Alors que la Suisse fait face au défi du vieillissement de sa population, les établissements médico-sociaux peinent à trouver les ressources humaines qualifiées pour s’adapter à la donne. Dans la petite ville de La Chaux-de-Fonds, en Suisse, « L’Opinion » en collaboration avec « Eqda », a rencontré Jean-Marc Brun, co-directeur du pôle santé et social du Centre de formation professionnelle neuchâtelois (CPNE), et Stephen Kelly, responsable de la formation santé, qui nous listent les défis du secteur.
Inteview Rime Taybouta/L’Opinion
– A l’instar de plusieurs pays européens, la Suisse fait face à un vieillissement inquiétant de la population. Quels sont les défis posés par cette inversion de la pyramide des âges ?
Jean-Marc Brun : Il est vrai que les dernières décennies, la Suisse a fait face à un vieillissement rapide de sa population. Les progrès médicaux, l’amélioration des conditions de vie et la baisse de la fécondité ont contribué à augmenter l’espérance de vie de la population suisse. Ceci a naturellement conduit à une population vieillissante, qui pose plusieurs défis, notamment en matière de fourniture de soins de santé. Cette inversion de pyramide des âges a obligé les établissements médico-sociaux (EMS) à s’adapter. Aujourd’hui, la nature même de la population qui intègre les EMS a changé. Si auparavant on parlait de projets de vie au sein de ces établissements, aujourd’hui, cela change de caractère dans la mesure où les personnes qui y viennent sont souvent souffrantes de problèmes cognitifs ou psychiatriques, sachant que c’est difficile de prendre soin de ces derniers à domicile. Mais pour les personnes âgées qui souffrent de complications physiques, désormais il y a suffisamment d’offres qui favorisent les soins à domicile. Aussi, il y a une tendance qui favorise le court séjour et le foyer du jour au sein des EMS, ce qui complique la situation des établissements.
– Vous avez parlé des EMS qui souffrent d’une pénurie de ressources humaines et qui peinent à recruter de nouveaux aides-soignants et infirmiers. Quelles sont les raisons derrière ce problème ?
Stephen Kelly : Effectivement, il y a également un grand défi lié au recrutement et au maintien du personnel au sein des EMS. Il ne s’agit pas du secteur le plus attractif en Suisse, principalement pour des raisons financières. Les jeunes aujourd’hui ont un large choix de professions qui payent un peu plus que ce métier en question. Il est donc tout à fait naturel d’avoir une pénurie de cadres dans le domaine. Il y a aussi un facteur sociétal. Les gens aujourd’hui n’ont plus envie de pratiquer des métiers où il faut être disponible 24/7. Les jeunes particulièrement cherchent des métiers qui laissent un peu plus de temps à la vie privée. Raison pour laquelle vous allez remarquer que dans les professions médicales qui posent ce genre de contraintes, il y a de plus en plus de professionnels étrangers. Dans le métier de gynécologue par exemple, près de la moitié des médecins ne sont pas originaires de la Suisse. Il y a aussi peu de formations en Suisse dédiées à notre job. Le problème est donc structurel.
– En Afrique et notamment au Maroc, la Suisse est une destination recherchée par les jeunes. Ce manque de ressources humaines n’est-il pas une opportunité pour ces derniers ?
J-M. B. : Le recrutement depuis l’étranger est un point fondamentalement agaçant et mal vu dans un pays économiquement puissant comme la Suisse. Car il s’agit d’aspirer les ressources humaines formées dans d’autres pays souvent en manque de moyens, qui eux-mêmes sont en manque de personnels, comme le Maroc par exemple. C’est un problème d’éthique en premier temps. Ceci dit, la plus grande communauté étrangère qui travaille dans les métiers des soins, est la portugaise. Puis ensuite, nous estimons qu’il y a les Balkans également qui occupent une place importante parmi la communauté étrangère en Suisse.
Il y a les Africains aussi qui travaillent dans les soins, mais principalement d’Afrique subsaharienne. Les Maghrébins constituent une communauté active en Suisse, mais elle demeure réduite (voir encadré). Néanmoins, il importe de préciser que l’impérialisme européen d’aller chercher de la main-d’œuvre à l’étranger est très discutable. Il y a la Suisse qui recrute depuis la France, puis la France depuis l’Afrique, créant un effet cascade dont les plus grands perdants sont les pays « pauvres ». Ceci dit, il convient de noter qu’en Suisse, c’est plus facile de recruter quelqu’un en provenance de la zone euro, que d’ailleurs. Mais, in fine, chaque établissement recrute selon les ressources disponibles.
– Comment peut-on rendre le métier plus attractif, selon vous, que ce soit pour les migrants ou pour les nationaux ?
S. K. : Pour que le métier devienne plus attractif, il faut tout d’abord valoriser le métier d’aide-soignant et chasser tous les stéréotypes qui l’entourent. Ensuite, il faut agir sur les salaires. Je pense que les aides-soignants et les infirmiers gagneraient à être plus payés en début de carrière. Il faut dire que les salaires en mi-carrière et en fin de carrière sont assez confortables, mais au début c’est délicat. L’idée serait donc de garantir une évolution rapide en début de carrière, comme ce qui se fait dans plusieurs secteurs.
Une population marocaine réduite mais dynamique
Les ressortissants marocains en Suisse représentent une communauté importante et dynamique. Au fil des années, de nombreux Marocains ont migré vers la Suisse à la recherche de meilleures opportunités économiques et d’études, constituant par la suite une communauté dépassant les 8.000 personnes, selon les dernières statistiques de l’Office fédéral de la statistique (OFS).
Les Marocains en Suisse sont présents dans diverses villes et régions du pays, mais les plus grandes concentrations se trouvent généralement dans les centres urbains tels que Genève, Zurich, Lausanne et Bâle. Selon nos interlocuteurs, le Maghreb n’est pas traditionnellement une région de recrutement de main-d’œuvre pour la Suisse. Cependant, la participation des Maghrébins à la vie active en Suisse et leur présence sur le marché du travail atteignent un pourcentage relativement élevé. Les ¾ des Maghrébins travaillent, contre 5/6 pour les Suisses.
S’agissant de la proportion entre les sexes, les femmes seraient plus nombreuses chez les immigrés originaires du Maroc, selon les derniers chiffres officiels, qui établissent que près de 90% de la population globale disposent d’un permis B ou C. Il est à noter qu’en Suisse, il existe plusieurs types de permis de séjour pour les étrangers.
Le permis B autorise un séjour d’une durée limitée, et le C un établissement de longue durée. Il y a aussi les permis provisoires ou saisonniers : G, L, N et F. L’analyse de la distribution des différents permis à la population maghrébine montre une progression des personnes passant d’un statut provisoire à un statut permanent, depuis les années quatre-vingt-dix.