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Sûreté alimentaire – Le Liban prend conscience du problème, mais il reste à faire : Loi fragmentée, manque de moyens et consommateur peu regardant

Sûreté alimentaire – Le Liban prend conscience du problème, mais il reste à faire : Loi fragmentée, manque de moyens et consommateur peu regardant

LE REPORTAGE DE DORINE KOUYOUMDJIAN AU LIBAN

Effrayés par des émissions alarmistes, dénonçant des restaurants et des usines à l’hygiène douteuse, les Libanais découvrent les lacunes de leur pays en matière de sûreté alimentaire. Le gouvernement veut s’atteler à la question, mais la tâche est difficile, faute de lois adaptées et de moyens.
Viandes avariés, produits laitiers contaminés, fruits et légumes riches en pesticides, cuisines de restaurant sordides, cet été, au coeur d’une saison touristique morose pour l’économie libanaise, une émission de télévision a mis de l’huile sur le feu, éveillant les consciences.

Ce genre de publicité n’aide pas un pays qui mise beaucoup sur le tourisme et sa célèbre cuisine. Mais il y va aussi de la santé de la population, s’exclame le Dr Zeina Kassaify, la microbiologiste qui a effectué les analyses présentées par la télévision. Les lacunes sont énormes, tant au niveau des contrôles que dans la loi, explique cette scientifique de l’Université américaine de Beyrouth, spécialiste des sciences de l’alimentation. En cas d’épidémie, comme celle de la bactérie E.coli en Allemagne, le Liban n’a aucun moyen de détecter le problème. Il ne pourra ni en trouver la source, ni la cause, et ne pourra pas éviter de nouvelles pandémies.

Une loi fragmentée

Le problème vient du cadre législatif libanais, très fragmenté, explique Zeina Kassaify. La sûreté alimentaire relève de plusieurs ministères (économie, agriculture, santé, tourisme et intérieur) ainsi que des municipalités. Personne ne sait vers qui se tourner et parfois les autorités elles-mêmes ne savent pas si le problème est de leur ressort. Le gouvernement rejette ces critiques. Hussein el-Hajj Hassan, ministre de l’agriculture depuis trois ans, estime avoir pris les mesures qui s’imposent. Les effectifs de son ministère ont triplé – 200 inspecteurs travaillent actuellement dans la sécurité alimentaire. Les équipements ont quadruplé. « Et j’ai prévu d’aller encore plus loin », affirme-t-il. Le ministre de l’agriculture a conçu une nouvelle loi sur la sécurité alimentaire avec son collègue de l’économie. « Le sujet a longtemps été négligé au Liban, les moyens financiers manquent, mais nous arriverons à améliorer la situation », affirme Hussein el-Hajj Hassan.

Loi dans un tiroir

Pourtant, le Liban a déjà élaboré une loi, mais au lieu d’être soumise au Parlement, elle a été reléguée dans un tiroir. Ce projet, qui date de 2003, a été rédigé avec l’aide juridique de l’Union européenne, explique Marwan Hamadé, ministre de l’économie à l’époque. Mais il n’était pas du goût de tous. Il touchait aux prérogatives des ministères en créant une Direction générale de la sûreté alimentaire, indépendante et uniquement rattachée au premier ministre. Chaque ministère doit conserver ses attributions, répond Hussein el-Hajj Hassan. C’est pourquoi son projet renforce le pouvoir du Département actuel de la protection du consommateur, rattaché au ministre de l’économie, sans toucher aux droits des autres autorités. Cette solution est un pas, mais elle n’est pas optimale, répond Zeina Kassaify. Les prérogatives continueront à être diluées. Il faut une autorité forte qui centralise les pouvoirs et qui soit le seul interlocuteur possible. Faute de mieux, la scientifique envisage néanmoins de collaborer avec le Département de la protection du consommateur.

Amendes salées

Cette autorité dispose actuellement de 215 contrôleurs pour l’ensemble du Liban, explique son directeur, Fouad Fleifel. Le territoire libanais équivaut à un quart de la Suisse pour un peu plus de 4 millions d’habitants. Les inspecteurs vérifient les produits alimentaires dans les magasins et les restaurants. Les contrevenants se voient infliger des amendes allant jusqu’à 75 millions de livres libanaises (42’000 francs), voire la fermeture de leur établissement. Mais le nombre de contrôleurs n’est pas suffisant face aux quelques dizaines de milliers d’établissements et commerces à inspecter, reconnaît M. Fleifel. « Nous voulons impliquer le citoyen qui doit lui aussi prendre l’initiative et nous contacter en cas de problème ». Le consommateur ne connaît pas ses droits, relève Zeina Kassaify. Mais il doit aussi changer de mentalité. « Le Libanais ne se plaint pas, par peur d’être considéré comme étant celui qui a dénoncé. Certains tombent malades à cause d’une nourriture frelatée, mais retournent là où ils ont consommé ce produit », raconte-t-elle.

