LE REPORTAGE DE BASILE WEBER EN CÔTE D’IVOIRE
Reportage chez le premier producteur mondial, en proie Au coeur d’une plantation de cacao à une chute de production et face au défi du réchauffement climatique.
Jean-Claude Kouassi, superviseur de la plantation de quelque 2000 hectares, nous guide: «Avant, il y avait environ mille planteurs. Il n’en reste que 300 aujourd’hui. Ils vivent sur la plantation. Des villageois nous aident au moment du nettoyage et pour la grande récolte.»
Celle-ci se déroule entre octobre et janvier. La petite récolte a lieu entre mars et septembre.
Au sol, les nombreuses feuilles mortes bruissent sous les pas. Les cacaoyers sont alignés de manière régulière et offrent un ombrage bienvenu grâce au feuillage fourni de leur couronne. Ils ne sont pas protégés du soleil par d’autres espèces comme cela se fait ailleurs: «Dans les nouvelles plantations, il y a par exemple des bananiers. Pas ici, c’est une ancienne plantation. Ces cacaoyers-là ont une vingtaine d’années» (lire les deux encadrés).
Cabosse ouverte au bâton
Jean-Claude Kouassi ouvre d’un coup de machette sec une cabosse verte claire, qui pousse à même le tronc: «Normalement, on l’ouvre avec un bâton en bois pour ne pas abîmer les fèves.»
Il mange le misilage blanc, qui entoure les fèves de cacao. La dégustation laisse un agréable goût sucré et légèrement acide en bouche. «C’est bon le cacao!», lance le fils de planteur Yves Gohi Bi, 12 ans. «Je vais à l’école à la plantation.» Veut-il aussi travailler comme planteur? «Non, je veux devenir policier. »
Un arbre est sprayé d’une croix rouge vif. «Le CNRA (réd: Centre national de recherche agronomique) est venu faire des études sur les parasites.» Sur un autre cacaoyer, les cabosses attirent l’oeil: elles sont bordeaux et non vertes. «Ça, c’est du cacao criollo.» Une espèce à l’arôme raffiné, rare et recherchée, originaire d’Amérique latine. Elle représente moins de 5% de la production mondiale contre 80% pour le forastero et 15% pour le Trinitario, un hybride des deux premières espèces.
«Nous allons bientôt réaliser des traitements phytosanitaires. Nous n’en avons pas utilisé pendant quelques années car nous avons expérimenté le bio», explique Jean-Claude Kouassi. «La production dépend de la pluviométrie, des traitements et de l’entretien.»
Cacao en chute libre
Une fois récolté, le cacao sera mis sur des tables en bambou pendant six à sept jours le temps de fermenter puis il sera séché quelques jours. Il partira ensuite en sac de 65 kilos par camion et sera ainsi acheminé en ville. Les fèves partiront par bateau en Europe ou en Amérique du Nord où elles seront utilisées pour la fabrication de chocolat.
Bien que la Côte d’Ivoire reste le premier producteur mondial, de nombreux planteurs se détournent du cacao et du café pour les cultures vivrières: manioc, riz, bananes… «Le système commercial démoralise les gens. Il y a beaucoup d’intermédiaires et trop de verreux», juge le journaliste ivoirien Célestin Ndri, correspondant de «Fraternité Matin » à Yamoussoukro. «Le cacao et le café sont en chute libre!»
COMPLÉMENT D’ARTICLE :
Chercheurs guidés par les écureuils
A l’entrée de Bingerville, la route, ou plutôt la piste de terre rouge, est défoncée. Aussi, pour éviter de rester coincés dans les trous, les véhicules roulent… sur le trottoir. Pour le rédacteur en chef de «Fraternité Matin» Michel Koffi, «Le maire devrait avoir honte!» Un peu plus loin, une devanture le fâche: un vendeur de cercueils fait face à l’orphelinat! «Mais il pense à quoi ce maire?»
Dans un bâtiment colonial décrépit, Lazare Tape, chercheur au Centre national de recherche agronomique (CNRA), nous reçoit dans son bureau. «Nous étudions aussi bien les cultures vivrières – riz, manioc, igname… – que les cultures d’exportation – cacao, café», explique le technicien en bioclimatologie. Il estime qu’il n’y a pas urgence à remplacer les vergers vieillissants: «On peut toujours le faire. On recherche la rentabilité. La durée de vie moyenne du cacaoyer est de 30 à 50 ans avec une baisse de productivité dès 16 ans. Il faut choisir: plus de soleil signifie une grosse productivité mais une durée de vie réduite: 30 à 40 ans. Avec du cacao cultivé avec l’ombrage de bananiers ou d’autres arbres, il produira moins mais aura une durée de vie supérieure.»
Avec le déficit hydrique, le rendement a diminué pour le cacao, constate-t-il: «La baisse de la pluviométrie et l’ensoleillement ont des effets sur l’arbre. Le climat est le facteur principal de la diminution de la productivité. Nous devons prendre des dispositions pour pallier à ces effets du réchauffement climatique. Pour ne pas être prise de cours.» La sécheresse risque d’atteindre Abidjan d’ici 30 ans, si on ne prend pas garde, estime le chercheur. Le cacao va en souffrir. Pluie, fertilité du sol, climat et adaptation locale sont autant de facteurs qui influencent la récolte.
Grâce à une nouvelle variété, développée par le CNRA il y a une dizaine d’années, et appelée Mercedes par les planteurs, la première récolte a lieu après seulement 18 mois et pas trois ans. La productivité est meilleure avec jusqu’à 1,8 tonne par hectare (comme en Indonésie) contre 500 kilos précédemment. Un «super cacao» – sucré, résistant et productif – a également été mis sur pied en croisant trois espèces: la première donne des fèves très douces. «Les écureuils nous ont guidés pour les trouver.» La deuxième produit de grosses fèves et la troisième résiste mieux aux maladies. «C’est un atout pour les planteurs», estime Lazare Tape. Le chercheur souligne que «le CNRA collabore avec les filières cacao café qui vulgarisent auprès des producteurs».
« Il faut régénérer le verger »
Tiré à quatre épingles, Dimitri N’Goran, ingénieur en techniques agricoles, est responsable de la plantation pour le gouverneur du district de Yamoussoukro Augustin Thiam. Il nous accorde quelques minutes au beau milieu du mariage d’un ami!
«Nous devons absolument régénérer le verger. Il est trop vieux. Il a été planté il y a bientôt 40 ans… Mais il faut des moyens! Le gouverneur est à la recherche de partenaires privés pour financer l’opération.»
Quelle est la production actuelle de la plantation? «Je préfère ne pas donner de chiffres… Mais on peut dire qu’elle est très faible aujourd’hui. Nous ne sommes pas une exception, le verger national est vieillissant. Il y a un projet de régénération des plants de la filière cacao-café.» Le réchauffement climatique joue également des tours aux producteurs constate Dimitri N’Goran: «Les pluies tombent quand on s’y attend le moins! C’est un gros problème. Ici, nous constatons que lorsque la pluie baisse pendant la saison des pluies, la production diminue. »
Le responsable de la plantation juge que «l’environnement a pris un gros coup en Côte d’Ivoire!» Il pointe notamment du doigt la déforestation: «Il y a une forte pression sur la forêt qui a été déboisée. Lors de la crise, cela a été catastrophique! Il faut la replanter. Elle constitue une barrière naturelle contre le vent et permet de retenir les pluies. Pour reboiser, il faut notamment convaincre les propriétaires terriens… Il y a de nombreuses difficultés à résoudre!»