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La Suisse, un modèle de gestion des déchets innovant 

La Suisse, un modèle de gestion des déchets innovant 

  En Suisse depuis plusieurs années, la gestion des déchets est une des priorités des dirigeants. Qu’il s’agisse des communes, des cantons ou même au plan national, des mécanismes sont mis en place pour mieux encadrer la gestion des déchets.

Reportage de Délorès Pie/Lemédiacitoyen

Déchetterie communale du Val-de-Travers. Photo Matthieu Henguely

Dans la commune du Val-de-Travers, la collecte des déchets se fait par taxe au poids

                           

 Ce lundi 13 juin 2022, un après-midi ensoleillé, à Fleurier, dans le Val-de-Travers, nous rencontrons Yves Fatton, conseiller communal dans un écopoint (point de collecte de déchets). Il nous fait découvrir le système de gestion de déchets.  

 De prime abord, il faut savoir qu’en Suisse, chaque municipalité est tenue d’appliquer une taxe proportionnelle en ce qui concerne les ordures ménagères. Dans ce système participatif, il y a une taxe de base annuelle et soit des sacs taxés ou une taxe au poids. Dans le Val-de-Travers c’est la taxe au poids à la différence des autres agglomérations du canton qui travaillent avec une taxe au sac. Ainsi dans l’un des points de collecte, les moloks [citernes pour les déchets] sont installés de sorte à ce que les habitants déposent leurs déchets triés. Ainsi, le pet, le plastique, le papier ou le carton triés sont collectés gratuitement. Les déchets restants sont pesés et taxés au poids. Chaque personne paie en fonction de la quantité de déchets qu’elle produit. Les déchets ménagers sont facturés à 40 centimes par kilo. La taxe de base annuelle tourne autour de 100 francs pour un ménage d’une personne puis est dégressive en fonction du nombre de personnes dans le ménage. Le système de gestion de taxe au poids est administré via un système informatique. Les moloks de la commune sont équipés d’une balance intégrée et ne sont accessibles qu’aux détenteurs de la carte magnétique permettant d’en déverrouiller l’ouverture. 

 Dans ce système de gestion, « se pose le problème d’infrastructures » note l’élu de Val-de-Travers. « Ce système impose de faire un contrôle de méthodologie toutes les années ou tous les deux ans pour s’assurer que la facture des habitants est bien exacte », poursuit-t-il. Il y a également un système de déchets ménagers avec les moloks que la commune a installé un peu partout dans les villages pour que les gens n’aient pas à se déplacer sur plusieurs kilomètres pour se débarrasser de leurs déchets. Aussi, il y a un endroit centralisé pour tout ce qui est récolte de déchets recyclables. Les corbeilles urbaines dans la commune sont aussi financées par la taxe de base. Il y a 250 poubelles dans la rue. Les déchets verts sont collectés et finissent dans une centrale pour créer le biogaz à base de déchets végétaux soit sont transformés en compost. Dans tous les petits villages, il y a des petits éco points ou on peut récolter les ordures ménagères, le pet, l’aluminium, le verre, le fer blanc, les papiers, les habits, le carton. Ce système, on le retrouve dans presque tous les villages.

Déchetterie communale du Val-de-Travers. Photo Matthieu Henguely

La commune dispose d’une déchetterie qui existe depuis 2010. Dans celle-ci sont récoltés tout ce qu’il y a dans les éco points et également tous les encombrants. Qu’il s’agisse d’un lit ou d’un appareil électrique. Les citoyens de la commune ont droit aux 50 premiers kilos gratuits au niveau des déchets encombrants. Après quoi, c’est facturé à 40 centimes le kilo.

Les Suisses génèrent une énorme quantité de déchet

 « Le travail à faire dans nos communautés est de travailler sur la quantité de déchets qu’on génère. Tout ce qui est emballage plastique, il y a beaucoup de choses qu’on devrait éviter d’emballer » note toutefois Yves Fatton. À la déchetterie, il y a la possibilité d’emmener divers matériaux, du matériel électrique, du pet, du textile, etc. De même les DSM (Déchets Spéciaux Ménagers) y sont récoltés. Les déchets restants sont incinérés chez Vadec (usine d’incinération et de tri) et serviront à alimenter les systèmes de chauffage à distance et à produire de l’électricité.

