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« Nous ne pourrons arrêter la mer avec nos seuls bras »

« Nous ne pourrons arrêter la mer avec nos seuls bras »

UN REPORTAGE AU SENEGAL DE LEA GLOOR (ARCINFO)

Au Sénégal, l’érosion côtière met en danger les populations. Pour les protéger, on les délocalise. Une solution décriée à Palmarin. C’est le deuxième volet de notre série de reportages.

«Nous ne pourrons arrêter la mer avec nos bras.» Depuis son bureau de Palmarin, sur la Petite-Côte sénégalaise, Georges Faye n’aperçoit pas l’océan. Pourtant, l’adjoint au maire sait parfaitement ce que les vagues sont en train d’infliger à cette portion de terre, prise en étau entre l’Atlantique et le fleuve Saloum.

Comme 11500 Palmarinois, il voit le rivage s’effriter sous les effets de l’érosion côtière. Et l’océan, rendu plus menaçant par le réchauffement climatique, envahit les terres.

«En 2016, nous avions repéré 24 maisons susceptibles d’être englouties. Six sont aujourd’hui sous l’eau», rapporte l’environnementaliste de formation.

Interpellé sur la situation des quatre localités qui composent Palmarin, l’Etat sénégalais avait évoqué une solution drastique: déplacer les habitations et leurs occupants. Un crève-cœur auquel s’opposent les autorités locales. «Nous avons été et resterons fermes: nous voulons des mesures de protection et rien d’autre», matraque Georges Faye.

Le boom touristique, un motif pour rester

C’est que les Palmarinois ont une longue histoire avec l’océan. Il y a 30 ans, un raz-de-marée a forcé une partie des villageois, en majorité des pêcheurs, à se retirer plus loin dans les terres. La vague avait conduit à la rupture de la pointe de Sangomar, un étroit banc de sable situé cinq kilomètres au sud. Sur la plage de Diakhanor, on voit encore un puit, à moitié enseveli sous le sable et désormais rempli d’eau salée.

Le boom touristique que connaît actuellement la région pousse aussi les habitants à s’accrocher à leurs terres. Des «lodges» ouvrent à tout va, proposant excursions en canot sur la lagune et visites guidées de la réserve naturelle communautaire attenante.

Pour sauver Palmarin, les édiles misent sur la construction d’une digue le long de leurs 38 kilomètres de côte, à la charge de l’Etat. En attendant, c’est à coup de sacs de sable que la population a érigé un mur il y a deux ans. «Mille sacs ont été préparés, 600 ont été utilisés», calcule Sakou Sarr, en charge de l’aménagement du territoire. Des filaos, ces arbres ressemblants à des palmiers et résistants au sel, ont aussi été plantés pour retenir le sable et éviter ainsi que la côte ne s’effondre. Georges Faye et ses collègues envisagent aussi la construction d’un mur en dur le long des dunes.

«La mer fera sa propre sensibilisation»

Lorsqu’on évoque avec elle le cas de Palmarin, la responsable de la Direction de l’environnement et des établissements classés (DEEC), Mariline Diara, n’y va pas par quatre chemins. «On entend souvent qu’il faut informer les populations, sensibiliser. La mer fera sa propre sensibilisation. Ici, elle est rentrée dans les maisons, les gens sont partis», raconte-elle, en visite à Saint-Louis dans le nord du pays.

Dans cette ville inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, la sensibilisation a déjà eu lieu. Des centaines de personnes n’ont pas eu le choix. En 2016, une cinquantaine de familles de pêcheurs, installées sur la langue de Barbarie, ont vu les flots envahir leur logement (voire le premier reportage). L’année suivante, 188 foyers exactement ont été détruits par les vagues. Cette année, une quinzaine de familles se sont vues dépossédées de leur maison. En tout, quelque 2000 Lébous, l’ethnie majoritaire, ont déjà dû quitter leurs quartiers pour se retrouver loin de leur gagne-pain et quand même les pieds dans l’eau.

En 2010, l’Etat a construit un quartier à l’est de la Saint-Louis continentale. On y a installé les familles avant de se rendre compte que le terrain était détrempé. Les exilés ont alors été déplacés dans des logements provisoires avant de pouvoir réintégrer les baraquements lors de la saison sèche.

Avec ces arrivées, les installations ont très vite affiché complet, et le campement a dû être agrandi. De nouvelles zones devraient être aménagées. Assisté par des acteurs internationaux, l’Etat prévoit de reloger près de 10000 personnes.

En plus de faire fuir les vivants, la mer profane les morts. Au Sénégal, personne n’a oublié la submersion du cimetière de Thiawlène en 2007. Dans cette banlieue de Rufisque, au nord de Dakar, des corps avaient été déterrés par les vagues. Le cimetière musulman de Goxu Mbac, au nord de la langue de Barbarie, est, pour l’heure, préservé. Celui de Guet Ndar, plus au sud, inquiète davantage.

Malgré tout, à Palmarin, Georges Faye et ses concitoyens refusent de voir l’océan comme leur ennemi. «Un dicton dit ‘tout ce que la mer donne, elle reprend. Tout ce qu’elle garde, elle répare.»

Lea Gloor

Lea Gloor, 28 ans, est journaliste et responsable de la cellule web au quotidien régional neuchâtelois ArcInfo. Elle a fait ses premières armes, loin des pays du Sud, sur le – froid – terrain chaux-de-fonnier. Après son stage en rubrique locale, elle consacre son énergie au développement du site web, notamment en sensibilisant la rédaction aux codes de la Toile et à la particularité des formats numériques. Avant de travailler en rédaction, elle a étudié l’anglais, la sociologie et la communication et a décroché un Master en journalisme à l’Université de Neuchâtel. Ce voyage au Sénégal constitue sa première expérience professionnelle à l’étranger.

El Hadji Massiga Faye

Après des études de journalisme à l’université Cheih Anta Diop de Dakar, Massiga Faye a collaboré comme journaliste reporter aux services Société et Culture du quotidien Le Matin. Depuis 2007, il travaille au quotidien Le Soleil (service Culture et Médias) à Dakar. A ce titre, il a couvert diverses manifestations culturelles en Afrique et en Europe.

Lea Gloor

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