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L’aide humanitaire en Haïti, regard de la diaspora haïtienne en Suisse

L’aide humanitaire en Haïti, regard de la diaspora haïtienne en Suisse

LE REPORTAGE DE DANIO DARIUS EN SUISSE – MEDIA DE REFERENCE : RADIO MAGIK

Le sentiment des Haïtiens vivant en Suisse par rapport à la situation d’Haïti trois ans après le tremblement de terre n’a rien de réjouissant. Ils s’en prennent à l’aide humanitaire suisse  qui  selon eux a été un véritable échec.

Jean Wilfrid Fils Aimé est un Haïtien qui vit en Suisse depuis plus de vingt cinq ans. Professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), l’une des meilleures en Europe, ce natif de Jacmel, directeur du Club Haïtien de Suisse, fut la référence pour parler de la situation d’Haïti après le tremblement de terre du 12 janvier 2010 dans les médias de ce pays de l’Europe de l’Ouest. Aujourd’hui, trois ans après, trouver une interview avec lui n’est pourtant pas chose facile. Sa déception est bien trop grande.

« Je ne voulais plus parler de la situation d’Haïti », a déclaré M. Fils Aimé déçu de l’absence d’impact de l’aide suisse en Haïti. Plus de soixante six millions de francs ont été collectés pour Haïti après le tremblement de terre, selon les chiffres fournis par les responsables de la Chaine du Bonheur, une organisation suisse chargée de gérer les fonds.

« Nous nous sommes donnés corps et âme dans toutes les activités entreprises en vue de collecter l’argent pour Haïti », se souvient Jean Wilfrid Fils Aimé. Un centre pour recevoir les appels des citoyens Suisses qui voulaient contribuer au fond avait été mis sur pied. Avec d’autres compatriotes, l’ingénieur s’était transformé en agent pour répondre aux appels et noter les informations.

« Les Haïtiens de Suisse, environ mille cinq cents, étaient très motivés à collaborer tant qu’ils croyaient que ces fonds allaient servir à faire bouger les choses. Mais aujourd’hui, murmure Jean Wilfrid Fils Aimé, on se rend compte qu’on s’était grandement trompé ». Il pense que la majorité des projets réalisés en grande partie dans des zones qui n’ont pas été les plus touchées par le séisme n’ont pas eu les résultats escomptés.

Selon lui, « Assistance mortelle », le film de Raoul Peck qui critique l’aide humanitaire en Haïti, reflète bien la réalité. « C’est un échec total », dit-il avant de déduire que si l’aide évaluée en milliards de dollars a échoué à ce point en Haïti, elle échouera partout.

Les Haïtiens ont été mis à l’écart
« Les Haïtiens auraient pu mieux faire », croit fermement Jean Wilfrid Fils Aimé. Il regrette que sur les soixante projets financés par la Chaine du Bonheur, un seul a été soumis par les Haïtiens vivant en Suisse. « Les autres ont été présentés par des étrangers qui ne connaissent même pas la réalité du pays », fulmine M. Fils Aimé rappelant que son organisation à elle seule a soumis cinq projets portant sur la recherche scientifique, l’éducation, la culture, les nouvelles technologies de l’information et de la communication et le développement économique.

« Après de nombreuses discussions, ils ont finalement approuvé un seul de nos projets. Il s’agissait de la construction d’un centre d’accueil et d’apprentissage à Jacmel », a fait savoir M. Fils Aimé, précisant que ce projet a été approuvé uniquement parce le Club Haïtien de Suisse avait une part active aux côtés de la Chaîne du Bonheur dans la collecte des fonds pour Haïti. D’autres organisations d’Haïtiens évoluant en Suisse n’ont pas eu cette chance.

Collette Buecher, présidente de l’association de Soutien à l’Ecole Elie le Prophète, située à Carrefour, connaît parfois des nuits agitées à cause des élèves de cet établissement scolaire qui n’arrivent toujours pas à reprendre les cours normalement. Elle se souvient avoir proposé un projet de reconstruction du bâtiment qui a été refusé par la Chaîne du Bonheur. « Ils voulaient de préférence nous offrir des abris transitoires pour un montant dépassant neuf mille dollars américains. Les tentes ne coûtent pas aussi cher. Par respect pour le peuple haïtien, nous avons donc décliné leur offre », a déclaré Madame Buecher, qui croit que les victimes du tremblement de terre méritent mieux que ce que leur avaient procuré les ONG.