 Par ailleurs il tire la sornette d’alarme : « ce sera une grosse problématique dans les années à venir si on ne diminue pas la quantité de déchets qu’on génère en Suisse ». Au niveau des appareils électroniques des dispositions sont en cours de discussion au niveau européen afin qu’ils soient réparés ce qui n’existait pas encore. Il y aura des obligations au niveau du constructeur pour obliger à les réparer.

 La commune a trois mandats. Un mandat de tri, ensuite celui de la récolte des déchets ménagers, et enfin celui de la récolte de déchets verts. La déchetterie régionale est le point central.  En plus des communes, certaines entreprises sont agréées pour récolter les déchets. C’est le cas de Job eco.

Job eco organisme agréé pour collecter les déchets à grande échelle

 Job eco existe depuis 25 ans et œuvre notamment dans la réinsertion socio professionnelle. L’entreprise est mandatée par les associations SENS et Swico qui s’occupent du recyclage des appareils électriques et électroniques en Suisse. SENS c’est tout ce qui est électronique, appareils électro ménagers (fers à repasser, machines à laver etc.), et Swico tout ce qui est matériel informatique. Ces deux organismes prélèvent la taxe anticipée sur le recyclage. Job eco est agréé par ces deux organisations pour prélever de la marchandise. L’entreprise est un centre de collecte et de tri et non de recyclage. « On trie les marchandises et on l’envoie chez différents recycleurs. On collecte assez de marchandises (bois, plastique) sauf un type de déchets spéciaux soumis à contrôle. On collecte également du lithium, du néon et des piles (ce sont les seuls déchets spéciaux que nous avons le droit de prendre) » explique Christell Revelli, responsable développement commercial et planification chez Job eco.  

Employés de Job eco en pleine tâche. Photo Matthieu Henguely

  La collecte des déchets se fait à grande échelle comme nous l’explique la responsable développement commercial et planification. « Nous collectons dans les déchetteries, les entreprises. Les particuliers représentent une part très faible du pourcentage de notre marchandise. »

    Lorsque Job eco reçoit les déchets, il y a un tri qui se fait. Ensuite le personnel distribue tout ce qui est électronique d’un côté et tout ce qui est informatique de l’autre. En raison de la licence Sens et Swico détenue par Job eco, l’entreprise n’a pas le droit de revendre la marchandise encore moins de l’utiliser à des fins personnelles. Dans cette marchandise, tout ce qui est électronique va aller chez un recycleur qui va les mettre dans une broyeuse. Celle-ci sépare les matières. D’un côté le plastique, le métal, le verre, l’aluminium, le cuivre. Elle en fait des petits copeaux. Ceux-ci seront revendus et refondus pour être réutilisées.

Chargement de la marchandise devant finir chez un recycleur. Photo Matthieu Henguely

Il y a un aspect social dans la gestion des déchets. L’entreprise emploie du personnel en réinsertion professionnelle et donc contribue à résoudre la question du chômage. De même, l’entreprise emploie également des personnes avec des déficits psycho moteurs et par ricochet participe à l’inclusion de ces personnes défavorisées. De plus Job eco collecte de la nourriture. L’entreprise récolte auprès des supers marchés et redistribue tout ce qui est frais, à « partage », « Emmaüs » et bien d’autres organismes d’aide à des personnes dans le besoin.

À Job eco, le plastique de production termine comme certains déchets irrécupérables en revalorisation thermique.

L’usine de revalorisation thermique des déchets de Vadec à Cottendart revalorise les déchets

Dans le canton de Neuchâtel, à Cottendart, la revalorisation thermique est l’affaire de Vadec. Nous avons visité cette usine d’incinération de déchets datant d’une cinquantaine d’années à Colombier. Elle reçoit 180 tonnes de déchets par jour soit environ 1200 tonnes par semaine qui sont incinérés.

