UN REPORTAGE DE PHILIPPE VILLARD EN COLOMBIE – MEDIA DE REFERENCE : L’EXPRESS-L’IMPARTIAL
Dans trois villes du pays, la fondation suisse Bambi développe divers programmes pour accompagner mères et enfants déplacés. Visite au foyer de Bogotá.
Des cloisons de tôles disjointes. Une porte de guingois. Un chien famélique qui aboie. Des fillettes amusées qui le chassent d’un coup de pied sans énergie. Une poule indifférente qui se dandine entre les pattes des visiteurs du jour…
Dans cette masure se faufilent quand même l’électricité et l’eau courante qui alimente un bassin de ciment.
Là, sous une charpente précaire, sous une couverture de tôles dont l’étanchéité ne semble pas garantie, dans des relents indéfinissables de cuisine, des émanations humides de terre battue, d’étoffes moisies et de produits ménagers, vivent trois générations d’une même famille de personnes déplacées pour cause de «conflit», comme on dit en Colombie.
José William, le père, sans qualification, travaille au gré d’engagements journaliers comme manœuvre sur des chantiers. Au déracinement et à la pauvreté s’ajoute, pour la mère Olga, un léger handicap mental et, pour la grand-mère, une santé défaillante qui la contraint à porter un dispositif d’assistance respiratoire.
Son masque et la bouteille d’oxygène sont d’ailleurs tout ce qu’il apparaît de neuf sous l’abri précaire d’un taudis poussé tout aussi sauvagement que légalement sur les hauteurs de Bogotá, dans le quartier de Rafael Uribe. La famille qui vit là possède en effet un titre de propriété pour une construction qui est sa maison mais qui, ici, ne serait ni un appentis, une remise ou un débarras.
C’est de ce milieu familial ballotté par les conséquences d’une politique qui n’a pas encore fini de s’argumenter par les armes à la main que la fondation suisse Bambi a extrait la dernière des fillettes. Agée de 2_ans et demi, elle bénéficie d’un régime d’internat au foyer que la fondation a construit à quelques kilomètres d’ici. Dans ce même secteur déshérité aux marges de la tentaculaire capitale colombienne. «Nous avons pu la recueillir par le biais de mères fréquentant le foyer», expliquent Rubiela Cruz et Erika Pinzon, respectivement assistante sociale et psychologue à la fondation. «Les parents peuvent l’accueillir en fin de semaine. Et s’ils ne sont pas en mesure de le faire, ils ont la possibilité de venir la voir au foyer».
Sans chaussures
Dans le cadre de leurs visites à domicile, elles prennent des nouvelles de chacun. Elles s’inquiètent aussi des conditions de vie plus que «limites» en termes d’hygiène, de salubrité et de promiscuité de ces nombreuses familles ou de ces parents isolés qui ont plus fui le conflit qu’ils n’ont été attirés par les lumières de la capitale.
Autre «barrio», autre situation. Si l’habitat est moins précaire, la situation du jeune couple formé par Luis, 20 ans, et Maria Cristina, 19 ans, déjà parents de deux petits garçons, n’en reste pas moins difficile. «Ils sont arrivés de la campagne sans chaussures. Ils ne pouvaient pas inculquer aux enfants dénutris des heures de repas et autres habitudes de vie», expliquent encore les deux professionnelles de l’action sociale.
Si Luis peut compter sur une activité régulière de vendeur ambulant, il reste cependant un garçon doux et naïf, a priori peu à même d’envisager l’avenir. Alors, beaucoup de choses reposent sur les frêles épaules de son épouse. Mais sans le secours de Bambi, leur horizon resterait encore plus bouché.
Les enfants sont suivis par la fondation. Cela signifie l’assurance d’une croissance correcte fondée sur une alimentation régulière et équilibrée et d’un éveil pédagogique à la vie en communauté. Quant à Maria Cristina, elle bénéficie d’une formation de couturière qui lui permettra bientôt d’assurer un travail à domicile (lire ci-contre). Elle porte aussi, sans en connaître le détail, le poids de plusieurs décennies d’une histoire violente. Et la paix, encore aléatoire, que les différentes factions négocient actuellement à Cuba n’effacera pas tout…
Pour tout savoir : la fondation Bambi, basée à Genève, a été créée par le Dr. Rupert Spillmann, un médecin soleurois. www.fondation-bambi.org
Quelques chiffres
28 ans d’existence pour Bambi.
