UN REPORTAGE DE CLAUDE GRIMM (LE COURRIER) AU SALVADOR
SAN SALVADOR • Chaque jour, le Centre d’attention au migrant reçoit plusieurs centaines de migrants expulsés. Si l’accueil s’est amélioré, les moyens manquent cruellement pour la réintégration.
Il est 8h30 quand s’ouvre le portail du Centre d’attention au migrant, à San Salvador, la capitale du Salvador. Un bus pénètre dans la cour ombragée par de grands arbres qui, malgré l’heure matinale, protègent de la chaleur pesante de cette fin de mois de juillet anormalement sec. Quelques instants plus tard, plusieurs dizaines de migrants, majoritairement des hommes, se dirigent sans attendre vers le bâtiment. Certains semblent connaître l’endroit. Peut-être n’est-ce pas la première fois qu’ils y sont renvoyés. Etonnamment, les visages aux traits souvent tirés par la fatigue n’expriment ni colère ni tristesse. Plutôt de la résignation. Du moins en apparence.
Un peu plus tard, un second bus, tout aussi plein que le premier, se parque également dans la cour.
Plusieurs bus par jour
Entre trois et six cars par jour rapatrient les migrants salvadoriens arrêtés par les autorités guatémaltèques ou mexicaines sur leur chemin vers les Etats-Unis. Les enfants et adolescents, eux, arrivent les mardi et vendredi dans des bus séparés et ont droit, depuis début juillet, à une attention particulière, dans un but de protection.
Une fois dans la salle d’accueil, les migrants reçoivent des instructions. Passage obligé: un entretien avec un fonctionnaire chargé de la migration puis avec un policier. En attendant leur tour, ils reçoivent un «refrigerio» (une collation), un kit de produits d’hygiène (savon, etc.), des souliers pour ceux qui se les ont fait voler et, s’ils sont sans le sou, de quoi prendre le bus pour rentrer chez eux. On leur propose aussi de passer une visite médicale et de se faire vacciner (pour les enfants les vaccins sont obligatoires), ainsi que de prendre une douche.
Rester ou repartir?
Tout se passe dans le calme. Les fonctionnaires sont aimables et avenants. Les migrants s’exécutent sans rechigner, mais une fois leurs obligations remplies, ils s’éclipsent sans demander leur reste. Ceux qui sont accompagnés par un «coyote» (trafiquant de personnes) et n’ont pas épuisé les trois tentatives inclues dans le coût du voyage (environ 5000 dollars pour les adultes, 10’000 pour les mineurs) repartiront, parfois le jour même. Ceux qui voyagent seuls devront décider s’ils tentent à nouveau leur chance ou abandonnent.
Face à l’afflux croissant de migrants, notamment d’enfants, l’accueil a été récemment amélioré, le centre rénové et remodelé, et les commodités améliorées (des douches et l’air conditionné ont été installés). Un programme de réintégration des migrants rapatriés a également été mis sur pied par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). «On essaye de soutenir ceux qui, lors des entretiens, disent vouloir rester ici. Grâce à ce programme, vingt personnes ont pu créer un petit commerce ou une micro-entreprise», explique Mauricio Silva, chargé de communication de la Direction générale des migrants et étrangers.
Moyens limités
Si de réels efforts ont été effectués pour que les migrants soient traités avec égards, il n’en reste pas moins que les moyens pour la réinsertion sont largement insuffisants. «Nous sommes en discussion avec l’OIM pour développer cet aspect», précise Maurico Silva. La plupart des migrants rapatriés décident cependant de repartir, au risque de leur vie. Douglas est de Mejicanos, une commune contrôlée en partie par les «maras» (gangs de rue). Il nous confie avoir quitté le pays à cause de la violence et de l’absence d’opportunités. «Je repars aujourd’hui même. Si je retourne chez moi, ils pourraient me tuer. Ils voulaient que je leur donne de l’argent que je n’ai pas», raconte-t-il. Comme la première fois, il voyagera seul: «Je ne fais confiance à personne. Si Dieu le veut, j’arriverai à San Francisco, où un travail m’attend.»
La violence, encore et toujours
Hannibal, 18 ans, étudiait le journalisme à San Salvador. «Des mareros (membres d’une mara, ndlr) m’ont demandé une rente mensuelle de 100 dollars et ont menacé de me tuer si je ne m’exécutais pas. Je suis donc parti, seul», confie-t-il. «Je repartirai, mais cette fois avec un guide. En attendant, je retourne dans ma famille à Ahuachapán, même si j’ai peur», poursuit-il.
Ana et Michele, deux sœurs de 19 et 18 ans, viennent du département de San Miguel. C’est la deuxième fois qu’elles sont expulsées. Il ne leur reste plus qu’une tentative avec leur «coyote». La violence les a indirectement poussées à partir: «Des personnes ont été tuées dans notre village et les maras ont assassiné un de nos cousins», raconte Ana. Michele a tout sauf envie de repartir: «Lors du premier voyage, j’ai été séparée de ma sœur et ai dû traverser une rivière avec des crocodiles. Une autre fois, j’ai failli être asphyxiée dans le coffre d’un minibus où l’on m’avait mise pour passer une frontière», raconte-t-elle. Que feront-elles si elles échouent à la troisième tentative? «Nous essayerons d’étudier», répondent-elles.
COMPLÉMENT D’ARTICLE :
La voie toujours plus étroite de la migration
Les premières vagues de migration au Salvador ont débuté avec la guerre civile, à partir de 1980. Très vite, les remesas ont constitué la deuxième source de revenu du PIB après le café. «On a pensé que la migration cesserait avec la fin du conflit, mais elle a continué à augmenter car la guerre civile n’a rien changé à la pauvreté et aux disparités socio-économiques», explique Amparo Marroquin Parducci, professeure et chercheuse à l’Université centroaméricaine «José Simeón Cañas» (UCA), spécialiste de la migration.
La migration reste fluide jusque vers la fin des années 1980, lorsque les Etats-Unis adoptent la première loi limitant la migration latino-américaine. «La situation migratoire commence à se compliquer dès 1998 mais c’est surtout après les attentats du 11 septembre 2001 qu’apparaît un discours criminalisant les migrants», poursuit-elle.
Aux difficultés politiques s’ajoutent des problèmes plus locaux. En 2005, l’ouragan Stan détruit le «train des migrants» qui part depuis Tapachula, à la frontière entre le Guatemala et le Mexique. Il est remplacé par un train qui part d’Arriaga, 270 kilomètres plus au nord. «Les migrants doivent marcher une semaine sur un territoire du nom de ‘la arrocera’ contrôlé par le cartel de la drogue Los Zetas», note-t-elle. Au fur et à mesure que les routes se ferment aux migrants, ceux-ci sont contraints d’emprunter les mêmes voies que les narcotrafiquants, qui découvrent que ces voyageurs vulnérables constituent «une opportunité pour voler, trafiquer, violer, séquestrer et assassiner».