Article

Sûreté alimentaire : le système de contrôle suisse hautement efficace

Sûreté alimentaire : le système de contrôle suisse hautement efficace

LE REPORTAGE DE NADA MERHI EN SUISSE

En Suisse, on ne plaisante pas avec la sûreté alimentaire ! Le pays est doté d’un système de contrôle très strict qui implique essentiellement les douanes et les chimistes cantonaux. Un système qui, toutefois, est critiqué par certains commerçants.

Sur le tarmac du terminal E de l’aéroport de Zurich, un avion vient de déposer passagers et marchandises. Mangues, légumes et différentes sortes de fleurs, bien emballés, traînent dans des conteneurs sous un soleil clément, le temps qu’un agent de handling (personne chargée de la manutention des marchandises et du transport dans l’aéroport) s’en occupe.

Un homme moustachu arrive à bord d’un chariot tracteur. Il charge quelques conteneurs, vérifie les documents et se dirige vers les halles de l’aéroport, tout en sifflotant. Là, il tend les documents à l’un des transitaires et retourne sur le tarmac pour s’occuper du reste de la marchandise.

Aux douanes des aéroports, le contrôle des denrées alimentaires – et de toute autre marchandise – se limite essentiellement à l’aspect formel. L’inspection des restaurants, des commerces et de toute entreprise relevant du secteur alimentaire (sociétés industrielles, abattoirs, fermes…) relève de la compétence des laboratoires cantonaux. Il en est de même pour les analyses menées sur les additifs, les composants ou les substances étrangères (résidus, impuretés…) présentes dans les denrées alimentaires, comme sur les objets usuels, c’est-à-dire la vaisselle, les appareils, les matériaux d’emballage, etc. « Nous sommes munis d’un programme informatique spécial, qui englobe les déclarations des marchandises, le hall dans lequel elles se trouvent, les codes des transitaires, ainsi que les références des entreprises vers lesquelles elles sont destinées, celles des importateurs et des pays d’où ils importent, explique Karl Fässler, chef de la subdivision fret aérien à l’Inspectorat des douanes de l’aéroport de Zurich. De plus, chaque lot de marchandise porte un numéro de tarif et des indications sur son poids, sa valeur et les résultats de sélection. »

En général, 90 % de la marchandise qui passe par les douanes de l’aéroport de Zurich est libérée dans les heures qui suivent. Seuls 10 % sont bloqués, « essentiellement pour des raisons formelles », précise pour sa part un jeune contrôleur. « Il existe toute une série de règles qui nous poussent à bloquer une marchandise, comme les fausses preuves d’origine qu’on présente pour éviter de payer des taxes élevées, constate-t-il. Celles-ci ne sont nécessairement pas falsifiées, mais elles ne correspondent pas aux critères que nous posons. »

Facteur humain

Chaque équipe de contrôleurs « fait sa propre sélection » concernant les marchandises à vérifier. Pour ce faire, elle se base sur les analyses de risque que lui « transmet l’administration » ou « les laboratoires cantonaux, quand il s’agit de denrées alimentaires ». « Lorsqu’une marchandise est bloquée, le contrôleur a une demi-heure pour décider s’il veut ou non la vérifier, poursuit le jeune homme. Au-delà de cette période, la marchandise est de facto libérée. La décision n’est pas facile à prendre, vu la quantité de travail. Notre décision est basée sur les facteurs de risques, les informations que nous recevons sur la marchandise, les sollicitations de l’administration ou encore la demande d’offices externes qui exigent des échantillons. Près de 1 % de la marchandise bloquée est examinée, bien que nous souhaitions vérifier l’ensemble de ces envois arrêtés. Mais ce qui est intéressant, c’est que nous pouvons a posteriori refaire un contrôle des dossiers avec un effet rétroactif sur une période de cinq ans. »

