UN REPORTAGE DE DELPHINE WILLEMIN AU CAMEROUN
Capitale du Cameroun, la ville de Yaoundé grandit à une vitesse fulgurante. Cette croissance anarchique s’accompagne d’une criminalité incontrôlée. Pour suppléer aux forces de l’ordre, la population crée des comités de vigilance et assure elle-même sa sécurité.
«Depuis une dizaine d’années, on fait face à une forte concentration de violence la nuit. Alors en 2003, on a rassemblé des jeunes du voisinage pour mettre en place une stratégie de défense dans la circonscription.» Le chef du quartier Tsinga, au centre de Yaoundé, brandit l’arrêté signé par le sous-préfet de Yaoundé II. Ce papier atteste que le comité de vigilance présidé par Mathieu Fiedjeu, 75 ans, est reconnu par les autorités.
Surnommée la «ville aux sept collines», Yaoundé se décline en sept arrondissements étendus sur un paysage vallonné à la végétation dense. La population n’est pas recensée au vu de la croissance spontanée de l’habitat, mais selon de récentes estimations, elle avoisine les deux millions d’habitants. Rencontré lors de notre séjour en juillet dernier, le directeur de la police judiciaire a reconnu que les besoins de la population sont immenses en termes de sécurité. Les domiciles sont l’une des cibles principales des bandes organisées, en particulier dans les quartiers construits à la hâte, où, faute d‘éclairage public et de voirie, les forces de l’ordre renoncent à patrouiller.
«Lorsque l’on appelle la police, il faut attendre minimum une heure avant qu’elle arrive», explique un jeune du quartier Tsinga. «Et il faut encore payer le carburant aux agents.» Des propos que nuance Pierre, riverain lui aussi, mais avec la casquette de policier en plus. «Les patrouilles font ce qu’elles peuvent, mais elles ne sont pas assez nombreuses.»
Pour empêcher les bandits de pénétrer dans son périmètre, le comité de vigilance du quartier Tsinga surveille les entrées toutes les nuits, de 22h jusqu’à l’aube. Six groupes de cinq jeunes occupent le territoire. A défaut d’armes, ils sont munis de sifflets. Lorsqu’ils rencontrent quelqu’un de suspect, ils lui demandent de décliner son identité. S’ils ont affaire à des malfrats, ils alertent leurs collègues pour les attraper et les remettre à la police. Leur mission s’arrête là.
«C’est la misère qui motive les brigands», explique Mathieu Fiedjeu. «Ils sont souvent en bandes et commettent des vols, mais aussi des agressions.» Vu la mixité sociale du quartier, les maisons de maîtres barricadées côtoient les bâtisses de fortune, faites de briques et de tôle. Attirés par les richesses des nantis, les agresseurs se rabattent parfois sur les proies les plus faciles.
Selon le chef du quartier, il n’y a plus eu d’agressions depuis six mois. Mais ce travail a un coût. Tous les mois, Mathieu Fiedjeu fait le tour des foyers pour demander à chacun de mettre la main au porte-monnaie. «Les familles versent 1000 à 5000 francs CFA (réd: 2 à 10 francs suisses), parfois plus. Il faut bien rémunérer les jeunes volontaires, qui passent toute la nuit au froid, exposés aux brigands.»
Delphine Willemin, L’express/L’Impartial
COMPLÉMENT D’ARTICLE :
Le peuple fait justice lui-même
Les comités d’autodéfense se sont multipliés depuis une quinzaine d’années dans les principales villes du Cameroun. Selon le journaliste du «Messager» Alain Noah, spécialiste de la question, la société civile prend son destin en main, car elle se sent délaissée par les autorités. «Les forces de l’ordre sont dépassées par les événements. Des gens meurent pour 10 000 francs CFA (réd: 20 francs suisses), alors le peuple fait justice lui-même.» La justice est par ailleurs confrontée à une impasse: lorsqu’un bandit est arrêté, il n’y a pas toujours de plainte qui suit. L’impunité est un réel problème. /dwi
La solidarité comme assurance-vie
Il est un fléau qui ne s’est pas emparé du Cameroun: l’indifférence. Dans un pays où chaque repas est une victoire, le règne du chacun pour soi n’existe pas, ou rarement.
Il suffit de sortir des grandes artères urbaines et de pénétrer dans les quartiers pour comprendre que la population doit se prendre en charge elle-même. Dans ces rues où seuls les résidants circulent, personne ne vient barrer la route aux malfrats. C’est donc la solidarité qui joue le rôle d’assurance vol, d’assurance vie.
A l’image de petits villages, les quartiers se structurent autour de chaînes de solidarité. Il y a d’abord les comités d’autodéfense, où chacun surveille ses voisins, non pas pour les épier, mais pour s’assurer qu’ils vont bien. Il y a aussi les tontines, des groupes d’amis qui mettent leurs économies en commun pour faire face aux événements de la vie: des séjours à l’hôpital aux enterrements, en passant par les baptêmes ou les mariages.
Les gens jouissent d’une qualité humaine qui commence sérieusement à se perdre sous nos latitudes: ils s’intéressent les uns aux autres. Il n’y a pas seulement les femmes qui échangent leurs soucis dans les salons de coiffure. Lorsque les hommes se retrouvent, ils font eux aussi le tour des problèmes de chaque membre du groupe. /dwi