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Le Salvador face à un exode de ses enfants

Le Salvador face à un exode de ses enfants

UN REPORTAGE DE CLAUDE GRIMM (LE COURRIER) AU SALVADOR

MIGRATION • Le flux de mineurs non accompagnés vers les Etats-Unis a récemment explosé. Malgré la crise humanitaire, les USA expulseront tous ceux qui ne remplissent pas les critères pour rester.

Une jeune salvadorienne qui a migré illégalement aux États-Unis est rapatriée au Salvador où, à son arrivée, elle doit se soumettre à la vaccination (Photo Claude Grimm, Le Courrier)

Les images de ces enfants et adolescents centraméricains entassés par centaines à même le sol dans des auberges de fortune au Texas ou en Arizona, où ils attendent leur probable rapatriement, ont choqué le continent américain. Même Barack Obama a reconnu que la migration irrégulière des mineurs non accompagnés vers les Etats-Unis était hors de contrôle. Au point que le 2 juin, il a parlé de crise humanitaire.

Selon les chiffres américains officiels, près de 70 000 enfants et adolescents sans papiers, dont 35% de Salvadoriens, ont été arrêtés depuis le début de l’année. La migration des mineurs non accompagnés n’est certes pas un phénomène nouveau. Mais elle a pris une ampleur inédite depuis environ un an. Au Salvador, elle a augmenté de près de 200% entre 2011 et 2014, selon les registres des autorités d’immigration.

Malgré ce constat alarmant, Obama a annoncé que les mineurs entrés illégalement seront renvoyés dans leur pays s’ils ne remplissent pas les conditions pour demander l’asile ou bénéficier du DACA (Action différée pour les personnes arrivées dans l’enfance). Le président détient un record étonnant: c’est sous son administration que le plus de migrants ont été expulsés, soit plus de 2 millions de cas.

Migrer pour échapper à la violence ?

Comment expliquer cette subite explosion? Pour les autorités salvadoriennes, les trafiquants de migrants – les «coyotes» – seraient en grande partie responsables de la situation pour avoir diffusé, dans un but d’enrichissement, des rumeurs selon lesquelles les autorités américaines ne rapatrieraient pas les mineurs.

Selon le gouvernement, les causes de la migration sont multifactorielles, avec en tête la réunification familiale (plus de 53%), suivie de l’absence d’opportunité dans le pays (27-30%), puis la violence et l’insécurité (15%), d’après les données recueillies lors d’entretiens auprès des familles de migrants rapatriés.

Pourtant, au Salvador, pays gangrené par les gangs de rue – appelés aussi maras ou pandillas – qui contrôlent de plus en plus de zones, la population vit constamment dans la peur. Non seulement ils ont désormais des connexions avec le narcotrafic, mais enrôlent de force les jeunes, extorquent de l’argent aux citoyens et assassinent ceux qui refusent de s’exécuter.

Plusieurs facteurs externes expliquent aussi ce pic soudain: la loi américaine de 2008 – actuellement remise en question – qui interdit d’inculper les enfants migrants en vue de les renvoyer de manière accélérée; l’introduction en 2012 du DACA, qui permet aux migrants arrivés illégalement lorsqu’ils étaient enfants d’obtenir un permis de séjour et de travail temporaire; la promesse de campagne d’Obama d’une réforme migratoire. Celle-ci étant au point mort à la suite du refus des Républicains de fixer une date pour voter la législation acceptée par le Sénat en juin, le président a annoncé son intention d’agir par décret, mais sans plus de précisions.

Réunions de crise au sommet

Dépassés par les événements, les dirigeants des Etats-Unis et des pays du Triangle Nord (El Salvador, Honduras et Guatemala) se sont réunis le 25 juillet pour tenter d’apporter des réponses conjointes à la crise. Ils ont notamment décidé de mettre sur pied des campagnes publiques de sensibilisation aux dangers de la migration irrégulière des mineurs, d’augmenter leur présence consulaire aux frontières et de renforcer la lutte contre les organisations de contrebande.

