Un reportage EQDA
Kirugavulu (ats) Près d’un millier de semences entreposées dans un musée improvisé à l’étage de sa maison de Kirugavulu. Avec sa « banque de données », Syed Ghani Khan veut lutter contre la disparition du patrimoine agricole indien face aux multinationales qu’il accuse de détruire les sols. Une histoire d’un agriculteur musulman, rare dans la société indienne, qui tire à la même charrue que ses homologues hindous.
Dans sa maison où poules, vaches et chèvres côtoient son bambin au premier étage, il faut prendre un peu de hauteur pour atteindre le coeur de l’activité de cet homme de 39 ans au visage de poupon.
Il conserve dans une première salle les nombreuses distinctions locales et nationales pour ses efforts. Mais il tient surtout à montrer les murs de la large pièce attenante, recouverts de centaines de semences collectées, identifiées et répertoriées.
Au total, il a planté avec ses frères plus de 800 variétés de riz sur un demi-hectare, 120 de mangue ou encore une cinquantaine de légumes différents. Un dispositif complété par des employés à la journée, jusqu’à une vingtaine en période de semence, payés 200 roupies (moins de 3 francs, huit fois le seuil de pauvreté dans les campagnes) pour cinq heures de travail.
Cultures moins gourmandes
« Même les universités ne conservent pas autant de variétés que lui », souligne le directeur de l’ONG Sahaja Samrudha, Krishna Prasad.
Pour Syed, l’heure est grave pour des sols indiens inondés de pesticides et de semences imposées par les multinationales comme Monsanto ou Syngenta.
Les semences bio (ou « organiques ») sont beaucoup plus adaptées aux conditions climatiques de l’Inde que les versions « hybrides ou améliorées » et demandent moins d’eau. Certes, le rendement est légèrement inférieur mais l’organique est moins sujet à des maladies, affirme-t-il.
Ces effets néfastes de la globalisation rendent infertiles les sols à plus long terme. « Les multinationales gagnent des parts de marché en Inde. C’est pourquoi nous faisons la promotion de nos vieilles semences traditionnelles » pour éviter une situation dans 20 ans « où nous ne pourrons plus rien faire pousser ».
Quelques centaines de francs par an de revenus
Le Pendjab et l’Haryana sont les deux Etats où les substances chimiques ont été les plus utilisées. Dans ce « grenier à blé » du nord-ouest du pays, le taux de taux de cancers a explosé. « Les gens s’en rendent désormais compte et reviennent vers l’agriculture organique ».
Pour autant, Syed ne rejette pas toute ouverture du marché agricole indien, si les conditions sont équitables pour les petits paysans. Mais selon lui, si l’Inde se met à importer largement du sucre chinois, le prix va chuter et les suicides d’agriculteurs, déjà nombreux, vont augmenter.
Lorsqu’il n’est pas affairé dans ses champs, c’est le pays tout entier qu’il sillonne pour sensibiliser les paysans et à la recherche de nouvelles semences. Il a amassé l’une des banques de semences les plus importantes dans tout le pays, certaines venant même de l’étranger.
L’objectif, en faire profiter les autres agriculteurs de sa région qui constituent toujours 60 à 70 % de la population, ici comme ailleurs dans ce pays de 1,3 milliard d’habitants. Avec 20 hectares au total, sur lesquels il admet utiliser de manière ciblée un peu de pesticides pour certaines cultures, Syed gagne lui de 200’000 à 300’000 roupies par an (un peu moins de 300 à environ 450 francs).
Partenariat naturel
Son combat pour sauver l’agriculture de sa région se double d’un volet inattendu. Dans son village de 10’000 habitants tapissé de terre battue, les mosquées sont aussi importantes que les temples.
Musulmans et hindous sont à parts égales, là où la population indienne se répartit plutôt en 70 % d’hindous et 20 % de musulmans, avec des tensions régulières. Ici, plusieurs musulmans sont agriculteurs, une activité plutôt inhabituelle pour eux, font remarquer plusieurs observateurs. Dans la région plus large et dans l’Etat, le projet profite davantage aux hindous qu’aux coreligionnaires de Syed.
Et dans son champ, ce partenariat semble depuis plusieurs générations aussi naturel que l’agriculture qu’il prône. « Son père s’est occupé de ma famille et il continue à le faire. Je ne le laisserai jamais tomber », glisse un vieil homme.
Fille sur la brèche
En bordure du champ, du haut de son âge avancé, il parle avec tendresse de son patron. Mais aussi un amour vache parfois: « Je t’ai attendu parce que si je travaille le sillon sans toi, tu ne seras pas content et je devrai le refaire », avait glissé quelques minutes auparavant, bien recroquevillé à l’ombre, l’homme à la tenue blanche étincelante.
Pour Syed, la vocation agricole n’allait pas de soi. Après des études en archéologie et en muséologie, il a dû gérer la ferme de son père comme aîné de la famille. C’est en pulvérisant un pesticide sur sa riziculture qu’il est pris de maux de tête. Il décide de se tourner vers l’organique et entame à 19 ans sa recherche de semences traditionnelles.A l’époque britannique, seule une entreprise « étrangère », la Compagnie des Indes orientales, dictait le marché. « Aujourd’hui, c’est comme s’il y avait de nombreuses Compagnies des Indes orientales ». Syed s’engage à continuer sa lutte dans la durée. Comme lui auparavant, sa fille aînée de 15 ans est déjà sur la brèche. Elle l’aide à documenter les semences de sa banque de données.