UN REPORTAGE DE CLAUDE GRIMM (LE COURRIER) AU SALVADOR
ABUS, CRIME ET MIGRATION • Profondément ancrée dans la société salvadorienne qu’elle fait vivre, la migration devient aussi de plus en plus dangereuse, surtout au Mexique.
«La migration est un phénomène sans lequel le Salvador ne peut exister.» Ces propos de l’ex vice-ministre salvadorien des Affaires étrangères Juan José Garcia résument bien la situation du «Pulgarcito» (Petit Poucet) d’Amérique centrale, où peu ou prou chaque famille a au moins un proche aux Etats-Unis.
Avec un tiers des Salvadoriens résidant à l’étranger (3 millions), dont 2,5 millions aux Etats-Unis, le phénomène migratoire est structurellement ancré dans la société. Un chiffre suffit à s’en convaincre: les «remesas», ces fonds que les migrants rapatrient dans leur pays, représentent le premier revenu national, soit 16-17% du produit intérieur brut (PIB). Sans cet apport d’argent en provenance de l’étranger, la pauvreté exploserait et le pays serait en faillite. «Les remesas maintiennent le pays à flot sans qu’il soit nécessaire d’avoir une production nationale. Mais il s’agit d’un modèle basé sur l’exclusion d’une partie de la population, contrainte de migrer au péril de sa vie», constate M. Garcia.
Du rêve au cauchemar
Chaque jour, on estime à près de 500 le nombre de personnes qui quittent le Salvador pour «le rêve américain». Un rêve qui se transforme trop souvent en un terrible cauchemar.
Parfois, un beau jour, les nouvelles cessent d’arriver, laissant les familles dans l’incertitude. Leurs proches se sont-ils arrêtés en chemin par manque de ressources pour poursuivre leur voyage ou rentrer chez eux? Croupissent-ils dans une prison mexicaine? La «Bestia» (la bête), le train de la mort qui traverse le Mexique avec des centaines de migrants accrochés sur son toit, les a-t-elle «dévorés»? Ont-ils été violés, séquestrés et/ou assassinés par l’une des nombreuses organisations criminelles sur le territoire desquelles les migrants sont contraints de passer? Ont-il péri noyés ou de soif dans le désert? Souvent, le mystère n’est jamais percé.
Toujours plus de risques
Les disparitions de migrants se multiplient au fur et à mesure que les frontières se ferment sous la pression des Etats-Unis et que les itinéraires se déplacent vers les contrées les plus dangereuses contrôlées par les cartels de la drogue ou les gangs de rue, appelés aussi «maras» ou «pandillas». Selon les statistiques du Mouvement mésoaméricain des migrants, au cours des six dernières années, 70’000 migrants ont disparu au Mexique.
«Les abus et crimes commis contre les migrants, surtout contre les migrants en transit, augmentent de manière significative. La Mesoamérique (région comprise en le Nord du Mexique et le Costa Rica, ndlr) en particulier a vu un accroissement du nombre de cas de kidnapping, extorsions, assauts et viols commis contre des migrants», constate l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Droits humains bafoués…
Dans son rapport 2013 sur les droits humains, Amnesty International relève que les migrants en transit au Mexique sont «toujours en butte au risque d’être enlevés, tués ou enrôlés de force dans des bandes criminelles», tout particulièrement les femmes et les enfants. «Dans bien des cas, des agents de l’Etat étaient soupçonnés d’être complices des bandes criminelles et de commettre d’autres atteintes aux droits des migrants – racket et détention arbitraire, par exemple.»
Plus grand corridor de migrants en transit dans le monde, la Mésoamérique est donc aussi l’un des plus importants couloirs pour le trafic de drogue (Sud-Nord) et d’armes (Nord-Sud). Les migrants traversent donc l’une des régions les plus dangereuses. «Si je reste, ils me tueront. Si je pars, ils me tueront peut-être aussi, mais si Dieu le veut, j’arriverai à passer», confie Douglas, un migrant salvadorien qui, après avoir été refoulé, s’apprête à tenter une nouvelle fois sa chance. Ce sentiment à la fois fataliste et plein d’espérance est partagé par la plupart de migrants. Il explique pourquoi ils sont prêts à tenter le tout pour le tout.