Les Etats-Unis débourseront 161,5 millions de dollars en 2014 pour appuyer l’Initiative de sécurité régionale d’Amérique centrale. Obama a déposé au Congrès une demande urgente d’aide de 300 millions pour le Triangle Nord, qui s’ajoutera aux 130 millions annuels d’aide bilatérale.

Des décisions que d’aucuns jugent trop timides face à l’ampleur du problème. «Les Etats-Unis veulent investir 3,7 milliards pour renforcer la frontière avec le Mexique. C’est totalement disproportionné en comparaison avec les montants destinés à développer la région», s’insurge Leonel Flores, président de l’Institut salvadorien du migrant (Insami). «La violence et la migration découlent des inégalités et de la pauvreté. Tant que ces problèmes ne seront pas réglés, les gens continueront à migrer, quels que soient les risques qu’ils courent. Les campagnes de sensibilisation n’y changeront rien», ajoute-t-il.

Milices anti-migrants au Texas

Après un pic enregistré en mai et en juin, l’afflux d’enfants aux Etats-Unis a baissé en juillet et en août. Une diminution due aux températures caniculaires dans le désert, mais aussi au renforcement de la frontière entre le Mexique et le Guatemala.

Le 9 septembre, les Etats-Unis, le Mexique et les pays du Triangle Nord se réunissaient pour mettre sur pied un plan pour lutter contre la délinquance organisée transnationale et le narcotrafic affectant les migrants. Le lendemain, le gouverneur républicain du Texas décidait unilatéralement d’envoyer des renforts à la frontière entre le Mexique et le Texas. Répondant ainsi aux pressions d’un groupe de vingt-cinq milices civiles qui recrutent des volontaires pour empêcher «par tous les moyens» les migrants d’entrer aux Etats-Unis, et qui, pour obtenir une présence policière accrue et stopper l’immigration illégale, ont annoncé vouloir fermer les frontières le 20 septembre.

COMPLÉMENT D’ARTICLE :

La raison principale pour migrer est la violence

La chercheuse américaine de l’université d’Etat de San Diego Elizabeth Kennedy, spécialiste des questions migratoires, révèle dans une étude que 60% des mineurs qui décident de quitter le Salvador le font à cause de la violence. Des résultats qui contredisent la position du gouvernement, pour qui l’insécurité n’est pas à l’origine de l’augmentation récente du flux d’enfants migrants non accompagnés. Interview.

Quelles sont les raisons qui poussent les jeunes à migrer aux Etats-Unis?

Elizabeth Kennedy: Dans notre étude portant sur 500 entretiens avec des migrants mineurs rapatriés, dont 322 ont été analysés, la raison principale donnée par 60% des jeunes est la violence dans leurs communautés et les menaces – effectives ou non – des maras (lire encadré ci-dessous).

La deuxième raison est la réunification familiale, avec 35%. Pourtant, 90% ont au moins un de leurs parents aux Etats-Unis. Les adolescents souhaiteraient rester dans leur communauté, mais il y a eu un événement déclencheur: menaces directes, homicide dans leur quartier, demande d’extorsion dans leur famille, etc. Trente et un pour cent des sondés veulent étudier et 27% chercher du travail. Trois pour cent disent vouloir fuir des abus intrafamiliaux, mais les entretiens ayant été réalisés en présence de la famille, ce chiffre est en réalité plus élevé. Enfin, 3% veulent vivre une aventure.

Pourquoi y a-t-il une différence entre vos chiffres et ceux des autorités?

Selon moi, la raison est que les migrants ne font pas confiance aux fonctionnaires en charge de la migration, même si par ailleurs ils font un excellent travail. De nombreuses mères rapatriées m’ont confié avoir peur de retourner dans leur communauté mais ne pas l’avoir dit lors de l’entretien avec les autorités. Mes chiffres sont en accord avec ceux de plusieurs autres études, dont celle de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, qui estime que 72% des mineurs migrent à cause de la violence.

