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La lutte du royaume contre la soif

La lutte du royaume contre la soif

Les sécheresses se multiplient au Maroc. L’Etat déploie des prouesses technologiques pour apporter l’eau. Pourtant, beaucoup de paysan·nes s’enfoncent dans la précarité.

Reportage de Julie Jeannet/Le Courrier. Collaboration Rime Taybouta

Changement climatique et démographique

Cela fait deux ans que Samira* n’a plus vu une goutte de pluie. Sur ses parcelles à Oulad Ayad, au centre du Maroc, plus rien ne pousse. «J’ai récemment vendu mes vaches, mes moutons et mes poules. Je n’étais plus en mesure de les nourrir ni de les abreuver. Avec l’argent, j’ai acheté de la nourriture. Même les terres sur lesquelles je cultivais des oliviers ont été brûlées par le soleil.» Selon plusieurs témoignages, de plus en plus de paysan·nes quittent la province de Beni Mellal pour les grandes villes où l’approvisionnement en eau est mieux assuré. «Mon cousin a vendu sa ferme pour la moitié de sa valeur et s’est installé à Marrakech», poursuit Samira.

Depuis six ans, les sécheresses se succèdent dans le Royaume. De mémoire de femme et d’homme, elles n’ont jamais duré si longtemps. Bien qu’habitué à une pluviométrie capricieuse, le pays est désormais confronté à un stress hydrique alarmant. La forte croissance de sa population, l’urbanisation rapide, couplée au réchauffement climatique, ont fait chuter le volume d’eau disponible par habitant·e. Celui-ci a été divisé par quatre depuis les années 1960. Aujourd’hui, avec 600 mètres cubes d’eau, le pays est en dessous du seuil problématique d’un point de vue sanitaire défini par l’OMS (établit à 1000 mètres cube par personne par année). Le 21 décembre, le Ministre de l’eau et de l’équipement a tiré la sonnette d’alarme. «Nous sommes arrivés à une situation très dangereuses que nous n’avions jamais pu imaginer auparavant», a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse. Ces trois derniers mois, la pluviométrie a été de 21 mm en moyenne, un recul de 67% par rapport à la normale des précipitations. 

Depuis six ans, les sécheresses se succèdent au Maroc. Avec 600 mètres cubes d’eau disponible par habitant·e chaque année, le pays est en dessous du seuil sanitaire défini par l’OMS. Dans le fleuve Bouregreg, les poissons ont quasiment disparu en raison du manque d’eau. Photo Julie Jeannet

Se doucher à la bouteille

«Depuis quatre ans l’eau est régulièrement coupée l’été, mais cette année, l’approvisionnement est également interrompu l’hiver», poursuit Samira. «Des cafards sont même sortis du robinet.» Même constat 15 kilomètres au Nord dans le village de Souk Sebt où vit Hanane*. «Les camions citernes prennent le relais mais ils ne distribuent que 20 litres d’eau par jour par famille. Nous avons pris l’habitude de nous doucher avec des bouteilles. Lorsque le thermomètre monte jusqu’à 52 degrés c’est très dur.» Entre juin et septembre, Hanane et son mari rejoignent leurs filles à Rabat où l’or bleu est accessible en permanence.

Dans la capitale, les pelouses vertes font presque oublier qu’Anzar, le seigneur berbère de la pluie, ne s’est plus penché sur le Maroc depuis d’interminables mois. C’est dans les bureaux du Ministère de l’eau et de l’équipement, bâtiment devant trône une fontaine à l’eau cristalline qu’est organisée la gestion de cette ressource devenue inestimable. «L’herbe est arrosée avec de l’eau traitée et non pas avec de l’eau potable, tout comme sont alimentées les fontaines», tiennent à répéter les différents responsables.

A l’automne 2022, le Roi Mohamed VI a fait de la question de l’eau une priorité nationale. Des chantiers gigantesques ont été mis en œuvre. Le programme national de l’eau 2022-2027, d’un coût de 115,4 milliards de dirhams (environ 10 milliards de francs suisses) doit permettre d’assurer l’approvisionnement en eau potable et l’irrigation nécessaire à l’agriculture. Il s’agit d’une course contre la montre, car selon les prévisions du Ministère de l’agriculture, la disponibilité en eau d’irrigation pourrait chuter de plus d’un quart d’ici 2050 en raison du réchauffement climatique.

Boire grâce à «l’autoroute»

Projet phare de ce programme national: «une autoroute de l’eau». A Casablanca et Rabat, on boit désormais l’eau d’une rivière qui prend sa source dans le Moyen Atlas. L’approvisionnement de ces régions, les plus peuplées du royaume, fait l’objet de la plus grande attention. De longues canalisations amènent depuis quatre mois l’eau du bassin du Sebou vers celui presque asséché du Bouregreg par le biais de larges conduites qui s’étendent sur 67 kilomètres. «L’eau jaillit grâce à l’autoroute depuis le 28 août dernier», annonce fièrement Hammou Bensaâdout, le directeur général de l’hydraulique au Ministère de l’équipement et de l’eau. Le chantier a été réalisé en dix mois contre les trois à quatre ans initialement prévus, en raison du taux très bas de remplissage des barrages.