Camion déversant les ordures à l’usine d’incinération. Photo Matthieu Henguely

Lorsque les camions arrivent, ils sont pesés à l’entrée, pleins. Ces déchets ont déjà fait l’objet de tri et sont inutilisables. Ils sont déversés pour passer au four.  Deux grands fours sont prévus à cet effet. Ensuite, ils passent sur la balance et sont pesés vides et le tonnage est facturé à la commune qui a mandaté le camion. L’usine fonctionne 24h sur 24, 7 jours sur7, 365 jours par an avec un arrêt technique une fois par an pour voir l’état des machines. Les équipes (5 équipes de 2) se relaient.

Aussi l’usine sert de chauffage à distance et fournit de l’électricité. Cinq mille à 6000 personnes sont ravitaillées en chauffage pendant l’hiver et en électricité à Colombier grâce à l’usine d’incinération. Grâce au feu produit pendant l’incinération, l’usine produit de l’électricité et le chauffage. Compte tenu de la chaleur en été c’est seulement l’électricité que l’usine produit tandis qu’en hiver c’est le chauffage qui est prioritaire. L’usine d’incinération fonctionne comme la marmite à vapeur. La vapeur produite par les fours est aspirée et conduite dans les turbines électriques pour la production électrique et du chauffage à distance.

Tableau de bord de l’usine d’incinération de Vadec. Photo Matthieu Henguely

Les gaz et les poussières du feu montent dans le canal et ils font tout un cheminement pour arriver dans les filtres à manche. Les filtres à manche, c’est le même principe que l’aspirateur, c’est des chaussettes, et les poussières s’accrochent à l’extérieur de ces chaussettes, et puis de temps en temps il y a une petite explosion, toutes les poussières tombent, et puis elles sortent avec des poussées d’Archimède.

Les gaz montent, à l’intérieur du four, on a toute une batterie de tuyaux. Il y a des tuyaux d’eau et des tuyaux de vapeur. La soude caustique est utilisée afin que la vapeur distillée dans l’air soit une vapeur non polluante pour l’environnement.

Vadec est une déchetterie professionnelle qui n’est pas pour le citoyen lambda. Vadec a de gros clients (communes, entreprises). Les déchetteries communales envoient leurs déchets parfois chez Vadec.

La question des déchets demeure une grande problématique qui mérite qu’on s’y attarde. Bien que les déchets inutilisables soient incinérés il reste tout de même des tas de ferraille, de conserve et autres déchets qui ne sont pas détruits par le feu.

Pour en arriver à ces mécanismes de gestion des déchets en Suisse, il a fallu l’implication de plusieurs acteurs dont le législateur. En Suisse le conseil national est l’équivalent de la chambre des députés.

La problématique des déchets vue par des conseillers nationaux           

La Suisse est un pays fédéraliste. Il y a un certain nombre de choses qui sont définies par la confédération et un certain nombre définies par les cantons    Au Conseil national, la question intéresse les parlementaires. Le média citoyen a rencontré Baptiste Hurni, conseiller national du canton de Neuchâtel issu du Parti socialiste. Ce mercredi 15 juin 2022, c’est jour de vote. Au cours de l’entretien qu’il nous a accordé entre deux votes, il nous a expliqué le principe de la gestion des déchets en Suisse « Le principe de base de toute la gestion des déchets en Suisse, c’est le principe du pollueur-payeur ». Ce qui signifie que celui qui recycle, paye moins. Cependant, il y a un grand débat autour de la filière du plastique. Le canton de Neuchâtel n’accepte plus le recyclage du plastique. La principale usine de recyclage du plastique de la région, l’ usine de Granson recycle certes mais son bilan énergétique n’est pas incroyable. Une certaine opinion publique estime que ce n’est pas du recyclage et que les gens doivent juste payer pour mettre leur plastique à la poubelle. Même son de cloche pour le conseiller national Fabien Fivaz du parti des Verts. Pour lui fondamentalement « on devrait interdire les plastiques qui ne sont pas recyclables ». 