Dominique Desmangles, une militante qui se donne pour mission de faire la promotion d’Haïti en Suisse, critique la Chaine du Bonheur qui a ignoré les organisations haïtiennes sous prétexte qu’elles ne sont pas assez structurées. Pour trouver les financements pour leurs projets, les organisations devaient entre autres être basées en Suisse, avoir une grande taille, une grande expérience dans le domaine de l’humanitaire et faire preuve de transparence dans la gestion de ses fonds, selon Tony Burgener directeur de la Chaîne du Bonheur.

« Au lendemain de la catastrophe, les organisations partenaires de la Chaîne du Bonheur ont installé 7000 abris. Durant les trois ans qui ont suivi, elles ont réparé ou construit plus de 1900 logements et mis en place 2000 latrines et 1500 réservoirs d’eau. Les organisations sont actives aussi sur d’autres fronts: aide alimentaire, soins médicaux (notamment la prévention et le traitement du choléra), mesures de prévention et d’hygiène, soins aux handicapés, protection des enfants, assistance psychosociale, remise en état des écoles, appui aux élèves et à leurs familles, aide aux familles qui accueillent des réfugiés, reconstruction des logements, formation et réinsertion. Lors de l’épidémie de choléra de 2011, des organisations spécialisées ont redoublé d’efforts pour lutter contre cette maladie mortelle. Après le passage de l’ouragan Sandy, qui a causé de graves dégâts sur l’île en octobre dernier, trois nouvelles opérations d’aide d’urgence aux victimes ont été mises sur pied, financées par la Chaîne du Bonheur », lit-on dans son dernier rapport.

Repenser l’aide humanitaire
« Si les Haïtiens avaient le contrôle de la situation, on serait déjà beaucoup plus loin dans le processus de reconstruction du pays », a indiqué Colette Buecher. « L’Etat haïtien devait avoir plus de contrôle sur les actions des ONG et dans la gestion de l’aide également », a proposé pour sa part Jean Wilfrid Fils Aimé.

Le directeur de la Chaîne du Bonheur n’en disconvient pas. « Mais, fait-il remarquer, le tremblement de terre avait affecté toutes les structures de l’Etat qui étaient devenues inopérantes ». Toutefois, conscient de l’échec de l’aide humanitaire, il envisage la réalisation en octobre à Port-au-Prince d’une conférence sur le rapport entre l’aide humanitaire et l’aide au développement, la coordination des projets, le standard et la qualité des projets et l’implication des instances locales et des bénéficiaires. Une activité qui, semble-t-il, ne convainc pas grand monde. Le mal est déjà fait. Cinquante millions de francs ont déjà été dépensés pour des projets de faible impact.

Danio Darius

De nationalité Haïtienne, Danio Darius a étudié la Communication Sociale et les Sciences Politiques à l’Université d’Etat d’Haïti. Il a fait ses débuts dans la presse écrite en 2007. C’était à l’occasion de son stage académique. En 2009, il a intégré le staff de Radio Magik 9 où il a commencé à travailler réellement comme journaliste. Au début, il traitait essentiellement des sujets économiques et politiques. Après le tremblement de terre qui a frappé son pays en 2010 et après avoir suivi de nombreuses formations données notamment par l’institution suisse « Le Centre d’Etudes et de Recherche en Actions Humanitaires » (CERAH) en Haïti, il a développé un regard particulier pour les sujets dans le domaine de l’humanitaire. Il collabore aussi au quotidien « Le Nouvelliste ».

Ariane Hasler

Née en 1976 à Morges (VD), Ariane Hasler écrit ses premiers articles dans le « Journal de Morges » et dans « Le Quotidien de la Côte » à l’âge de 16 ans. Après des études à Morges, elle entame des études universitaires en Lettres, section Français, Histoire, Histoire de l’Art. Parallèlement elle continue à faire des piges pour ces deux quotidiens. A la fin de ses études, elle fait un pré-stage en presse écrite de quatre mois au quotidien « La Liberté », jusqu’au moment où elle trouve un stage RP à la radio Lausanne FM. Initialement passionnée de presse écrite, elle tombe amoureuse du média radiophonique, léger, chaud, vivant. Après son stage, elle entre à la RTS, radio. De la revue de presse à l’opération Trabant, en passant par les journaux et la rubrique vaudoise, elle est depuis un an dans la plus belle rubrique du monde : la rubrique étrangère.

Danio Darius

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