UN REPORTAGE DE CLAUDE GRIMM (LE COURRIER) AU SALVADOR
MIGRATION ET DISPARITON • La mère d’un Salvadorien disparu préside une ONG qui recherche les migrants dont la trace a été perdue en chemin vers les Etats-Unis.
Anita Zelaya n’oubliera jamais la date du 2 mai 2002. Ce jour-là, son fils Rafael Alberto, âgé de 22 ans, quitte le Salvador pour les Etats-Unis, où il compte chercher un travail et retrouver sa fiancée et son père. C’est à fin mai qu’elle a pour la dernière fois de ses nouvelles. Il se trouve alors dans la maison de son «coyote» (passeur) dans l’Etat d’Hidalgo, au Mexique. Puis, plus rien.
Douze ans plus tard, elle se bat toujours pour retrouver sa trace et est à la tête du Comité de parents de migrants décédés et disparus (Cofamide), qu’elle a cofondé en 2006. La disparition de son fils a eu sur elle l’effet d’un électrochoc: «Au lieu de me laisser abattre, j’ai décidé de mettre toute mon énergie à le chercher», explique cette femme dont la détermination semble inébranlable.
Elle entreprend d’abord sa quête par ses propres moyens. «Le ‘coyote’ de mon fils m’a dit que ses réseaux au Salvador me tueraient si je le dénonçais. Je ne me suis pas laissée impressionner. J’ai porté plainte et lancé des recherches dans les ambassades et entités gouvernementales, dans les Ministères des affaires extérieures, à Interpol, dans les auberges où passent les migrants et dans les organisations de la société civile qui se battent pour les migrants», relate-t-elle.
Un combat commun…
De fil en aiguille, les parents de migrants disparus s’organisent. D’abord avec Carecen (Central American Resource Center), puis de manière indépendante avec la création de Cofamide en 2006. «Nous partageons une même douleur face à la disparition ou à la mort d’un de nos parents, ainsi que l’indifférence des autorités qui n’investiguent pas les cas que nous leur signalons, bien que nos lois et traités internationaux les y contraignent.» Aujourd’hui, Cofamide fait référence au niveau national et international en matière de recherche de migrants disparus. Aussi étonnant soit-il au vu de l’ampleur du phénomène migratoire, elle est la seule organisation salvadorienne traitant de cette problématique.
…pour faire reconnaître le problème
«Un migrant disparu ou décédé n’envoie pas de «remesas» (fonds envoyés par la diaspora dans son pays d’origine, généralement à sa famille, ndlr). A part sa famille, il n’intéresse personne», constate, lucide, la présidente. Ce qui explique pourquoi ce thème a longtemps été maintenu sous silence. «Il a fallu se battre pour que les autorités reconnaissent l’existence du problème et acceptent de l’inclure dans leur agenda», poursuit-elle.
Un jour, Anita Zelaya reçoit un message l’informant que le corps de son fils a été retrouvé au Mexique. Après un moment de joie, elle se rend à l’évidence: «Il ne s’agissait pas de ses empreintes digitales. J’ai compris que nous avions besoin de moyens d’investigation supplémentaires et qu’il fallait créer une banque de données ADN.»
Banque d’ADN: un pas de plus
Un nouveau combat débute pour l’association. Début 2011, une première étape cruciale est franchie au Salvador. Cofamide, le Bureau du procureur pour la défense des droits de l’homme, le Ministère des affaires étrangères et l’Equipe argentine d’anthropologie médico-légale (EAAF, selon son sigle en espagnol) signent une convention en vue de la création d’une banque de données ADN. Mais les autorités du Mexique, où se trouvent la plupart des corps des migrants décédés en chemin, mettent les pieds au mur et refusent de laisser entrer l’EAAF. Selon Anita Zelaya, la difficulté à résoudre des cas s’expliquerait notamment par l’indifférence des autorités mexicaines: «Tout est désordonné et la corruption est omniprésente. Il n’y a pas de volonté politique dans ce sens.» A ce jour, les organismes signataires de la convention ont récolté près de 700 échantillons d’ADN. Rares sont cependant les cas qui ont été résolus. Sur 350 cas de personnes disparues dont Cofamide a connaissance – elle suit actuellement 244 cas –, seules 32 familles ont retrouvé le corps de leur proche et 24 ont pu le rapatrier. «C’est peu, mais c’est chaque fois une victoire. Même si les familles apprennent la mort de leur proche, elles peuvent enfin entamer le processus de deuil», explique Anita Zelaya.
