux autres spots de la presqu’île de Dakar, Secret, Virage, Yoff ou encore Ngor.

C’est ce que souligne Oumar Sèye, le propriétaire des lieux. Premier surfeur professionnel sénégalais, il est depuis avril 2023 à la tête de la Confédération africaine de surf et vice-président de la Fédération sénégalaise de surf. Celui qui s’est fait connaître sous le nom de «Black Surfer» revient sur le dilemme cornélien auquel il a dû faire face il y a une trentaine d’années pour vivre des vagues. «Je viens d’une famille polygame. Ma mère était coépouse et ne voulait pas que je surfe. La donne était simple: soit j’arrêtais ce sport et pouvais rester à la maison, soit je continuais et devais la quitter.» Entre son foyer familial et l’océan, il choisit ce dernier. «Je vivais avec mon oncle qui avait une petite cabane de plage. Je ne pensais qu’à l’aider, surfer et dormir.»

Jusqu’au jour où le directeur commercial européen de la marque Rusty le repère et lui fait signer son premier contrat professionnel en 1999. Depuis tout s’est emballé pour Oumar Sèye, qui est aujourd’hui la voix des surfeurs du continent africain.

«J’ai changé l’image du surf sénégalais. Avant, on voyait ça comme un sport de baba cool. Maintenant, les gens savent que c’est une discipline exigeante grâce à laquelle on peut réussir», argue-t-il avant de nous montrer une cabane en bois en cours de construction sur la terrasse du Surf Paradise. «En souvenir de la petite cahute de mon oncle, où tout a commencé…»

Dans une école de surf de l’île d’Ngor, un dessin illustre la presqu’île de Dakar et ses nombreux spots de surf aux différentes expositions.

Professionnaliser la pratique

A Yoff, au nord de la presqu’île, la grande plage de sable est bondée en cette fin de semaine. Familles dakaroises et surfeurs locaux et étrangers se partagent l’océan sous un soleil de plomb. «La plage est fréquentée depuis 2010, année à laquelle l’association des maîtres-nageurs de Yoff s’est fait reconnaître par l’Etat sénégalais. Avant la baignade était interdite», explique Marta Imarisio, propriétaire de l’école de Malika Surf Camp. La première de tout le littoral, ouverte cette année-là.

Depuis, les écoles proposant des locations de planches et des cours se sont multipliées. On en compte une quinzaine et quasi toutes sont en mains sénégalaises ou tenus par des gérants binationaux. «Des étrangers viendront certainement, comme ça se fait au Maroc ou ailleurs, mais ce n’est pas grave. On sait que la base est locale», commente Oumar Sèye.

Pour lui, ce qui importe surtout pour le développement du surf au Sénégal, c’est que la pratique se structure. Il travaille à la mise en place de formations professionnalisantes en lien avec le surf, dont un brevet d’Etat sénégalais pour former des monitrices et moniteurs de surf.

Actuellement, la fédération nationale compte 600 licenciés, mais Oumar Sèye estime à 3000 le nombre de résidents, sénégalais ou étrangers, adeptes de la discipline.

Oumar Sèye, président de la Confédération africaine de surf et premier surfeur sénégalais professionnel, dans son complexe, le Surf Paradise à Dakar.

Briser le plafond de verre

Structurer la pratique sur les plages est une chose, mais briller à l’international en est une autre. Et là aussi, le président de la Confédération met la compresse pour que le Sénégal et ses talents soient reconnus à leur juste valeur.

En 2019, il a réussi à faire venir à Dakar une étape des qualifications pour les championnats du monde de surf. Et une fois par an, la fédération nationale organise la journée internationale du surf ouverte à tous.

«Mais aujourd’hui, cela reste très difficile pour les surfeuses et surfeurs sénégalais de participer aux compétitions de l’International Surfing Association (ISA) qui permettent de se qualifier pour les Jeux olympiques (JO) par exemple. Elles ont souvent lieu en Californie ou au Salvador, ce qui pose des problèmes financiers et de visa…», résume Marta Imarisio, qui coache entre autres la double championne sénégalaise Déguène Thioune (lire cidessous).

