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Sur les plages de Dakar, le surf comme promesse d’avenir pour les jeunes

Sur les plages de Dakar, le surf comme promesse d’avenir pour les jeunes

Par du soutien scolaire et des cours de surf, la fondation Surfkids shredding Senegal offre repères et perspectives aux jeunes surfeuses et surfeurs de Dakar. Dans la vie et sur l’eau.

Reportage texte et photos Sophie Dorsaz / Le Nouvelliste

Le matin du soutien scolaire, l’après-midi du surf. Les enfants de la fondation Surfkids shredding Senegal bénéficient d’un programme complet. Ce jour-là, ils sont encadrés sur l’eau par Mamadou Mbengue, ex-champion de surf de l’Afrique de l’Ouest.

«Lisez une page du livre et copiez un mot de votre choix. Allez, allez, restez concentrés!» Sur la terrasse du Malika Surf Camp à Dakar, qu’elle a monté avec son mari Aziz Kane, l’Italienne Marta Imarisio encourage cinq jeunes de la capitale dans leurs devoirs.

La chaleur moite de ce mois de juillet couplée à leur trépidante envie de défier les vagues rend la tâche un peu ardue. Ils ont entre 10 et 12 ans et leur passion n’est pas dans les livres, mais sur l’océan. «Je veux surfer des rouleaux, moi», lance Ablaye en faisant le shaka, signe de la main distinctif des surfeurs. Hors vacances scolaires, ce groupe gonfle à une cinquantaine de jeunes entre 10 et 21 ans.

Tous bénéficient du soutien de la fondation Surfkids shredding Senegal, que l’on peut traduire par «les enfants du surf qui déchirent au Sénégal». Le but de la fondation, créée par le couple italo-sénégalais en 2019, est de leur permettre de devenir indépendants grâce à l’éducation ou à la formation dans des professions en lien avec le surf, la mise à disposition de matériel adéquat et un soutien jusque dans les compétitions internationales.

«Tout a commencé en 2019, pendant une étape de la coupe de surf du Sénégal. Beaucoup de jeunes surfeurs sénégalais inscrits n’appartenaient à aucun club. Ils se débrouillaient avec ce qu’ils avaient: une planche cassée ou récupérée mais pas à la bonne taille…», explique l’Italienne au caractère bien trempé, qui a ouvert la première école du littoral sur la plage de Yoff en 2010.

Ce constat pousse le couple à former un club pour les habitants locaux, en plus de leur école et de leur surf camp dédiés aux touristes.

L’histoire démarre avec cinq enfants, à qui ils mettent à disposition des combinaisons et des planches. Le bouche-à-oreille double rapidement ce nombre.

Toute la vie de Marta Imarisio et de son mari Aziz Kane tourne autour du surf. Après avoir monté une école de surf et un hébergement dédiés aux touristes, ils ont mis sur pied une fondation pour les jeunes talents locaux.

Le Covid comme tournant

En mars 2020, la pandémie de Covid-19 précipite les choses. «En quelques jours, le camp s’est vidé, tous nos clients sont repartis. Et les centres scolaires ont fermé.» Pour pallier ce vide, Marta Imarisio et Aziz Kane proposent aux parents des enfants qu’ils coachent de les loger au surf camp.

«Durant trois mois, nous avions quinze jeunes surfeuses et surfeurs ici. On faisait des entraînements dans l’eau et chacun avait une tâche à remplir dans la maison.»

En plus de cela, le couple engage deux professeurs pour poursuivre le programme scolaire. Les résultats sont là, certains jeunes font des bonds phénoménaux sur l’eau et en cours. Selon la méthode qui leur a réussi jusque-là, «sans plan fixe mais avec un but clair», le couple structure leur aide et crée la fondation. Ils nouent des partenariats avec des entreprises privées et bénéficient de fonds publics, comme celui de l’Agence française du développement à travers le programme Héritage des JO de Paris.

«Un budget annuel de 15 000 euros nous permettrait de tous les scolariser dans des écoles privées où les horaires sont respectés, contrairement à l’école publique.»

Avant d’aller à l’eau, les enfants apprennent à lire l’océan et ses courants, sous l’œil de Marta et de leur coach Mamadou.

