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Le Rwanda veut devenir le Singapour de l’Afrique

Le Rwanda veut devenir le Singapour de l’Afrique

Un reportage EQDA

Le continent noir est avide de nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC). Paiements mobiles, café internet dans le moindre village, l’Afrique aime être connectée. Cependant, rares sont les pays capables de produire ces technologies et de les adapter aux spécificités locales. C’est le cas du Rwanda, pays rural et encore meurtri par le génocide de 1994, dont le gouvernement a choisi d’investir massivement dans la création d’un environnement propice à l’innovation et d’orienter toute son économie vers le digital.

Une stratégie risquée pour ce pays dont le budget dépend à 30% de l’aide internationale, mais pas si surprenante: le Rwanda est peu doté en ressources naturelles et entouré de pays bien plus puissants industriellement. Jean-Philbert Nsengimana, ministre des TIC et de la jeunesse, livre au Courrier les clés de la stratégie gouvernementale pour faire du Rwanda «le Singapour de l’Afrique».

Comment décide-t-on, une vingtaine d’années après le génocide, de transformer un pays rural en pôle continental de l’innovation?

Jean-Philbert Nsengimana: C’est la nécessité qui nous a poussés. Il s’agit d’une stratégie à long terme décidée au début des années 2000 par le président de la république Paul Kagamé. Elle est née de ce simple constat: le Rwanda n’a pas d’accès à la mer et a peu de ressources naturelles. Nous devions développer quelque chose qui allait positionner le Rwanda de façon unique dans la région.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont donc devenues un pilier de la stratégie 2020 de transformation du pays. Cela n’a pas été évident de convaincre les décideurs du pays. Les gens souhaitaient investir dans d’autres secteurs qui semblaient, dans l’immédiat, prioritaires. Seize ans plus tard, nous pensons avoir fait le bon choix. À terme, nous voulons devenir le Singapour de l’Afrique.

C’est-à-dire? Concrètement, combien pèse le secteur?

Avant d’entrer dans les chiffres, il faut surtout penser au processus de transformation digitale que de nombreux secteurs traversent pour comprendre l’impact de la stratégie du gouvernement. Dans le secteur financier, aujourd’hui, rien ne se fait sans les nouvelles technologies, presque tous les services du gouvernement sont disponibles électroniquement, pareil au niveau de l’éducation. Malheureusement, nous ne disposons pas encore de la bonne méthodologie, acceptée par tous, pour définir combien ce secteur pèse déjà. En revanche, nous pouvons mesurer les investissements et le nombre d’emplois créés.

Une étude de la Banque mondiale, réalisée entre 2008 et 2013, a déterminé que les TIC ont attiré plus de 45% de tous les investissements extérieurs. C’est plus que les industries de l’agriculture, de l’industrie et de l’extraction. Je crois que cela résume bien l’importance que le secteur a prise dans notre économie.

Le Rwanda montre une forte volonté de formaliser l’économie du pays – notamment en matière de perception fiscale –, mais également de lutter contre la corruption. Les TIC sont-elles la solution miracle?

C’est une solution qui marche à plusieurs niveaux. D’abord, au niveau de la gestion des ressources du gouvernement, il y a une visibilité et une traçabilité sans précédent. Aucun franc du gouvernement ne peut être dépensé sans que les responsables en aient connaissance. Tous les paiements passent par un système électronique centralisé géré par le Ministère des finances. En matière de fiscalité, les taxes sont payées essentiellement par voie électronique. Le risque de pertes est donc réduit. La plupart du temps la taxe est perçue au moment de la vente grâce au système «electronic tax billing» dont sont dotés presque tous les magasins. Il a fallu beaucoup lutter pour encourager les commerçants à l’utiliser, mais les mentalités ont bien évolué.

Toutes ces initiatives sont impressionnantes, mais elles semblent toutes avoir lieu à Kigali. Que se passe-t-il dans le reste du pays. Quel est le niveau de connexion à internet?

Kigali est certainement plus avancée, avec l’accès au web dans les bus, etc… Mais un réel effort est consenti dans les régions. L’objectif, pour la fin de l’année, est d’atteindre 50% de couverture internet à l’échelle nationale, en sachant que tous les districts et les centres urbains sont déjà atteints. D’ici à fin 2017, nous comptons être à 95%. Ceci passe par des investissements importants, notamment l’installation de la fibre optique.

Des rumeurs circulent autour d’un fonds d’investissement de 100 millions de dollars pour développer des entreprises technologiques locales. Le projet existe-t-il vraiment, et si oui, où en est-on?

Il ne s’agit pas de rumeurs. Le projet n’est pas encore mis en place. Nous finalisons en ce moment les derniers détails juridiques. Concrètement, il s’agit d’un fonds, financé à 30% par l’État et 70% par des investisseurs privés rwandais et internationaux, qui investira dans les meilleures entreprises technologiques de la région – y compris dans les pays voisins. L’objectif est de récompenser et de favoriser la montée en puissance de sociétés capables de développer des technologies adaptées au contexte africain. C’est-à-dire suffisamment robustes et qui correspondent à des besoins locaux. Ce sera la première fois qu’une pareille somme sera investie dans le développement de l’innovation en Afrique.

De nombreuses start-up se créent quotidiennement à Kigali. Souvent, elles naissent dans des incubateurs tels le K-lab ou le Fab-lab. Comment ce tissu d’incubateurs est-il financé et comment fonctionne-t-il?Oui, ces incubateurs foisonnent dans la capitale, on pourrait citer 4G square ou encore The office, il y en a beaucoup. Les universités en mettent en place également. Le gouvernement a facilité la création du premier, le K-lab. Et les gens se sont rendus compte d’eux-mêmes, après avoir vu le succès de certaines entreprises, qu’ils étaient nécessaires à l’écosystème. La plupart du temps, les financements sont privés et les jeunes entrepreneurs s’arrangent avec des investisseurs pour disposer d’un mentorat, d’une analyse de leur projet, etc… Mon rêve serait d’avoir un incubateur dans chaque village.

Mohamed Musadak

Journaliste «d’ici et d’ailleurs», Mohamed Musadak est né en Somalie et s’est naturellement passionné pour l’histoire du continent noir. Après des études de relations internationales et divers emplois dans la Genève internationale, notamment la Croix-Rouge, Mohamed a décidé de tenter l’aventure journalistique. A RTSinfo d’abord en 2013, puis Le Courrier, où il reprend la rubrique neuchâteloise.

Bryan Kimeyini

Mohamed Musadak

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