« Près de 12 à 15 % des aliments importés nécessitent un contrôle supplémentaire, fait remarquer à son tour Karl Fässler. Ici, nous n’effectuons pas des analyses, c’est de la compétence des chimistes cantonaux. Toutefois, nous les alertons au sujet des marchandises en provenance de pays suspects et nous leur envoyons des échantillons. Parfois, à leur demande, nous prélevons des spécimens de certains produits spécifiques, comme les arachides. Récemment, ils nous ont demandé des échantillons de 100 g pour chaque envoi de plus de 50 kilos. Néanmoins, nous ne gardons pas la marchandise. Nous la libérons et informons les chimistes cantonaux de la destination. »

Et Karl Fässler de préciser : « Aux douanes, par contre, nous contrôlons la chaîne de froid. Récemment, nous avons détruit près de 300 kilos de viande parce que la température ne répondait pas aux normes. Malheureusement, nous ne pouvons pas retracer toute la chaîne à partir du pays d’origine. Nous faisons confiance aux labels, comme l’ISO ou autres, qui sont une garantie de la sûreté des aliments. En cas d’alertes internationales, des mesures plus strictes sont prises. Lors de la crise de Fukushima, par exemple, toute la marchandise en provenance du Japon était systématiquement arrêtée. Notre système de contrôle est efficace à plus de 90 %, mais il est clair que nous ne pouvons pas tout contrôler. »

COMPLÉMENT D’ARTICLE :

Je vais à la fermeture

Dans un resto-magasin de spécialités arabes, à Genève, une petite fille d’à peine quatre ans tire son papa par son pantalon. Elle s’installe sur ses genoux et lui demande, avec un sourire câlin, si elle pouvait lui coiffer les cheveux. Pendant quelques minutes, il se prend au jeu, avant de se lever pour servir une table où s’étaient installés quatre hommes.

H. est le propriétaire de ce négoce de produits orientaux, « surtout maghrébins », qu’il tient depuis sept ans. En plus des denrées alimentaires, il a aménagé un petit coin resto où il sert au quotidien des plats du jour traditionnels du Maghreb. Dévoué pour son travail, il déclare toutefois « être dégoûté par le secteur ».


« L’un des problèmes majeurs que nous rencontrons, c’est que tout est soumis à la douane, déplore H. Cela est très difficile pour nous, commerçants, en raison de la crise économique, la cherté de vie en Suisse et les taxes que nous payons. Aux douanes, il m’est arrivé de payer pour un même produit deux taxes différentes, chez deux douaniers différents ! »

Sirotant un thé, il poursuit : « Pendant sept ans, j’ai importé de la limonade algérienne de France. Cette année, j’ai décidé d’en importer directement d’Algérie. À la douane, ils m’ont collé une amende, ayant jugé qu’il y avait une erreur au niveau de l’étiquetage où on pouvait lire soda au lieu de limonade ! Pourtant, il s’agit du même produit que j’importais de France. »

Et H. d’ajouter : « Au début, j’importais beaucoup de viande. Je ne le fais plus, parce que les procédures sont très complexes. En fait, nous sommes soumis à des taxes beaucoup plus élevées, ainsi qu’au contingent qui fixe le droit d’importation. Donc, nous devons payer à l’avance des quantités que nous devons déterminer. Nous jouons dans l’inconnu, d’autant qu’à la douane, la marchandise peut être refusée pour une raison quelconque. À cela s’ajoutent les inquisitions. Je peux vous assurer qu’il y a une différence dans ce qu’on fait subir au commerçant suisse et au commerçant étranger. Nous, étrangers, subissons les préjugés par rapport à l’État, aux douanes, au contrôle et au client aussi. Le client suisse n’entre pas chez nous parce que nous avons inscrit “halal” en arabe sur la vitrine. Il ne sait pas ce que signifie ce mot, mais il a peur, parce que c’est arabe, c’est communautaire… Personnellement, toutes ces mesures ne m’encouragent plus à poursuivre mon commerce en Suisse. Aujourd’hui je survis, mais je vous assure que je vais à la fermeture. »

Malek el-Khoury : « Je sais choisir les produits à importer »