Offrir le cadre qui manque

Car si l’océan ne s’affronte pas sans repère, il en va de même de la vie quotidienne dakaroise. Et les enfants de la fondation en manquent, parfois cruellement. «La plupart sont issus de parents divorcés. Les mères travaillent durant la journée et n’ont pas la possibilité de les encadrer. Les petits sont donc livrés à eux-mêmes.»

D’autres histoires sont particulièrement poignantes. Comme celle de ce jeune surfeur, orphelin à la suite du décès de sa maman et au départ de son père vers l’Europe sur une pirogue illégale.

Un vivier de talents

«Le sport peut leur transmettre la patience, la discipline, le respect et la persévérance. Des valeurs utiles au quotidien», souligne Aziz Kane.

Beaucoup de ces enfants sont par ailleurs originaires de familles léboues, des pêcheurs traditionnels. «Le surf leur donne une autre perspective que celle de la pêche, dont les revenus fondent à cause de la surpêche et des activités illégales.»

Entre l’école de surf et la fondation, les actions de Marta Imarisio et Aziz Kane ont déjà fait émerger de solides talents, tels qu’Ismaïla Samb, champion du Sénégal en 2022 ou la jeune Déguène Thioune, vicechampionne d’Afrique et double championne du Sénégal.

Il est 13 heures. Les enfants sont libérés de leurs cahiers. Il est temps d’empoigner les planches. Sur la plage, ils sont encadrés par Mamadou Mbengue, ex-champion de surf de l’Afrique de l’Ouest, formé comme moniteur grâce à la structure du Malika Surf Camp.

La nouvelle génération de surfeurs sénégalais ne rêve qu’à concourir au niveau international.

«Quand j’ai commencé, on était une poignée d’enfants au milieu d’étrangers. C’est génial de voir autant de jeunes du coin à l’eau et dans de meilleures conditions que les nôtres au début…»

A quelques pas de là, sur la plage de Yoff, une autre école de surf, celle d’Ali Diagne. Lui aussi a été formé par le couple italo-sénégalais.

Aujourd’hui, en plus de son business avec des touristes étrangers, il organise des leçons gratuites pour les jeunes. «Ça nous permet également de les sensibiliser à la protection de l’environnement, aux problèmes de la pollution et des déchets. Quand l’océan est une source de plaisir, on veut le protéger!»

Pape Samba Ndiaye est l’un des pionniers de la discipline au Sénégal. A ses yeux, emmener gratuitement des enfants sur les vagues est une évidence. Pour lui, comme pour les autres gérants d’écoles, business et social ne peuvent être dissociés. «On veut laisser une trace. Pour le pays et pour les jeunes!», résume-t-il.

Sur les plages de Dakar, plus qu’un sport, le surf est une promesse d’avenir. Et toute une génération se tient prête à en découdre… avec l’océan et la vie.

Pape Diouf, l’un des premiers «shapers» sénégalais

Le surf peut faire naître une passion, des champions, mais aussi de nombreuses professions. Dans son cabanon sur la plage de Yoff, Pape Diouf est l’un des premiers constructeurs de planches Sénégalais. Un «shaper», dans le jargon.

En peaufinant les derniers détails d’une planche commandée pour un client turc expatrié dans la capitale, il témoigne. «C’était un rêve que j’ai réalisé grâce à un Libanais qui a donné une petite formation ici en 2018.»

Le surfeur se débrouille ensuite pour en apprendre davantage et se fournir en matières premières entre la France et le Sénégal. Depuis, il a lui-même formé deux personnes à la réparation de planches.

«Désormais le Sénégal a toutes les compétences qui entourent la pratique du surf.» Une fierté et une revanche pour cette génération qui regardait avec envie les touristes et expatriés sur de belles planches.

«Quand on a appris avec du matériel cassé, on profite désormais de chaque vague», sourit-il.

Pape Diouf (à droite) est l’un des premiers constructeurs de planches sénégalais. Un «shaper», dans le jargon.


—Commentaire—

Au Sénégal, surfeurs, migrants et déplacés climatiques liés par le sang et l’eau

Sophie Dorsaz livre ses impressions après son séjour au Sénégal.

