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En Suisse, les élues du canton de Vaud entendent préserver leurs acquis

En Suisse, les élues du canton de Vaud entendent préserver leurs acquis

UN REPORTAGE EN SUISSE DE ZEINA ANTONIOS

 « On ne peut que se réjouir d’avoir aujourd’hui cinq femmes ministres sur sept, mais si on ne surveille pas, c’est fini », estime la féministe Martine Gagnebin.

Dans un paysage suisse en pleine effervescence sur les revendications féminines (voir encadré sur la grève des femmes hier), le canton de Vaud fait figure d’exception en matière de représentation des femmes en politique : 70 % des ministres qui siègent au Conseil d’État à l’heure actuelle sont des femmes. Si aujourd’hui cinq femmes (sur sept ministres) occupent les ministères du canton jusqu’en 2022 (Cesla Amarelle, Parti socialiste ; Rebecca Ruiz, PS ; Nuria Gorrite, PS ; Béatrice Métraux, Verts ; Jacqueline de Quattro, Parti libéral-radical, droite), il n’en reste pas moins que la menace d’un retour en arrière au niveau de la représentativité paritaire dans le canton est bien présente.

« Les choses avancent lentement, mais il ne faut pas relâcher les efforts. Il y a encore une mentalité patriarcale en certains endroits, confie Jacqueline de Quattro, qui dirige le département du Territoire et de l’Environnement. J’ai dû me battre tôt et me débrouiller entre ma vie de famille et les ambitions légitimes d’une femme. » « Avoir une majorité de femmes au gouvernement, ça a quand même aidé à faire bouger les choses, à travers une gestion des politiques publiques en faveur de la femme », explique la ministre. Elle a réussi à faire adopter une loi sur l’organisation de la lutte contre la violence domestique et défend à l’heure actuelle un projet de loi bientôt soumis au Parlement et interdisant les publicités sexistes. Elle a également travaillé à l’introduction d’un contrôle de l’égalité salariale dans le cadre des marchés publics et des subventions.

Pour Jessica Jaccoud, députée au Grand Conseil et présidente du PS vaudois, il existe un « risque de revenir en arrière à cause de la montée des forces populistes dans le pays ». « On a toujours eu de grandes figures féminines au PS. Nous sommes titulaires d’un héritage qui met les femmes en avant, davantage que les autres partis. Sur les listes de droite par exemple, les femmes sont biffées par les électeurs », explique-t-elle. « Il faut convaincre les femmes qu’elles ont leur place en politique et l’appareil politique doit les encourager à se présenter aux élections. Il faut aussi que les électeurs soient convaincus par la parité », souligne Mme Jaccoud.

Même son de cloche du côté de Martine Gagnebin, présidente de l’Association des droits des femmes à Vaud (ADF-Vaud) et grande figure de la lutte féministe. « On ne peut que se réjouir d’avoir aujourd’hui cinq femmes ministres sur sept, mais si on ne surveille pas, c’est fini, on retombe vite. La parité n’est pas acquise », estime-t-elle. « Dans certains partis de droite, certains se méfient des femmes. Ils doivent se demander s’ils peuvent faire confiance à une femme qui n’a pas assez de bagage politique, souligne Mme Gagnebin. De plus, beaucoup de femmes disent que la politique ne les intéresse pas parce qu’elles ont l’impression qu’elles ne pourront rien changer, même si elles s’engagent. Je leur dis que, au contraire, elles pourront être partie prenante de leur propre vie. » 

Sentiment d’illégitimité

Séverine Evéquoz, députée au Grand Conseil affiliée au parti des Verts, est membre du collectif féministe Politiciennes.ch. Créé en 2016, ce réseau « de femmes politiques qui encouragent les femmes en politique », quelle que soit leur appartenance, fait tout pour mettre les candidatures féminines en avant.

« Les statistiques montrent que quand les femmes se présentent, elles sont élues ! explique Mme Evéquoz. Mais la difficulté, quand on est une femme, c’est d’être prise au sérieux par les autres parlementaires. Les femmes se sentent moins légitimes à parler de certains sujets comme l’économie. Il est également difficile pour nous de parler du harcèlement de rue, par exemple. Certains hommes nous soutiennent mais ne prennent pas la parole pour le dire. »

Alice Glauser, députée de l’Union démocratique du Centre (extrême droite), évoque également ce sentiment d’illégitimité politique dont souffrent certaines femmes. « Les femmes de droite ont longtemps estimé qu’elles étaient bien représentées en politique par les hommes. Je pense qu’il faut beaucoup plus de femmes en politique. La gauche dans notre Parlement a la quasi-parité, alors que la droite est loin de la parité », déplore Mme Glauser. Faut-il instaurer des quotas de femmes en politique pour autant? « Je suis relativement contre les quotas, ce serait mieux d’avoir en politique des femmes qui ne soient pas des alibis », indique la députée, qui dit privilégier l’accès des femmes en fonction de leurs compétences.

Pour Éléonore Lépinard, chercheuse en études de genre à l’Université de Lausanne, le quota s’impose comme une nécessité si on veut faire bouger les choses : « Je pense que s’il y avait d’autres moyens que les quotas, ça se saurait. Les quotas ont prouvé qu’ils fonctionnaient. Les partis de gauche n’ont pas besoin d’être convaincus de l’intérêt des quotas. Le problème, c’est de convaincre la droite réticente à prendre des mesures concrètes, à cause d’une absence de volonté politique allant dans ce sens. Les femmes politiques de droite sont nombreuses à vouloir introduire des réformes dans leurs partis. »

« Je suis pour les quotas car on n’arrivera jamais à rien sans, mais après, il faut pouvoir les lâcher », estime pour sa part Martine Gagnebin, qui préconise par ailleurs « moins d’acharnement politique ou médiatique » sur les femmes engagées en politique. « En politique, on laisse moins passer les erreurs commises par les femmes », conclut-elle.

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Zeina Antonios

Zeina Antonios est journaliste et reporter basée à Beyrouth. Elle s’est lancée dans le journalisme il y a une dizaine d’années, couvrant une multitude de sujets. Elle est titulaire d’un master recherche en lettres françaises. Elle est également enseignante à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth où elle assure des cours sur l’écriture journalistique et les tendances du web.

Selver Kabacalman

Selver Kabacalman est une journaliste suisse basée à Lausanne. Correspondante pour la cellule vaudoise du Courrier depuis septembre 2017, elle jongle au quotidien entre des sujets politiques et sociétaux. Elle est titulaire d’un master en science politique de l’Université de Genève. Avant d’exercer ce métier, elle a travaillé pour les Nations Unies et Human Rights Watch. Elle parle couramment trois langues: français, anglais et turc.

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