Chérif Fall incarne bien la difficulté de briser le plafond de verre. Nonuple champion du Sénégal, l’athlète de 27 ans n’a pas pu se rendre à la dernière compétition des qualifications pour les JO 2024 de Paris à Porto Rico, faute de moyens financiers. Il aurait été le premier surfeur de l’Afrique subsaharienne à concourir à des JO.

Des compétitions en Afrique, pour l’Afrique

Face à ces blocages structurels du surf professionnel et pour offrir une scène aux surfeurs africains, la Confédération a mis sur pied l’Africa Tour. «Le but est de faire passer ce tour dans des pays que l’on ne considère pas encore assez, mais qui ont une vraie carte à jouer, comme le Liberia, la Côte d’Ivoire ou le Sénégal», détaille Oumar Sèye.

«Ce tour doit permettre aux surfeurs et surfeuses du continent de gagner leur vie en Afrique.» Et d’offrir une vitrine mondiale pour tous les amateurs de vagues.

Un soir de juillet aux Almadies. Habitants et touristes profitent des dernières vagues de la journée.

Pas de compétition de surf aux JOJ 2026 à Dakar

En 2026, la capitale sénégalaise accueillera les Jeux olympiques de la Jeunesse (JOJ). Les premières joutes olympiques sur sol africain. Un événement international que les représentants du milieu du surf attendent avec impatience.

Mais voilà, mi-juin, le Comité international olympique annonce que sur les 35 disciplines présentées lors de la grand-messe sportive, 25 figureront au programme des compétitions et 10 seront dans le programme de mobilisation, soit de démonstration. Et le surf entre dans cette dernière catégorie. Oumar Sèye, président de la Confédération africaine de surf se dit très déçu et ne comprend pas cette décision. «Le surf est un facteur de développement pour le Sénégal et plus généralement toute l’Afrique de l’Ouest.» Mais il ne compte pas pour autant baisser les bras. Il songe déjà à créer tout de même des compétitions avec des médaillés. «Pour valoriser nos athlètes!»

Marta Imarisio, impliquée dans la commission chargée du développement au sein de la Confédération africaine de surf est plus modérée. «Même sans compétition, c’est tout de même une opportunité unique. Les jeunes surfeurs locaux pourront faire des démonstrations et faire rayonner leur sport.»

En trois ans, cette jeune Sénégalaise s’est hissée au sommet: «La première fois, je n’osais même pas me mettre debout sur mon surf»

Double championne de surf du Sénégal, Déguène Thioune, Dakaroise de 18 ans, a empoigné sa première planche en 2021. Un exemple de persévérance et d’émancipation pour les surfeuses du littoral.

«Viens voir, il y a des gens qui dansent sur l’eau». Ces mots, rapportés par sa petite sœur, Déguène Thioune ne les oubliera jamais. C’était en 2021, quelques années après qu’elle et sa famille ont emménagé à Yoff, un quartier de Dakar sur la côte nord du littoral.

Un exil forcé par la montée des eaux qui a englouti la maison dans laquelle ils vivaient en banlieue de la capitale. Un événement tragique, qui a toutefois changé la trajectoire de vie de la jeune femme, issue d’une famille de pêcheurs.

A 18 ans et avec seulement trois ans d’expérience sur la planche, Déguène Thioune a décroché le titre de Championne du Sénégal en 2022 et 2023 et celui de vice-championne d’Afrique dans la catégorie junior, en parallèle de sa scolarité. Cette année, elle a déjà remporté la première étape de l’Africa Tour au Liberia.

Derrière une timidité apparente, Déguène Thioune cache un caractère de lion, qui lui a permis de se hisser au sommet du surf sénégalais en seulement trois ans.

Un caractère de lion, l’emblème du Sénégal

Les pieds dans le sable de la plage sur laquelle tout a commencé, le regard plongé dans l’océan, Déguène Thioune se montre timide au moment de se raconter.