Malek el-Khoury est un homme d’affaires libanais, installé à Genève depuis plus de vingt ans. Propriétaire d’une société d’importation et de distribution et d’une épicerie, Lyzamir, il propose aux consommateurs des denrées alimentaires de plus de quatre-vingt pays. Pour lui, les problèmes rencontrés se situent à trois niveaux. Premièrement, les lois en vigueur, qui sont « sévères et strictes, notamment en ce qui concerne les emballages et les étiquetages », ce qui le pousse à « abandonner l’idée d’importer certains produits », qui pourtant pourraient être intéressants. « Les emballages, à titre d’exemple, ne doivent pas comprendre certaines variantes de polyéthylène qui rentrent dans la fabrication du plastic, explique-t-il. En ce qui concerne les étiquettes, elles doivent compter des indications dans l’une des langues nationales (allemand, français, italien et romanche). Pour pouvoir distribuer la marchandise, nous sommes obligés d’apposer des contre-étiquettes, sinon nous risquons de payer des amendes. »

Le deuxième problème concerne « certaines matières sensibles, qui sont autorisées sur le marché européen, mais pas en Suisse, comme les colorants, sachant qu’une grande partie des produits présents sur le marché mondial en contiennent, ou certaines matières de préservation ou des produits OGM ». « Je fais systématiquement analyser chaque produit nouveau que je compte introduire en Suisse, pour éviter les mauvaises surprises », confie Malek el-Khoury.

La troisième difficulté se situe au niveau « des accords conclus avec certains pays pour protéger la production locale ». « Je ne peux pas importer la labné du Liban, mais je peux importer un produit similaire de la France, constate-t-il. Si je veux faire rentrer la labné libanaise en Suisse, je dois d’abord l’exporter en France. Ce qui n’est pas intéressant, parce que le produit devient très cher. »

Familier de la loi et des procédures en vigueur, « soigneux » dans son travail et fort d’une « bonne réputation » qu’il s’est bâtie au fil des ans, Malek el-Khoury confie « savoir choisir les produits à importer ». « Dans de nombreux cas, les lois qui sont émises sous le label “de la protection du consommateur” visent souvent à protéger le marché local, note-t-il. Elles ne sont pas toujours justifiées, d’autant qu’une grande partie de ces produits est vendue sur le marché européen. »

Nada Mehri

Je suis libanaise. Journaliste à L’Orient-Le Jour, quotidien libanais francophone, depuis janvier 1999. Je suis journaliste au département d’informations locales : auteur de plusieurs articles et dossiers sur des sujets divers en rapport notamment avec le social, la bioéthique, le développement, les droits de l’Homme, et l’actualité médicale. Dans le cadre de mes fonctions, je suis aussi appelée à couvrir l’actualité libanaise et des congrès surtout médicaux au Liban et à l’étranger… Je suis aussi responsable depuis août 2003 de la page hebdomadaire médicale du quotidien. Par ailleurs, depuis 2002, je collabore régulièrement au mensuel libanais francophone Noun. J’ai un DESS en journalisme délivré par l’Université libanaise, le CFPJ et l’IFP en France. Je parle l’arabe qui est ma langue mère, le français, l’anglais et l’italien.

Dorine Kouyoumdjian

Après un stage et plusieurs années de journalisme RP à la radio Fréquence Jura à Delémont, puis un séjour d’une année dans une ONG en Arménie, je suis arrivée à l’Agence Télégraphique Suisse en 2000. J’ai tout d’abord rejoint la rubrique suisse avant de me tourner vers l’actualité économique en devenant correspondante à Zurich. Depuis le début de l’année, je suis de retour en centrale à Berne, toujours pour la rubrique économique de l’ats.

Nada Merhi

Autres articles

Sûreté alimentaire – Le Liban prend conscience du problème, mais il reste à faire : Loi fragmentée, manque de moyens et consommateur peu regardant

Sûreté alimentaire au Liban Les restaurants soumis à leurs propres règles – Visite de trois cuisines