Cent soixante-trois hectares de la forêt Maâmora, la plus grande forêt de chênes lièges de la Méditerranée, ont dû être déboisés pour permettre le passage de l’autoroute. Malgré ses recherches, Le Courrier n’a pas eu échos de protestations liées à l’impact écologique du projet. «Nous avons replanté des arbres sur vingt fois la superficie dans la même région», se félicite Hammou Bensaâdout. «Des études d’impacts nous permettent de réduire les désagréments. La conduite est remblayée et la vie peut s’y réinstaller normalement.»

Un tronçon de «l’autoroute de l’eau», une conduite qui achemine l’eau du bassin de Sebou jusqu’aux villes de Rabat et Casablanca sur 67 kilomètres. Photo Julie Jeannet

Dans le village d’Essehoul, à 50 kilomètres au sud-est de la capitale, une partie du tronçon à ciel ouvert est devenue une attraction. Un débit d’eau inhabituel s’échappe d’une structure en béton pour former une cascade. En aval, l’ouverture de «l’autoroute» ramène progressivement un peu de vie sur une terre asséchée. A la tombée du jour, le ciel s’embrase et les oiseaux volent à raz du sol. Mustafa*, un pêcheur du fleuve Bouregreg, remonte ses filets après deux jours de pêche. Ces dernières années, la situation est devenue catastrophique. «En huit ans, le niveau d’eau est descendu de 200 mètres. A l’époque, il atteignait la maison rouge», raconte-t-il en désignant depuis sa barque un bâtiment de terre situé sur ce qui ressemble aujourd’hui à une petite colline.

Des campagnes désertées?

Aujourd’hui, la prise est maigre, à peine vingt kilos. «Avec la baisse d’eau, il y a beaucoup moins de poissons. C’est de plus en plus difficile d’en vivre», témoigne le pêcheur. Il salue l’ouverture de «l’autoroute de l’eau» qui fait remonter le niveau un peu chaque jour. Ses puits sont, depuis peu, à nouveau alimentés et son bétail peut s’abreuver. En revanche, les poissons brillent toujours par leur absence. «Il existe bel et bien une loi qui interdit la pêche durant trois mois lors de la période de reproduction. Mais comme les pêcheurs n’ont aucun autre moyen de subsistance, l’interdiction n’est jamais respectée.» Mustafa envisage désormais de vendre son bateau et de changer de profession. Rejoindra-t-il les rangs de celles et ceux qui quittent la campagne pour agrandir encore les villes?

C’est une question qui préoccupe le Ministère de l’agriculture. D’après les projections de la Banque mondiale, à l’horizon 2050, 5,4% de la population marocaine pourrait être menacée d’exode rural en raison du manque d’eau. Soit près de 2 millions de personnes. «Nous devons absolument maîtriser l’équilibre entre le monde rural et le monde urbain», expose Mohammed Belgheti, adjoint du directeur de l’irrigation et de l’aménagement de l’espace agricole au Ministère de l’agriculture. «Les sécheresses des années 1940 avaient provoqué des famines. Les paysans en désertant les campagnes s’étaient agglutinés dans les bidonvilles de Casablanca et de Rabat. Si l’agriculture s’effondre cela aura de graves conséquences sur les villes.»

*Seuls les prénoms sont utilisés pour protéger l’identité des intervenant·es.

Julie Jeannet

Julie Jeannet est passionnée de rencontres. Relater des histoires singulières, faire porter la voix de celles et ceux que l’on entend rarement la fait vibrer. Ses sujets de prédilection touchent aux conditions d’accueil des personnes migrantes, l’égalité et l’environnement. Après avoir travaillé pour Amnesty International et collaboré au sein de la Cellule enquête de Tamedia, Julie est actuellement correspondante à Neuchâtel pour Le Courrier. Un quotidien engagé à travers lequel, elle peut défendre les valeurs qui lui tiennent à cœur.

Rime Taybouta

Jeune marocaine, passionnée par l’actualité et pleine d’enthousiasme, Rime Taybouta a commencé son aventure journalistique en 2020, au sein d’un média digital où elle a eu un avant-goût d’un métier qui deviendra sa passion. Deux ans après, elle décroche son master en médias et migration, au sein de L’institut supérieur de l’information et de la communication, ce qui lui a permis d’étendre son savoir en la matière. En 2022, Rime intègre le journal «L’Opinion», un média de référence, doyen des quotidiens marocains en langue française. Au sein de ce média, elle enchaîne les articles d’angle et les reportages écrits, avec une prédilection pour les produits filmés.

Julie Jeannet

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