Comment la population aux Etats-Unis réagit-elle face à cette vague de migrants mineurs?

Une enquête parue à fin juillet révèle que 70% de la population les considère comme des réfugiés. Il s’agit d’un réel progrès. De nombreux mouvements, dont les églises et les ONG, appuient les migrants. Mais une minorité très argentée, et très écoutée, soutient financièrement les partis qui veulent renforcer la frontière, bien qu’elle ne puisse guère l’être davantage.

Pourquoi, selon vous, Obama est-il le président qui a le plus expulsé de migrants?

Je ne comprends pas son attitude. Mais je crois qu’il a voulu faire un pas en direction des Républicains dans l’espoir de négocier avec eux, évidemment sans succès. Résultat: le nombre de morts a augmenté dans nos déserts et montagnes et notre gouvernement en porte l’entière responsabilité. Sa réforme migratoire est au point mort, mais il devrait prendre quelques mesures, dont un plan devant bénéficier à 5 millions de sans-papiers sur les 11 millions que comptent les Etats-Unis.

Comment expliquez-vous la violence en Amérique centrale?

La violence et la migration qui en découle trouvent leurs racines dans le manque d’opportunités économiques, sociales et éducatives. Dans les deux cas, les réponses policières et militaires ne peuvent pas fonctionner. Il faut aborder le problème de manière globale.

Aucun gouvernement ne porte seul la responsabilité de cette longue histoire de violence, mais le gouvernement américain doit assumer sa part pour son attitude pendant la guerre civile, l’expulsion des maras, pourtant nées aux Etats-Unis, et l’imposition d’un traité de libre-échange qui a augmenté la pauvreté dans les pays du Triangle Nord alors qu’elle a diminué ailleurs en Amérique latine.

Les Etats-Unis déboursent beaucoup d’argent pour renforcer les frontières et lutter contre la drogue. Le démantèlement des cartels en Colombie puis au Mexique n’a fait que déplacer le problème en Amérique centrale et aux Caraïbes.

Menaces directes et indirectes

Sur 322 entretiens d’enfants et adolescents, 109 ont reçu des menaces directes d’assassinat ou pour intégrer une pandilla. Parmi ceux-ci, 22 ont été victimes d’agressions après avoir refusé d’obtempérer et 14 autres ont vu au moins un de leurs parents assassinés. Tous ces cas sont éligibles pour demander l’asile.

145 jeunes vivent dans des lieux où il y a un ou plusieurs gangs de rue. Ils ont peur de sortir dans la rue et entendent des fusillades au moins trois fois par semaine.

130 enfants étudient dans une école avec une mara à proximité et 100 autres dans un collège où elle se trouve à l’intérieur, y amenant armes et drogue. Ces adolescents estiment qu’il vaut mieux migrer avant d’avoir des problèmes.

Claude Grimm

Claude Grimm est correspondante neuchâteloise au Courrier depuis 2011, quotidien indépendant avec lequel elle a d’abord collaboré en tant que journaliste indépendante. Elle a aussi travaillé à L’Express – L’Impartial et au Quotidien jurassien, où elle a fait son stage de journaliste. De 2001 à 2007, elle a été successivement coopérante au Salvador, en Amérique centrale, puis collaboratrice et co-coordinatrice de GVOM, devenu Eirene Suisse, organisation de coopération au développpement par échange de personnes. Licenciée en lettres de l’Université de Genève et journaliste, elle a aussi un diplôme de conseillère en environnement.

Gerardo Marcelo Arbaiza Benítez

I am a Salvadoran journalist who has been working since May 2009 at Diario Digital ContraPunto, a local news website. I have experience in covering the 2012 legislative elections and the 2014 presidential elections of my country. I’m specialized in topics like: politics, human rights, migrations and sports.

Claude Grimm

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