7 foyers en Colombie.
13’600 enfants accueillis depuis 1985.
de 800 à 1200 enfants accueillis chaque année dans les foyers.
de 6 à 18 mois de séjour.
75% des enfants réintègrent leur famille.
50-50 Les actions sont financées à part égale entre la Suisse et la Colombie
104’000 francs investis en 2013 dans le cadre du programme Promefa
48% de la population colombienne vit avec moins de deux dollars par jour.
50’000 cas d’abandons d’enfants par an.
20’000 enfants de moins de 5_ans meurent de dénutrition sévère chaque année.
COMPLÉMENT D’ARTICLE :
Apprendre les bases d’un métier
En parallèle à l’accueil des enfants, la fondation Bambi a développé, depuis l’an 2000, un programme d’amélioration des conditions de vie de la famille intitulé, selon son acronyme espagnol, Promefa. Les bénéficiaires sont sélectionnées en fonction de leur volonté de s’en sortir. Selon les profils, le programme s’articule autour de trois axes. Une formation de base (lire, écrire, compter) qui s’impose d’autant plus pour des mères issues du milieu rural, sans formation spécifique. Ensuite, une formation professionnelle qui doit permettre de travailler. Les participantes doivent aussi financer 10% du montant de leur inscription. Le cours de couture représente ainsi un cursus de 80 heures sur cinq semaines. La période de formation fait l’objet d’un suivi partagé entre l’assistante sociale et le professeur. En plus des cours, Bambi prend en charge le coût des transports publics entre l’habitation et l’atelier et fournit un marché alimentaire pour la subsistance de la famille. Enfin, l’octroi d’un microcrédit (50% de l’achat du matériel) favorise le démarrage d’une activité indépendante (couture, manucure, coiffure…).
Grâce à ce dispositif, les mères peuvent sécuriser leurs revenus, donc la vie des enfants. «Pour certaines, la démarche permet aussi de sortir de la prostitution», souligne la psychologue Erika Pinzon. Celles qui cherchent du travail à l’issue de leur formation bénéficient d’un appui à leurs recherches d’emplois. En douze ans, ce programme a permis à 3200 parents, en majorité des mères célibataires, de reprendre pied dans l’existence.
Plusieurs foyers dans le pays
Le Foyer Bambi de Bogotá a été inauguré en 2011 et réunit trois anciennes structures sur un seul site. Il héberge 120 enfants en régime d’internat. Ils sont issus de familles qui ne peuvent pas subvenir à leurs besoins vitaux pour diverses raisons (pas de revenu fixe, absence d’habitation, risque de violences sociales, carences éducatives…). Il reçoit également 180_enfants en accueil de jour. Ils proviennent pour la plupart de familles de vendeurs ambulants, de recycleurs ou de travailleurs sexuels, «car pour bien des jeunes femmes déplacées, le risque de tomber dans la prostitution reste élevé», relève Rocio Cepeda, coordinatrice nationale des programmes sociaux. Pour les gestionnaires de la fondation comme pour leurs répondants de l’Institut colombien pour le bien-être familial (ICBF), il apparaît désormais comme un exemple à suivre pour l’évolution de ses autres implantations.
Bambi est également active dans les villes de Darién, Medellín (deux foyers) et Cali (trois sites). Dans cette dernière ville, «la fondation souhaite désormais répliquer l’expérience réussie de Bogotá en construisant un nouveau foyer», explique Sabine Rosset, porte-parole de Bambi. L’ensemble de ces installations permet d’accueillir un millier d’enfants par an, offrant un précieux répit aux noyaux familiaux, qui peuvent ainsi se stabiliser. Néanmoins, la demande émanant des hôpitaux, des églises et du bouche à oreille des mamans impose désormais une liste d’attente. Enfin, les possibilités d’adoption des orphelins ont été rendues plus difficiles par le législateur.