«J’ai adoré ma première fois sur une planche. Mais j’étais la plus nulle, sincèrement. Je n’osais même pas me mettre debout. Ça me faisait peur.» La discipline et la persévérance ne font toutefois pas peur à la jeune fille, déjà active dans le rugby, la boxe, le handball et le volleyball. «C’est sa force», souligne sa coach Marta Imarisio de l’école de surf Malika Surf Camp. «Elle accepte les défis et ne craint pas les difficultés.»

Sa timidité en interview l’a fait d’ailleurs sourire. «Déguène, c’est une fille qui dit ce qu’elle pense. Même dans l’eau on l’entend, elle ne se laisse pas piquer des vagues!» Une réserve qui cache un caractère de lion, à l’image de l’emblème du Sénégal.

Un modèle pour les jeunes filles

Enfant, Déguène Thioune montrait déjà un penchant pour l’activité physique. «Je sortais jouer au foot dans la rue. On me traitait de ‘fille-garçon’, mais je m’en fichais, j’aimais ça», confie-t-elle.

Dans sa famille, le sport est érigé en art de vivre. «Mes parents ont grandement contribué à mon parcours», concède-t-elle, consciente de sa chance.

Dans le milieu du surf sénégalais, la place des femmes ne se discute plus. Les programmes de formation incluent toujours les deux sexes et au large, le respect prime. «Même au niveau de la société, on sent de moins en moins de blocages de la part des parents pour laisser leur fille surfer», analyse Marta Imarisio.

Rêver grand pour représenter son pays

Pour autant, la route vers l’égalité est encore longue selon Déguène Thioune. A ses yeux, certains schémas bien ancrés méritent de tomber. «On entend encore trop de personnes prôner que la place de la femme est à la cuisine. Je veux leur prouver que nous aussi on peut réussir, notamment grâce au sport et au surf.»

Son idole à elle, c’est Tatiana Westen-Weeb, une surfeuse professionnelle américanobrésilienne. Et quand elle n’est pas à l’eau, Déguène Thioune avale ses vidéos sur Internet pour en prendre de la graine. «Avant de partir au Maroc pour l’Africa Surfing Games où les vagues étaient impressionnantes, j’analysais ses manœuvres. Je me suis vraiment inspirée de ses mouvements pour améliorer mon style.»

Du haut de ses 18 ans, la Dakaroise rêve aussi de compétitions internationales pour porter haut les couleurs de son pays. Mais elle le sait, pour le moment, il est encore difficile d’obtenir des visas pour voyager hors de l’Afrique. Une difficulté contre laquelle la Fédération nationale sénégalaise de surf se bat pour promouvoir ses talents.

En attendant, Déguène Thioune déjoue un maximum de vagues, chez elle, à Yoff, aux côtés de sa sœur. Ce sont désormais elles qui dansent sur l’eau.

Sophie Dorsaz

Fatou Ndiaye

Je m’appelle Fatou Ndiaye, je suis journaliste à la rédaction de Sud Quotidien (Dakar, Sénégal). Étant affectée au desk Société et Environnement de ma rédaction, je travaille sur tout ce qui touche à la justice et aux droits humains de manière générale. En tant que militante des droits des femmes, j’accorde une attention particulière à tout ce qui touche les femmes et les enfants dans mon pays. Journaliste spécialisée en environnement, je me passionne aussi à faire des reportages et des investigations sur les impacts des changements climatiques sur les communautés côtières. Les découvertes pétrolières et gazières dans mon pays auront sans nul doute des impacts sur les populations des zones d’emprise. Déjà confrontées à une vulnérabilité, les femmes risquent d’être beaucoup plus affectées et souvent, leur voix n’est pas prise en compte. Je travaille désormais avec des organisations de la société civile au Sénégal afin de mieux porter leurs doléances. Je totalise une dizaine d’années d’expérience dans le journalisme. Au cours de ma carrière, j’ai été récompensée pour des productions que j’ai réalisées.

Sophie Dorsaz

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