Un reportage EQDA
Les transports en commun de la capitale rwandaise sont désormais dotés de la 4G gratuite et d’un système de paiement digital et d’analyse de données.
Pour se déplacer et zigzaguer dans le trafic à Kigali, au Rwanda, rien ne vaut les fameux taxis-motos, mais ils ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Alors la majorité de la population se rend au travail à pied ou en bus. Heureusement pour elle, le confort de ces derniers s’est nettement amélioré cette année, avec l’installation de bornes wifi 4G gratuites sur plus de quatre cents bus et la possibilité de payer digitalement son ticket. Une révolution selon les entreprises de transport. Le Courrier a embarqué pour vérifier.
Nyarutarama peu avant midi, quartier chic de Kigali, celui des ambassades, du parlement et des villas de luxe. Mais chic ou pas, dans le pays des mille collines, ça monte sec avant d’atteindre les grandes artères. Comme à son habitude, l’arrêt de bus de Gishushu, au pied du parlement, est bondé. On ne fait pas que d’y attendre son car, on y achète de la monnaie virtuelle pour son téléphone, à boire et à manger. On discute sport et météo, jamais politique. A priori, rien n’a changé.
À son arrivée, le petit bus blanc a l’air toujours aussi vétuste et continue de se dandiner au gré du poids imprimé sur ses suspensions trop souples. Comme à son habitude, le chauffeur hurle sa destination: «Mumudji!», le centre-ville. Mais à la porte, plus de contrôleur avec sa liasse de francs rwandais. Désormais, on paye par Tap&Go, une carte magnétique qu’on appose sur un petit boîtier orange comme à Londres ou à New York.
Décalage et surveillance
La technologie ne paraît pas franchement révolutionnaire, mais son inventeur, Patrick Buchana, jeune CEO de AC Group, le jure: «Les possibilités de la Tap&Go sont bien supérieures à ce qui se fait ailleurs.» Selon le jeune homme de 25 ans, compagnon de route pour l’occasion, «les possibilités de traitement et d’analyse de données font la différence. Nous pouvons savoir si le nombre de passagers est approprié, connaître le nombre d’arrêts effectués, la manière de freiner du chauffeur, etc. Grâce à ces données nous avons pu réduire les accidents de 70%.»
Au contraire des bus non équipés, le chauffeur ne se permet pas de s’arrêter lorsqu’un passant souhaite monter en plein trafic. La conduite également est moins erratique. «On profite des informations collectées pour former les chauffeurs et leur inculquer une nouvelle culture. Nous collaborons avec toutes les compagnies et cinq lignes sur treize sont déjà équipées», s’enthousiasme Patrick Buchana, tout en sirotant son milkshake Oreo.
Tandis que la chaleur devient insupportable dans le bus, faisant transpirer à grosses gouttes les audacieux touristes et expatriés qui ont osé embarquer, on s’interroge sur l’aspect intrusif de la carte pour les employés et les usagers. L’entrepreneur balaie rapidement la question: «Tout le monde y gagne, les utilisateurs aussi. Le temps de trajet moyen a été raccourci de vingt-cinq minutes à une heure et les prix sont ajustés à leur avantage. Les entreprises perdaient environ 30% des recettes avec les sommes que les contrôleurs ne rendaient pas à leur employeur. Avec ces «nouvelles» recettes les prix baissent. Le gouvernement aussi est content avec de meilleures recettes fiscales.»
De nouveaux marchés
Pour l’heure la carte est anonyme. «Les gens étaient réticents au départ, consent M. Buchana, mais les mentalités vont changer.» Pour utiliser la 4G gratuite du bus – probablement la meilleure connexion de la ville –, il faut déjà livrer de nombreuses informations essentielles au profilage. À l’avenir, AC Group, qui emploie quarante-deux personnes au bout d’une année d’existence, espère faire de la Tap&Go une carte multifonctions. «L’idée est de lier la carte au compte bancaire de l’usager. Il pourra recharger son forfait téléphonique et même payer dans les magasins. Une cinquantaine d’enseignes sont déjà équipées – par nos soins – du système permettant d’effectuer des transactions.»
Avec 200 000 usagers, la compagnie, incubée au K-Lab et qui compte le gouvernement comme investisseur, souhaite peser sur le marché déjà bien saturé du paiement dématérialisé en Afrique. Prochainement, l’entreprise va lancer son produit à Addis-Abeba, en Ethiopie.