Association

Zeina Kassaify a créé l’Association libanaise pour la sûreté alimentaire, en espérant sensibiliser le consommateur, mais aussi les exploitants. « Les restaurateurs et les producteurs ne savent souvent pas le risque sanitaire qu’ils font courir à leurs clients en négligeant l’hygiène ». Ils pensent que cela va leur coûter cher, or, il suffit de quelques principes de base. En accord avec le Département de la protection du consommateur, l’association va organiser des séminaires pour le secteur de l’alimentation et les restaurants. Le Syndicat des restaurateurs libanais soutient cette initiative, indique son président Paul Ariss. Mais il reste beaucoup à faire. L’organisation ne compte que 400 membres alors que le nombre d’établissements présents au Liban dépasse les 10’000.

COMPLÉMENT D’ARTICLE :

Une association pour défendre les consommateurs et sensibiliser l’Etat

L’Etat peinant à trouver sa place dans l’amélioration de la sûreté alimentaire au Liban, des privés ont créé une association. Cette organisation non gouvernementale veut lancer son propre système de certification, tout en collaborant avec le gouvernement. Présidente de l’Association libanaise pour la sûreté alimentaire, Zeina Kassaify est professeur au Département des sciences alimentaires de l’Université américaine de Beyrouth. Cette microbiologiste formée au Canada a effectué de nombreuses analyses dans des restaurants et les commerces. Les résultats ne sont de loin pas tous rassurants. Pour Zeina Kassaify, le consommateur doit agir. « Il ne connaît pas ses droits », affirme-t-elle. Il y a également un aspect culturel, selon elle. Le Libanais ne se plaint pas, par peur d’être jugé par ses congénères comme étant celui qui a dénoncé. Certains tombent malades à cause d’une nourriture frelatée, mais retournent là où ils ont consommé ce produit.

Récompenses

Mme Kassaify a créé cette association en espérant sensibiliser le consommateur, mais aussi les producteurs et restaurateurs qui ne se rendent pas compte du danger qu’ils font courir à leurs clients faute d’hygiène. L’ONG a prévu de récompenser le travail des entreprises qui travaillent correctement en publiant leur nom sur internet ou en leur donnant des labels de qualité. « Le but est de pousser les autres à s’améliorer ». Se basant sur ses propres analyses de laboratoire, Mme Kassaify estime à 60% le nombre de restaurants et de commerce spécialisés dans l’alimentation qui n’appliquent aucun système de sûreté alimentaire. Dans les 40% restants, la très grande majorité utilise des procédures partielles et très peu se conforment totalement aux normes internationales.

Dorine Kouyoumdjian

Après un stage et plusieurs années de journalisme RP à la radio Fréquence Jura à Delémont, puis un séjour d’une année dans une ONG en Arménie, je suis arrivée à l’Agence Télégraphique Suisse en 2000. J’ai tout d’abord rejoint la rubrique suisse avant de me tourner vers l’actualité économique en devenant correspondante à Zurich. Depuis le début de l’année, je suis de retour en centrale à Berne, toujours pour la rubrique économique de l’ats.

Nada Mehri

Je suis libanaise. Journaliste à L’Orient-Le Jour, quotidien libanais francophone, depuis janvier 1999. Je suis journaliste au département d’informations locales : auteur de plusieurs articles et dossiers sur des sujets divers en rapport notamment avec le social, la bioéthique, le développement, les droits de l’Homme, et l’actualité médicale. Dans le cadre de mes fonctions, je suis aussi appelée à couvrir l’actualité libanaise et des congrès surtout médicaux au Liban et à l’étranger… Je suis aussi responsable depuis août 2003 de la page hebdomadaire médicale du quotidien. Par ailleurs, depuis 2002, je collabore régulièrement au mensuel libanais francophone Noun. J’ai un DESS en journalisme délivré par l’Université libanaise, le CFPJ et l’IFP en France. Je parle l’arabe qui est ma langue mère, le français, l’anglais et l’italien.

Dorine Kouyoumdjian

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