Caravanes de mères de migrants disparus
C’est donc pour secouer les gouvernements et conscientiser l’opinion publique que le Mouvement migrant mésoaméricain, auquel Cofamide s’est joint, a mis sur pied à neuf reprises des caravanes de proches de migrants disparus. Elles empruntent les mêmes itinéraires que ces derniers dans l’espoir de retrouver des traces de leurs proches, visitent auberges, prisons et organisations en lien avec les migrants, et rencontrent les autorités politiques qui acceptent. La dernière caravane a été organisée en décembre 2013 par des organisations de cinq pays – Nicaragua, Honduras, Guatemala, Mexique et du Salvador –, et a traversé le Mexique, où elle a visité quinze Etats. «Notre initiative a eu un grand écho médiatique», se réjouit Anita Zelaya. «La majeure partie des migrants salvadoriens recherchés n’ont pas été retrouvés, mais lors de nos visites dans les prisons, nous avons rencontré quatorze personnes dont nous n’avions pas connaissance. Dans ces cas, c’est l’inverse, nous devons rechercher la famille», poursuit-elle.
Pour mener ce combat de longue haleine, il faut avant tout avoir du courage et de la persévérance. La présidente de Cofamide n’en manque pas. Mais elle rêve de disposer de davantage de moyens pour effectuer les recherches mais aussi pour aider les familles à surmonter les traumatismes provoqués par la disparition d’un proche.
COMPLÉMENT D’ARTICLE :
Faire face au traumatisme de la disparition d’un proche
Cofamide ne se contente pas de rechercher les migrants salvadoriens décédés et disparus. L’association apporte aussi un soutien psychologique aux membres des familles restés au pays qui subissent les conséquences directes de ce traumatisme.
Les parents déprimés par la perte d’un fils ou d’une fille, par exemple, peinent à s’occuper de ceux qui restent. «Les enfants sont impliqués dans le processus de recherche et sont témoins de la douleur de leurs parents, qu’ils protègent, même s’ils ont un sentiment d’abandon. La structure familiale se délite. Peuvent alors s’ensuivre des problèmes scolaires et, du fait d’une fragilité accrue, une situation d’abus de la part des maras.» C’est l’un des scénarios qu’Héctor Echeverría, psychologue à Cofamide, a maintes fois vérifié dans la pratique.
Son travail consiste donc à aider les enfants à décharger les émotions qu’ils ont intériorisées dans le cadre d’un travail d’art thérapie en groupe. «Ils retrouvent peu à peu la joie de vivre et un comportement normal d’enfants», explique-t-il.
Cofamide a étendu son soutien aux parents eux-mêmes, émotionnellement tout aussi démunis face à ce qui leur arrive. Ils apprennent à se reconnecter avec leurs sentiments parfois profondément enfouis. Enfin, pour les situations psycho-éducatives complexes, une attention individuelle est octroyée.
Par manque de moyens, l’action de Cofamide reste cependant largement insuffisante pour répondre aux besoins de ses membres affectés par la disparition d’un être cher. Elle n’en reste pas moins indispensable.
Et c’est sans compter le désarroi dans lequel se trouvent les nombreuses familles salvadoriennes qui ont perdu la trace d’un proche parti vers le Nord mais qui, par peur de représailles de la part des «coyotes» notamment, renoncent à entreprendre des démarches auprès de Cofamide pour tenter de le retrouver.