Fabien Fivaz, conseiller national, membre du parti des Verts. Photo Matthieu Henguely

Tout de même, les deux parlementaires sont unanimes sur un fait. Bien que certaines filières sont mises en place et fonctionnent très bien comme c’est le cas du pet et de certains plastiques recyclables, il y a tout de même un problème au niveau de la gestion des déchets. D’abord, « on n’arrive pas à gérer tout nous-mêmes », admet Baptiste Hurni. C’est encore pire pour les déchets plastiques non recyclables et électroniques. Les déchets électroniques sont envoyés à l’étranger. Là il y a un véritable problème parce que la Suisse devrait pouvoir mettre en place les filières pour recycler ses propres déchets. Il y a un intérêt économique à le faire avec toutes les matières rares qu’il y a dans l’électronique. « On essaie de créer une société qui est neutre au niveau de l’émission de CO2, si c’est pour envoyer nos déchets dans les pays les plus pauvres de la planète, ce n’est pas responsable, ce n’est pas solidaire » souligne le député du parti socialiste. Aussi, il estime que les filières traditionnelles, papier, carton, aluminium, verre marchent assez bien. Cependant, en ce qui concerne les filières électroniques, certains déchets plastiques, il estime qu’il y a encore du pain sur la planche. Les filières qui marchent bien sont écologiques. Toutefois il reste convaincu qu’il faut éviter de transporter les déchets de la Suisse à l’étranger : « Ce qu’on consomme ici on doit pouvoir les recycler sur place ou les éliminer. Les autres pays ne sont pas pas la poubelle du monde ». Concernant le cas où un appareil est exporté ailleurs pour lui donner une seconde vie, son avis sur la question est que cet appareil certes il fonctionne il n’est pas un déchet mais il est sur le point de le devenir. Alors, les acteurs de cet import-export ont une responsabilité écologique. À son avis, le principe de base devrait être que ce qu’on achète en Suisse et qui ne marche plus qui devient un déchet soit recyclé en Suisse. Concernant ce qui est réexporté, il pense qu’il devrait avoir des règlementations de sorte que la taxe anticipée prélevée pour le recyclage (il s’agit d’une taxe prélevée sur les appareils électroniques permettant de les recycler gratuitement chez le commerçant en cas de leur fin de vie) parte avec l’objet.

« Il faut produire moins de déchets » note Fabien Fivaz du parti des Verts. « Les Suisses sont les plus gros producteurs de déchets au monde même s’ils sont meilleurs en recyclage » poursuit-il. Il estime quant à lui que les mécanismes de gestion des déchets actuels en Suisse ne sont pas suffisamment écologiques dans la mesure où les Suisses ne réutilisent pas et ne réparent pas assez. En Suisse, on émet entre 5 et 6 tonnes de CO2 par habitant/année. Ce chiffre pourrait doubler si on tient compte de certains facteurs.

Voir la parution originale sur Le Médiacitoyen

Délorès Pie

Je suis Délorès Pie. Je suis juriste de formation. J’ai étudié notamment le droit privé, carrière judiciaire à l’université d’Abidjan. Après avoir exercé à différents postes en entreprise, ma passion pour l’écriture me conduit au journalisme à le média Citoyen depuis 2019. J’ai également fait un passage à Opera News en 2021-2022. J’écris principalement sur les sujets de société, de droits de l’homme et je m’intéresse ces dernières années à l’environnement. EQDA sera ma première expérience à l’étranger et je me réjouis d’y prendre part.

Matthieu Henguely

Matthieu Henguely, 32 ans, est journaliste à ArcInfo, à Neuchâtel. Diplômé de l’Académie du journalisme et des médias, il a effectué son stage au secrétariat de rédaction du quotidien neuchâtelois. Il y a continué de faire ses armes en devenant ensuite correspondant au Val-de-Travers, puis responsable adjoint de la rubrique locale. En quête d’ailleurs constitue sa première expérience à l’étranger et une formidable chance d’élargir ses horizons.

Délorès Pie

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