Un reportage EQDA
A Dakar, une entreprise culturelle originale marie l’art, les outils numériques et le développement. Trias Culture exploite le potentiel des technologies pour nourrir la création artistique, mais aussi pour aider les artistes à se professionnaliser.
Maria Luisa Angulo, de nationalité franco-salvadorienne, a fondé Trias Culture en 2008, année de son emménagement au Sénégal. Quand cette femme énergique et rayonnante évoque ses activités, les mots « business », « musique », « managérial », « peinture » ou encore « industrie culturelle » se marient le plus naturellement du monde.
Danseuse professionnelle mais aussi économiste, Maria Luisa est loin d’opposer l’art à l’économie. Elle leur trouve au contraire des liens réciproques et des synergies. « L’économie ne fonctionne plus seulement sur la productivité mais sur la créativité, l’innovation. » Et réciproquement, la création artistique peut viser la rentabilité. « Je travaille dans une optique de développement », explique-t-elle. « Une société ne peut pas se développer si elle ne maîtrise pas les outils de son époque. »
Dépasser la précarité
Ses premiers ateliers exploraient l’utilisation des outils numériques dans la création artistique contemporaine. Elle a réuni des chorégraphes, danseurs, techniciens et développeurs. Les pas des danseurs déclenchent par exemple des lumières, des images ou des sons grâce à des capteurs reliés à un ordinateur. Lors de ces ateliers, elle a constaté qu’on ne pouvait pas laisser la technique de côté. « Certains participants, par exemple, ne savaient pas comment charger leurs photos sur l’ordinateur. »
Depuis 2011, Trias Culture propose donc aussi des cours sur les technologies et médias numériques. L’objectif de Trias Numerika: permettre aux artistes de dépasser le stade de la précarité et de créer une dynamique de carrière.
Des dizaines de musiciens, peintres, écrivains ou cinéastes y ont déjà participé, après sélection sur dossier et selon un système de bourses. Ces ateliers soutenus par la coopération espagnole s’adressent à des artistes déjà pros ou en voie de professionalisation.
Du concret
Un programme général de 75 heures aborde les technologies de l’information et de la communication (TIC) applicables à toutes les professions culturelles. Il est orienté sur la pratique et son contenu est adapté aux besoins des participants.
« Au début ça peut être très basique » avec certains artistes peu habitués au numérique, note Maria Luisa. Dans ce cas, il faut d’abord leur apprendre à utiliser une messagerie électronique, des moteurs de recherche ou les réseaux sociaux.
Des modules avancés permettent d’acquérir des compétences dans les applications multimédia pour le web (vidéo, image, son) et de construire un projet professionnel. Chacun repart avec une réalisation concrète, par exemple avoir créé et alimenté sa page Facebook.
A chaque étape
Un autre programme de 125 heures montre comment intégrer les TIC dans chaque étape d’une filière spécifique. Pour un musicien par exemple: de la création musicale à l’organisation de concerts, en passant par les enregistrements en studio, la propriété intellectuelle et la stratégie de communication.
Trias Culture met les artistes en relation avec des techniciens, des développeurs, des informaticiens, ainsi que des spécialistes en marketing pour « maîtriser les codes du business ». Elle cherche à décloisonner les disciplines et à créer des ponts. Là aussi, il faut adapter les outils aux participants, commente Maria Luisa. Si un artiste vise un public local, les canaux les plus pertinents peuvent être les journaux, la radio ou même la rue.
Nouvelle alphabétisation
Maria Luisa offre aussi des ateliers pour des femmes et enfants habitant Dakar. « L’équilibre social d’un quartier tient beaucoup à l’action des femmes », à travers leur implication dans des associations locales. Mais ce travail est anonyme. Et elles-mêmes n’ont pas conscience de son impact à sa juste valeur. Un atelier de photographie a permis à une soixantaine de femmes de prendre la parole grâce à l’image. Trias Culture expose leurs photos dans les quartiers mais aussi lors de biennales d’art. Elles ont pu prendre conscience de leur action et la faire connaître aux autres. « C’est une nouvelle forme d’alphabétisation. »