…et des promesses non tenues
Il a fallu attendre le massacre de Tamaulipas perpétré en août 2010 par le cartel de la drogue Los Zetas, où les corps de 72 migrants, dont 14 Salvadoriens, ont été retrouvés dans une maison, pour que les autorités mexicaines soient enfin contraintes d’ouvrir les yeux, de reconnaître la réalité et de prendre leurs responsabilités.
Le Mexique prend des engagements pour respecter les droits des migrants. Mais la situation peine à s’améliorer.
Alors que le gouvernement a promis de «combattre toutes les violences infligées aux migrants», les mesures prises ne sont pas efficaces et les autorités ne font «rien pour empêcher et sanctionner les crimes contre ces personnes», souligne Amnesty dans son rapport 2013. Quant à la base de données des migrants portés disparus que les autorités ont affirmer vouloir créer, elle n’a «pas été réalisée et l’identification de corps considérés comme ceux de migrants n’a pas progressé».
COMPLÉMENT D’ARTICLE :
« Emigrer illégalement ? Plus jamais ! »
Après sa tentative infructueuse d’émigration vers les Etats-Unis, Alejandra, 29 ans, atteinte d’un cancer de la thyroïde qui a bien failli l’emporter au cours de son périple, jure qu’on ne l’y reprendra plus. Depuis son retour au Salvador, non seulement elle a réussi à récupérer alors que les médecins la jugeaient condamnée, mais elle a stabilisé sa situation économique et vit avec sa fille.
«A l’époque, j’étais déprimée. J’avais appris que je souffrais d’un cancer et mon salaire était très bas. Je voulais consacrer le temps qu’il me restait à améliorer la vie de ma grand-mère diabétique et de ma fille de 6 ans», raconte-t-elle.
Elle décide donc de migrer aux Etats-Unis. Elle voyage d’abord seule jusqu’à la frontière du Mexique, où une tante «coyote» (trafiquante de migrants) l’attend pour passer de l’autre côté. Elle lui fournit en quelques heures de faux papiers d’identité mexicains et, par chance, Alejandra passe comme une lettre à la poste. Le voyage, en compagnie de sa tante, se poursuit en microbus jusqu’à Tapachula puis en avion jusqu’à Toluca, dans le district fédéral. «Si on te capture, ne dis pas que tu es ma nièce», l’avertit sa tante à l’aéroport. Mais heureusement, tout se passe sans anicroche.
C’est une fois chez sa tante au Nord du Mexique que la situation se corse. «Le coyote réclamait 3000 dollars pour passer aux Etats-Unis et il ne me restait que 100 dollars. Ma tante m’interdisait de sortir et de parler avec ma famille. Elle m’a pris mon passeport et mon laisser-passer. Je n’avais plus de médicaments. J’ai cherché un travail dans l’espoir de payer le coyote.» Elle travaille d’abord dans un restaurant pour un salaire de misère, puis auprès de patrons compréhensifs qui l’aident à échapper à sa tante. Après six mois sans nouvelle, elle peut enfin reprendre contact avec sa famille, à qui elle annonce son retour. Mais sa santé est au plus mal. Trois jours de voyage en bus, au vu de son état de santé, est une vraie gageure. «A la frontière entre le Guatemala et le Salvador, les douaniers ne voulaient pas me laisser passer, tant j’étais méconnaissable», se rappelle-t-elle.
A son arrivée à San Salvador, elle est immédiatement transportée à l’hôpital. «Il m’a fallu six mois pour me remettre.» Puis la chance lui sourit: elle trouve un emploi dans une pharmacie, où on la forme. Aujourd’hui, sa vision de la migration a changé: «Avant d’envisager un départ, il faut d’abord épuiser toutes les opportunités, et il y en a, si on cherche vraiment», conclut-elle.