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Le service communautaire obligatoire passe au digital

Le service communautaire obligatoire passe au digital

Un reportage EQDA

Du génocide au développement d’applications d’utilité publique, retour sur l’histoire trouble de l’Umuganda.

Dernier samedi du mois d’août à Kigali. La ville, d’ordinaire si calme le week-end, s’anime dès huit heures du matin d’une activité singulière. C’est le jour de l’Umuganda, le service communautaire obligatoire, où chaque Rwandais valide âgé de 18 à 65 ans doit offrir sa matinée à l’État. Dans la rue des processions de riverains équipés de pioches, pelles et autres ustensiles de chantiers. Dans le quartier de Kaciryu, les citoyens sont réunis près du rond-point et sirotent des boissons chaudes avant de s’activer. La moyenne d’âge est plutôt élevée. «Les jeunes sont au K-lab (l’incubateur de start-up lancé par le gouvernement)», nous apprend-on. «Ils font l’e-Umuganda (electronic Umuganda), avec les ordinateurs!»

Traditions et modernité

Habituellement fermé le week-end, l’incubateur est saisi comme le reste de la capitale d’une joyeuse effervescence. Une quarantaine de jeunes s’affairent devant des écrans par groupes de 4 ou 5. Aphrodice Mutangana, manager général du K-lab, est ravi de nous ouvrir les portes de sa structure. Il estime que l’idée de digitaliser le service communautaire est le pont parfait entre les traditions ancestrales et les aspirations à la modernité du pays. «L’Umuganda signifie littéralement en kinyarwanda la poutre qui tient le toit, mais son véritable sens est celui de se réunir pour achever un but commun. Notre objectif aujourd’hui est de reconstruire notre pays et de développer les sens de la citoyenneté.»

Origines troubles

Voilà pour la version officielle. Mais le service communautaire obligatoire a des origines plus troubles. Instauré en 1974 par le futur gouvernement génocidaire du président hutu Juvénal Habyrimana, l’Umuganda a rapidement été détourné pour endoctriner les membres de l’ethnie majoritaire du pays. À tel point, qu’en 1994, le mot Umuganda est devenu synonyme de «trouver et tuer les Tutsi».

Un lourd passé qui n’a pas empêché le Front patriotique rwandais, parti de Paul Kagamé, de réhabiliter en 1998 le service communautaire obligatoire. La raison? Le petit pays aux finances exsangues avait besoin de se reconstruire. Et l’Umuganda représente une manne de travail gratuit inespérée. Construction de routes, de centres de santé, reforestation de collines contre l’érosion, les citoyens se sont mués en main-d’œuvre idéale. Depuis 2008, le gouvernement a pu ainsi économiser plus de 60 millions de francs, selon ses propres chiffres.

Optimiser les compétences

Bien loin du génocide et des considérations éthiques du travail gratuit, les jeunes du K-lab semblent prendre beaucoup de plaisir à se réunir. Et pour cause, le travail n’est pas uniquement désintéressé ici.

«Comme nos activités sont novatrices, nous disposons ici de plus de liberté pour choisir nos tâches communautaires. Aujourd’hui, par exemple, nous organisons un hackathon (réunion de programmation collaborative), où les jeunes développeurs s’entraident pour résoudre les problèmes qu’ils rencontrent avec leurs applications. Le gouvernement estime que développer l’économie digitale est un travail communautaire. Mieux vaut profiter des compétences de jeunes ingénieurs dans leur domaine de prédilection plutôt que de leur faire faire du travail manuel», affirme Aphrodice Mutangana.Certains jeunes doivent tout de même s’occuper de la maintenance des sites, non sensibles, du gouvernement, qui a digitalisé 80% de ses services. D’autres travaillent sur des applications de service public, comme Sakwe-Sakwe (histoire-histoire en kinyarwanda). Développé avec le Ministère de l’éducation, le logiciel est un jeu de culture générale en kinyarwanda. Il permet aux élèves d’améliorer leurs connaissances écrites de la langue, rapidement abandonnée au primaire au profit de l’anglais, et de renouer avec les traditions et mythes oraux du pays.

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