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Le numérique au service de l’enseignement

Le numérique au service de l’enseignement

Un reportage EQDA

De plus en plus, la science technologique est utilisée comme méthode pédagogique. En Suisse, dans certains cantons, de façon progressive et dès l’école primaire jusqu’à l’université, en passant par le secondaire, les élèves sont familiarisés avec les outils du numérique.

La Chaux-de-Fonds. La fine pluie qui tombe sans discontinuer, de façon presqu’indue sur la ville, à une saison censée être le printemps en rajoute à l’atmosphère studieuse qui se dégage de la Haute école pédagogique Bejune (Hep-Bejune). Une école d’envergure créée en 2001 de la fusion de divers organismes cantonaux. Ce 31 mai, Mme Chappuis Claudine la responsable de la communication qui nous accueille, notre consœur Katy Romy journaliste à Swissinfo et nous-même de Fraternité Matin, est enthousiaste : « L’établissement forme les enseignants des cantons de Berne, pour sa partie francophone, du Jura et de Neuchâtel. Chaque année, la Hep-Bejune forme plusieurs centaines d’étudiants aux métiers de l’enseignement aux différents degrés de la scolarité obligatoire et post-obligatoire, du niveau primaire au niveau secondaire. Elle propose également un programme de formation continue et postgrade à l’intention des 6000 enseignants en activité que compte l’espace Bejune c’est-à-dire Berne-Jura-Neuchâtel.»

Problèmes techniques et choix politiques
Avec Christian Jean Rennaud, formateur Mitic, les propos seront plus circonspects. Pour le formateur en Mitic (Médias, images, technologies de l’information et de la communication), l’objectif est d’intégrer les Mitic dans l’enseignement et d’augmenter son taux d’utilisation. Il ne s’agit pas d’apprendre à faire des traitements de textes et le power point mais plutôt de montrer aux étudiants à les implémenter, l’avantage de l’usage des tablettes en classe, des plateformes comme l’e-learning, l’Intranet dédié à la pédagogie. Mais l’usage de ces technologies n’est pas uniforme d’une ville à l’autre et d’un canton à un autre. Certes, les collèges sont dotés de salles informatiques et des classes de l’école primaire peuvent être couplées aux collèges mais il y a encore beaucoup de problèmes d’ordre technique : wifi ou non dans les salles selon villes, les investissements dépendent des communes qui décident ou non de la dotation en matériels. Au niveau de l’école obligatoire, s’il y a une volonté de vulgariser l’enseignement via la technologie, des cours en ligne ne sont pas encore conçus ni dispensés. Cela est encore de l’ordre de la musique d’avenir, les cours se font en présentielle. Outre les problèmes techniques, il y a aussi le fait que l’enseignant n’est plus le détenteur exclusif du savoir, les étudiants peuvent en savoir autant qu’eux via Internet et cela est quelquefois déstabilisant pour des maîtres. « La grande impulsion dans les années 2000 est aujourd’hui un peu émoussée par des choix politiques alors qu’il aurait fallu maintenir la vitesse de croisière. Ce qui n’a pas été fait. » Selon M. Rennaud, l’optimisation véritable de l’enseignement par les outils technologiques ne se fera pas avant deux décennies au moins ; à moins que l’on n’en fasse une priorité en Suisse.

Un tableau qui joue avec l’écriture manuscrite

Le responsable de la formation des enseignants du primaire à la Hep-Bejune, Raphael Lehmann, est plus optimiste, et pour cause : le tableau interactif biface qu’il nous présente, si toutes les salles de classe en sont dotées, l’adoption des outils technologiques dans l’enseignement en Suisse se fera plus vite. Ce tableau, il nous le démontre est capable de reconnaître l’écriture manuscrite et de la transformer, de redimensionner, dupliquer, déplacer, faire des exercices ludiques, des graphiques, mettre des couleurs, etc. Bref, ce tableau interactif sur lequel des démonstrations peuvent être enregistrées et remises après aux élèves (un peu dans l’esprit des Mooc), a été conçu pour améliorer le potentiel de l’enseignement et le raisonnement de l’apprenant ; en somme améliorer l’apprentissage au niveau des élèves qui l’apprécient bien et savent l’utiliser. Sans remettre en cause leur présence, la plus-value se situe au niveau de la réalisation des cours par les nombreuses fonctionnalités du tableau: ce nec plus ultra matériel permet une relation entre les enseignants et les parents qui peuvent tout savoir du déroulement des cours en classe. Le huis-clos entre les maîtres et les élèves est ainsi brisé et les parents peuvent mieux suivre leurs enfants. Les démonstrations des fonctions du tableau interactif qui sont faites devant nous (nous avons aussi expérimenté le tableau) sont édifiantes. Pourtant, là encore, il y a aussi des difficultés : certains évoquent le prix du tableau (un peu moins de 10 mille francs suisses, presqu’autant en euros) et le matériel annexe devant l’accompagner (ordinateur, et éventuellement des tablettes pour les élèves) et la maîtrise de l’outil informatique par les enseignants qui n’est pas toujours performante. Le but c’est d’arriver à bonifier la qualité de l’enseignement et pour M. Lehmann il faudrait tout au plus une dizaine d’années pour l’implémenter partout.

