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Nestlé étudie le cacao à Abidjan

Nestlé étudie le cacao à Abidjan

LE REPORTAGE DE BASILE WEBER EN CÔTE D’IVOIRE

Quels effets a le réchauffement du climat sur les cacaoyers? Visite du centre de recherche et développement africain de la multinationale.

pepiniere «L’équipe monte en puissance. Nous serons bientôt 80», se réjouit Cheikh Mbacke Mboup, group manager du département d’agronomie, qui nous reçoit dans son bureau: «Nous sommes l’unique centre de recherche de Nestlé en Afrique. Nous rayonnons sur tout le continent. Nous faisons surtout de la recherche agronomique. Nous voulons améliorer les matières premières africaines: qualité, productivité et sécurité. Nous en importons le 60% pour nos usines africaines. Nous voulons inverser la tendance. »

Le collaborateur souligne qu’un autre objectif est de «contribuer au renouvellement du verger de cacao et café en Côte d’Ivoire. Il y a des énormes problèmes: chutes de production, pertes de revenus pour les agriculteurs, vieillissement des vergers, maladies…» Dans le cadre de son programme Cocoa plan en Côte d’Ivoire, Nestlé collabore avec une trentaine de coopératives et plus de 18 000 producteurs. Pour son responsable, le docteur Kam- Rigne Laossi, «12 millions de plantes en 2010, c’est une goutte d’eau dans l’océan. Notre objectif est d’atteindre les 18 millions en 2020. On ne doit pas être seuls pour faire avancer les choses. Ce n’est que tous ensemble avec le CNRA (réd: Centre national de recherche agronomique) et la filière cacao-café que l’on pourra résoudre le problème.» «Un des volets du cocoa plan est la mise à disposition de plantes pour les agriculteurs», explique le chef de projet en agronomie. «Nous sommes très stricts sur les conditions de plantation: pas de travail des enfants, pas de déforestation. C’est gratuit. La seule contrepartie est de couper une partie de la parcelle et le travail à fournir.»

Ferme expérimentale

«Grâce à l’embryogenèse somatique, avec dix fleurs, on peut avoir des millions de plantes!», s’exclame Germain Koffi Kouakou, responsable de la pépinière adjacente au centre de R & D. «Dans cette serre, nous testons 15 variétés de cacao. Productivité, résistance à la sécheresse et aux maladies sont étudiées», explique le technicien en agronomie. Le but est de trouver des plants résistants aux deux. Après avoir été développées en laboratoire, les plantes poussent dans la pépinière. Elles seront ensuite transférées dans une ferme expérimentale en construction proche de Yamoussoukro. «C’est le prolongement du centre sur le terrain. Nous développons des variétés qui présentent de meilleures résistances contre les maladies», détaille Cheikh Mbacke Mboup.

A côté de la ferme, un centre de formation pour les planteurs sera créé: «Nous voulons transmettre les bonnes pratiques sociales et agricoles».

Fertilité des sols et sécheresse

La fertilité des sols est aussi étudiée: « Nous allons tester la production de cacao en zone marginale, en savane. La résistance à la sécheresse», expose Kam-Rigne Laossi. «Il faut des recherches prospectives. Il y a des possibilités de cultiver du cacao dans ces zones avec l’irrigation et un management professionnel», ajoute son collègue. Les deux hommes se montrent prudents lorsqu’on évoque le réchauffement climatique: pour le responsable du cocoa plan, «il n’y a pas assez de recul pour en parler. » Selon le group manager du département d’agronomie, «Les agriculteurs se plaignent beaucoup d’un dérèglement du cycle pluviométrique. Il y a une grande sécheresse qui affecte la zone cacaoyère. Nous sommes des chercheurs. Il faut des expérime ntations. Nous n’avons pas assez de recul…».

COMPLÉMENT D’ARTICLE :

Ivoiriens et Suisses collaborent

Le Centre suisse de recherches scientifiques (CSRS) se trouve à quelques kilomètres au nord d’Abidjan, dans ce qu’il reste de la forêt tropicale. Cette station de recherche a été créée en 1951 par l’Académie suisse des sciences naturelles. Aujourd’hui plateforme pour les chercheurs ivoiriens et suisses, elle dépend du Secrétariat d’Etat à la recherche en Suisse et du Ministère de la recherche de Côte d’Ivoire.