S’intéresser à la pratique du surf à Dakar me semblait anodin. Il n’en est rien. Sur cette presqu’île du nez de l’Afrique, parler de surf, c’est toucher à l’océan. Et ici, l’étendue bleue est plurielle. Théâtre des plus grands drames comme des nouveaux espoirs.

Les villages côtiers sont peuplés par l’ethnie des Lébous, des pêcheurs traditionnels. Pour eux, l’océan est un environnement sacré que l’on apprend à connaître et à dompter. Un lieu de travail et une précieuse source de revenus.

En plongeant dans le passé, sur l’île de Gorée, à une vingtaine de minutes de chaloupe au sud de Dakar, l’incontournable visite de la «Maison des esclaves» apporte une nouvelle dimension à cette barrière naturelle. La petite porte face à l’Atlantique, qu’ont franchie des milliers de femmes, d’enfants et d’hommes capturés, représentait le couperet d’un voyage sans retour.

Deux siècles plus tard, les côtes ouest et nord de Dakar offrent une nouvelle image du pays en se forgeant une solide réputation dans le milieu du surf. Ici, les différentes orientations des spots permettent de surfer douze mois par an. Sur la plage de Yoff, les écoles de surf se développent et la formation des habitants se structure.

Pourtant, le grand bleu suscite aussi la crainte des habitants de la côte. La montée des eaux a déjà englouti des habitations, condamnant des familles à l’exil, dont celle de la championne de surf du Sénégal, Déguène Thioune.

Et lorsque le jour s’éteint, le sable de ces plages supporte les pas de ceux qui s’élancent à cœur perdu dans le ventre de l’Atlantique. Une opération risquée, non plus forcée par un marchand d’esclaves, mais par un désespoir tel que l’ailleurs semble la seule solution. Mais les vagues fluent et refluent, effaçant rapidement les empreintes de ces voyageurs de l’ombre. Et au petit matin, la nouvelle génération de surfeuses et surfeurs sénégalais se jette à l’eau avec joie et détermination. Avec, au fond des tripes, cette féroce envie de dompter la vague qui a emporté certains de leurs proches, à l’image de ce jeune surfeur dont le père a embarqué pour l’Europe.

S’immerger au cœur du surf sénégalais, c’est comprendre que pêcheurs, migrants, déplacés climatiques et sportifs sont liés par le sang et l’eau.

Décomplexés, courageux, résilients ou optimistes, ces enfants du littoral ont toutefois décidé de se jouer du bouillonnement des eaux de l’existence. D’écrire une nouvelle page d’histoire de leur pays, qui depuis des siècles entretient une relation aussi complexe que tourmentée avec l’océan.

«Nul ne peut éviter les courants de la vie. Ramer c’est vivre, tout arrêt est mortel», disait l’écrivaine sénégalaise Fatou Diome.

Et lorsque le jour s’éteint, le sable de ces plages supporte les pas de ceux qui s’élancent à cœur perdu dans le ventre de l’Atlantique.

Sophie Dorsaz

Fatou Ndiaye

Je m’appelle Fatou Ndiaye, je suis journaliste à la rédaction de Sud Quotidien (Dakar, Sénégal). Étant affectée au desk Société et Environnement de ma rédaction, je travaille sur tout ce qui touche à la justice et aux droits humains de manière générale. En tant que militante des droits des femmes, j’accorde une attention particulière à tout ce qui touche les femmes et les enfants dans mon pays. Journaliste spécialisée en environnement, je me passionne aussi à faire des reportages et des investigations sur les impacts des changements climatiques sur les communautés côtières. Les découvertes pétrolières et gazières dans mon pays auront sans nul doute des impacts sur les populations des zones d’emprise. Déjà confrontées à une vulnérabilité, les femmes risquent d’être beaucoup plus affectées et souvent, leur voix n’est pas prise en compte. Je travaille désormais avec des organisations de la société civile au Sénégal afin de mieux porter leurs doléances. Je totalise une dizaine d’années d’expérience dans le journalisme. Au cours de ma carrière, j’ai été récompensée pour des productions que j’ai réalisées.

Sophie Dorsaz

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