UN REPORTAGE AU SENEGAL DE LEA GLOOR (ARCINFO)
L’érosion côtière menace les localités du Sénégal. La montée du niveau de la mer, due au changement climatique, aggrave la situation. Premier épisode d’une série de reportages.
Une vingtaine de maisonnettes ocres tournent leurs fenêtres nues vers l’embouchure du fleuve Sénégal. Sur le sable, des filets de pêche s’amassent entre des pirogues colorées. Deux jeunes garçons se prennent pour Sadio Mané, star de l’équipe nationale de football. Sur la plage de Pilote Barre, difficile de croire que le village et ses environs étaient à deux doigts de disparaître dans les flots en 2015.
«L’eau entrait dans les habitations. On ne dormait plus la nuit», se souvient Dgiby Diakhaté, instituteur de ce village situé dans la région du Gandiol, à une vingtaine de kilomètres au sud de Saint-Louis. Les habitants de toute la côte risquaient de payer le prix d’une décision prise en 2003 par le gouvernement sénégalais. Ceci pour protéger la cité d’une crue du fleuve.
Dur comme du métal
Une brèche de quatre mètres de large avait été creusée dans la langue de Barbarie, cette bande de sable qui s’étend de la Mauritanie au Gandiol et qui constitue encore aujourd’hui une barrière naturelle entre l’océan et le fleuve. Problème, l’ouverture, censée agir comme un couloir de délestage, s’est étendue jusqu’à atteindre plusieurs kilomètres, exposant les villages de l’estuaire aux marées. La montée du niveau de la mer, due au changement climatique, a rendu leur situation encore plus précaire.
«Le phare que vous voyez là-bas aurait pu y passer», insiste Dgiby Diakhaté. En dernier recours, l’enseignant avait fait planter, à ses frais, plusieurs filaos pour tenter de freiner les assauts des vagues. Ces arbres aux allures de palmiers décharnés, mais au bois dur comme du métal, s’étaient eux aussi retrouvés les pieds dans l’eau. Un politique très en vue de la région avait, pour sa part, envoyé des pneus de camion pour faire obstacle à l’océan. Les pêcheurs aiment raconter qu’on en retrouve encore parfois, pris dans la vase.
C’est à ce moment-là qu’est intervenue la Direction sénégalaise de l’environnement et des établissements classés (DEEC). En lieu et place d’une digue ou d’une autre construction, cette dernière a fait un choix inédit au pays: renflouer la plage en sable, afin qu’elle puisse à nouveau absorber l’onde. «Pour moi, c’est une évidence depuis longtemps que l’on ne doit plus construire en dur», soutient Mariline Diara, directrice de la DEEC et sédimentologue de formation. A ses yeux, les digues, brise-lame et autres épis envisagés jusqu’à présent pour protéger les côtes perturbent le transit du sable. Ils contribuent ainsi à déséquilibrer le littoral qui s’effondre peu à peu (lire l’encadré).
Deux mois de travaux ont été nécessaires à la réalisation de cette plage, longue de 700 mètres pour 20 mètres de large. Le sable a été acheminé par camion, en provenance de l’arrière-pays aride. Coût de l’opération: environ 636 500 francs suisses, auxquels s’ajoutent quelque 155 000 francs pour l’étude réalisée en amont sur un fonds de l’Union européenne.
«A titre de comparaison, la digue de Rufisque (réd: ville à l’est de Dakar, aussi touchée par l’érosion côtière), qui fait 730 mètres de long, a coûté 3,3 milliards de francs CFA», relève Mariline Diara. Soit plus de 5,6 millions de francs suisses.
«Dans un monde idéal»
L’opération menée à Pilote Barre pourrait-elle être reproduite ailleurs au Sénégal? C’est le souhait de la directrice. «Dans un monde idéal, on dégagerait toute la bande côtière sur plusieurs dizaines de mètres, on déplacerait les populations, on rechargerait les côtes en sable et on redonnerait au littoral son équilibre. Le tout assorti d’études techniques. Il nous faudrait aussi des plans d’aménagement corrects», projette-t-elle. Une loi sur le littoral fait par ailleurs l’objet d’intenses débats dans les hautes sphères du pays.
A Pilote Barre, c’est à d’autres cieux que l’on se remet. «Inch’Allah», répond sobrement le vieux pêcheur Mamadou Senn lorsqu’on lui parle des études scientifiques prévues dans l’embouchure. «Si Dieu le veut». Il nous glisse, avec fatalisme: «A certains moments, si l’on connaît exactement l’endroit et que la mer est calme, on peut encore travailler normalement.»
Entre les maisons jaunes, sur le sol meuble, des enfants se pourchassent en riant. D’autres n’ont plus cette chance. Il y a 15 ans, Doun Baba Dieye, 14 kilomètres plus au nord, comptait environ 700 habitants. Il n’en reste aujourd’hui plus rien.