«A l’époque, il n’y avait que des chercheurs du nord. Aujourd’hui, sur 200 chercheurs, il y a troisquart d’Africains dont plus de la moitié d’Ivoiriens », se réjouit le docteur Inza Koné, primatologue de renom et responsable du département biodiversité et sécurité alimentaire du CSRS. «Nous collaborons justement avec le professeur en informatique Alain Sandoz, de l’Université de Neuchâtel! Il va venir en Côte d’Ivoire. Le but est de créer une plateforme pour capitaliser les résultats des recherches.»

Quelques chercheurs s’intéressent au cacao, même si c’est plutôt le domaine de prédilection du Centre national de recherche agronomique (CNRA), juste à côté: «Un chercheur s’intéresse aux stratégies de résilience face au réchauffement climatique. Comment ces phénomènes ont un impact sur les cultures et comment les producteurs adaptent leur calendrier. Un autre étudie les aspects liés à la santé avec notamment les maladies tropicales oubliées.»

Des enfants dans les plantations

Plusieurs entreprises occidentales, dont Ferrero ou Lindt, ont été épinglées par des Organisations non gouvernementales (ONG) dénonçant le travail des enfants dans les plantations de cacao. Les multinationales Mars, Nestlé ou Barry Callebaut assurent combattre le phénomène qui concernerait 1,8 million d’enfants en Afrique de l’ouest pour le seul cacao.

Nestlé a ainsi mandaté l’association de lutte contre les conditions de travail inhumaines dans le monde, Fair Labor Association (FLA), pour inspecter en janvier dernier sa chaîne d’approvisionnement en Côte d’Ivoire.

«Beaucoup d’enfants de planteurs ne vont pas à l’école car le planteur n’a pas d’argent pour l’écolage. Comme le gosse n’a pas la force pour ouvrir les cabosses, il les porte. Est-ce une transmission d’un savoir ou une exploitation des enfants?», questionne Cédric Lombardo, spécialiste en changements environnementaux ivoirien.

Chez Nestlé, le docteur Kam-Rigne Laossi, responsable du cocoa plan, souligne que l’entreprise finance de nombreux projets sociaux: «Pour combattre le travail des enfants, il faut un accès à l’école. Nous mettons l’accent là-dessus. Lors des deux prochaines années, Nestlé va financer la construction de 40 écoles. Il s’agit également de créer des cantines scolaires pour que les enfants restent à l’école.» Le chef de projet en agronomie estime que «si les enfants travaillent dans les plantations pendant les vacances, c’est ok, ça fait partie de l’éducation. Mais pas lorsqu’on leur confie des travaux lourds ou le maniement d’une machette.»

Dominique Ouattara, épouse du président Alassane Ouattara, préside le Comité national de surveillance qui lutte contre les Pires formes de travail des enfants (PFTE). Un plan d’action national a notamment été mis sur pied. Le département d’Etat américain a reconnu les efforts ivoiriens en reclassant la Côte d’Ivoire en catégorie 2 cet été: le pays faisait jusqu’à présent partie de la liste rouge pour l’exploitation des enfants.

L’industrie du cacao et du chocolat a lancé une grande étude relative aux pratiques abusives du travail des enfants sur 3000 plantations de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana. Si cette industrie a signé un protocole et s’engage à éliminer l’esclavage des enfants dans les plantations ouest-africaines, bien du chemin reste à parcourir.

Basile Weber

Après une licence en géographie à l’Université de Neuchâtel, Basile Weber, 31 ans, a effectué son stage RP à «L’Express» et «L’Impartial», quotidiens pour lesquels il écrit toujours aujourd’hui. Passionné de voyages et de photographie, il apprécie les chemins de traverse aux quatre coins du monde quand il ne relate pas l’actualité neuchâteloise.

Michel Koffi

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Basile Weber

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