Le potentiel des MOOC
Dès le primaire et également au collège, les élèves sont familiarisés avec l’outil technologique, qu’en est-il dans les universités ? En 2005, en Suisse, un rapport intitulé : « Les Mooc bientôt à l’agenda politique? Etat des lieux et perspectives » commandé par le Centre d’évaluation des choix technologiques TA-Swiss afin de cerner les questions controversées soulevées par le développement de l’usage des Mooc établissait qu’au niveau de la contribution à l’éducation et à la formation en Suisse et/ou à l’étranger : « Les Mooc représentent un potentiel indéniable en la matière. Ils peuvent en effet répondre à des besoins de formation non encore rencontrés en Suisse en matière de formation des citoyens et d’apprentissage tout au long de la vie. A l’étranger, ils peuvent, par ailleurs, contribuer au développement de pays en manque de ressources éducatives. Cependant, ces potentiels ne seront réalisés que dans la mesure où d’autres conditions en matière de diversité, de qualité et de protection des données sont remplies. La diversité académique et culturelle : les Mooc représentent un potentiel important en matière de visibilité mondiale de l’excellence de la formation suisse. A cet égard, il s’agirait de mettre en œuvre une stratégie de développement qui favorise à la fois la diversité académique afin d’assurer la visibilité de toutes les disciplines et la diversité culturelle afin d’assurer une représentation de toutes les langues nationales. La qualité pédagogique : afin que les Mooc bénéficient au plus grand nombre, il s’agira d’assurer une qualité pédagogique, favorisant leur accessibilité… »

Risque de fracture numérique
Ce rapport soulignait aussi que si la qualité n’est pas adaptée, le risque est grand de renforcer la fracture numérique et sociale. Les Mooc pouvant également être offerts par des fournisseurs privés sur des plateformes identiques à celles utilisées par les institutions d’enseignement supérieures suisses, la sélection des offres de formation par les bénéficiaires pourrait être rendue plus difficile si aucun système d’assurance qualité spécifique n’est mis en place. Cela pourrait expliquer sans doute pourquoi les cours en ligne ouverts à un large public ne sont pas très développés à l’université de Neuchâtel, bien que tout le matériel pour l’enregistrement ne fasse pas défaut. L’adjointe du vice-recteur qui nous a reçus le 1er juin dans l’après-midi dans cette université compare les Mooc à « un marché où il y a des légumes qui sont tout frais et d’autres pourris ou moins frais ». En réalité, et compte tenu de l’effectif des étudiants, un peu moins de 5000 pour plus de 120 enseignants, et du coût de la réalisation des Mooc (au minimum 50 000 francs suisses), dans cette université publique composée de quatre facultés délivrant annuellement quelque 1000 diplômes (bachelors, masters, doctorats, certificats) qui a un mandat d’objectif, les Mooc ne sont pas vraiment une priorité. La charge de travail que cela pourrait nécessiter de la part des enseignants et la motivation de ceux-ci font que les Mooc y sont à l’état allégé c’est-à-dire conçus uniquement pour les étudiants de l’université et cela depuis seulement deux ans. Pour le professeur d’informatique à la faculté des sciences, Pascal Felber « Il n’y a pas vraiment de politique institutionnelle de développement des Mooc dans notre faculté. C’est un domaine pour lequel il faut avoir une certaine expertise et il faut aussi fournir beaucoup d’efforts pour scénariser un Mooc. Dans la structuration actuelle de nos cours, les Mooc ne sont pas intégrés. Cependant, nous avons quelques cours enregistrés. On peut dire que c’est un premier pas vers les Mooc » dit-il en esquissant un petit sourire.

Oumou Dosso

Chroniqueuse depuis 2011, puis secrétaire de rédaction au quotidien Fraternité Matin d’Abidjan (Côte d’Ivoire) depuis 2014 (avec stage au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes à Paris en février 2014), Oumou Dosso a été nommée conseillère du rédacteur en chef central en mars 2016. Elle est titulaire d’un doctorat de philosophie de l’université de Cocody (2015). Formée en éducation musicale en 1977, elle a enseigné dans ce domaine de 1998 à 2012. De 2011 à 2013, elle a été chercheuse au Centre de recherche sur les arts et la culture à Abidjan.

Katy Romy

Katy Romy est journaliste à swissinfo.ch depuis 2015. Au sein de la rédaction francophone de ce média en dix langues, elle couvre l’actualité suisse pour un public international. Née en 1987 à Bienne, elle a réalisé un master en journalisme à l’Université de Neuchâtel. Presse et radio régionales ont marqué le début de son parcours journalistique.

Oumou Dosso

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