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Déchets électroniques en Côte d’Ivoire: entre catastrophe écologique et économie informelle

Déchets électroniques en Côte d’Ivoire: entre catastrophe écologique et économie informelle

Que faire avec 50 000 tonnes de déchets électroniques? La filière se professionnalise, mais la grande majorité reste recyclée de manière informelle, au détriment de l’environnement. Reportage à Abidjan, la capitale économique.

Reportage de Matthieu Henguely/arcinfo

Des clong, des cling et autres bruits métalliques résonnent de tous les côtés. Nous sommes au cœur du quartier d’Anoumabo, au sud d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Le dernier clong, c’est Abou, 15 ans, qui frappe avec son marteau sur un condensateur afin d’en retirer le cuivre.

«Nous, on n’est pas techniciens. On casse ce qui ne peut pas être réparé», explique Youssouf Diassara, son collègue au sein de la casse de l’Afecam, l’Association des ferrailleurs des casses modernes de Côte d’Ivoire. Un panneau d’imprimante sur les genoux, il en retire les supports métalliques sur lesquels vient se poser la cartouche de toner.

Youssouf Diassara au milieu de la casse d’Afecam, à Anoumabo. Photo: Matthieu Henguely

Dans ce quartier populaire riverain de la lagune Ebrié, de nombreux vieux ordinateurs, ventilateurs, frigos ou imprimantes sont soit réparés, soit démantelés. Des centaines de familles vivent encore de cette économie informelle, même si une filière officielle vient d’être mise en place sous l’égide du groupe international SGS. Quelques recycleurs privés, souvent issus d’ONG, sont également déjà actifs.

«Gros problème écologique»

«On estime que 50 000 tonnes de déchets électroniques sont produites ou se retrouvent dans le pays chaque année», chiffre Evariste Aohoui, directeur et fondateur d’Electronic Wastes Africa (EWA), une plateforme de recyclage privée installée à Bingerville, à l’est d’Abidjan.

Evariste Aohoui a monté une plateformede recyclage des déchets électroniques à Bingerville. Photo Matthieu Henguely

«Toutes les entreprises du secteur – SGS Renovo et les privés – traitent environ 10 000 tonnes.» La grande majorité des déchets atterrit soit dans les décharges, soit dans la filière informelle que représentent les casses. Et c’est principalement à Anoumabo que tout cela se passe.

Or, cette manière de faire est «un gros problème écologique», selon le jeune entrepreneur ivoirien. Si les ferrailleurs récupèrent de plus en plus de matières différentes (fer, alu, cuivre, etc.), ce qui reste finit dans la nature. «Les batteries, certains composants chimiques et les plastiques finissent soit dans la lagune, soit sont mal brûlés, et on respire ensuite cet air pollué.»

Des équipes informelles

Dans sa casse voisine de Marcory, qui compte cinq personnes agréées, Issa Oumar assure que les ferrailleurs ont évolué. «On démonte et on envoie ailleurs ce qu’on ne peut pas utiliser. Il y a un repreneur pour les batteries à Yopougon (réd.: quartier ouest d’Abidjan)», dit-il.

Un livreur arrive. Sur son chariot à bras, quelques vieux appareils qu’il a récupérés – ou achetés – et qu’il vient revendre, un peu plus cher, aux ferrailleurs.

Autre changement, le prix de revente des matières premières. «Le cuivre, on le vendait 350 francs CFA le kilo (environ 60 centimes suisses). Aujourd’hui, c’est 4000 francs CFA (7 francs). Le fer est passé de 5 francs CFA à 180 francs CFA le kilo (30 centimes suisses)», chiffre le responsable. «On peut vendre à plusieurs acheteurs, dont des Chinois. C’est intéressant pour nous.»

«En recyclant uniquement des fractions comme le cuivre, un ferrailleur peut toucher entre 3000 et 10 000 francs CFA par jour, soit assez pour vivre», reprend Evariste Aohoui, d’Electronic Wastes Africa (EWA).

«La décharge d’Anoumabo a une utilité sociale. Fermer ce site n’est pas une solution. Par contre, il faut qu’on améliore les pratiques des ferrailleurs pour leur permettre de continuer à gagner leur vie, mais en recyclant mieux.»

Evariste Aohoui a pu aller se former à l’étranger, aux Etats-Unis en l’occurrence, grâce à une bourse d’études. Il est ensuite revenu au pays pour créer une ONG, puis s’est lancé dans l’entrepreneuriat avec EWA.

Inciter au recyclage

Son entreprise, qui a subi de plein fouet la crise du Covid, redémarre gentiment. «Nous avons cinq employés qui démontent et recyclent et une dizaine d’emplois administratifs.» Surtout, une centaine de collecteurs, indépendants, alimentent la plateforme en amenant toutes sortes de composants.

Une partie des appareils est collectée dans les supermarchés Carrefour d’Abidjan. «Mais les gens n’ont pas encore la culture du recyclage. Ils se demandent ce qu’ils gagnent en donnant leur objet et ne veulent pas céder gratuitement leurs appareils qui ne marchent plus. On pense à un système de points pour les inciter à recycler.»

Entre Marcory et Anoumabo, ce qu’il reste des déchets électroniques, une fois certains composants enlevés et triés, sont brûlés le long de la lagune. Photo Matthieu Henguely

A l’instar d’une casse, les travailleurs d’EWA démontent des appareils et trient les matières. «Il est inutile de détruire quelque chose qui peut être réutilisé», remarque Evariste Aohoui devant un bac où sont stockés des écrans encore fonctionnels, avant d’être confiés à des réparateurs locaux. «Nous avons tout à gagner à allonger la durée de vie des équipements.»

Les éléments trop compliqués comme les batteries seront envoyés en France, au Havre, dans une usine capable de traiter de tels objets.

Modèle économique double

EWA compte deux volets: la revente de la matière première, et la vente de services, collecte et formation, à des entreprises. «C’est dans les fractions sans valeur, comme le plastique ou les batteries (ndlr: les secondes sont très chères à traiter), que nous espérons recevoir des subventions, afin que le recyclage soit vraiment rentable», note-t-il.

Comme pour les déchets ménagers d’Abidjan, le pays a conclu un accord avec un grand groupe international, le franco-suisse SGS (Société générale de surveillance) et mis en place une filière officielle, appelée Renovo, ainsi qu’une écotaxe, selon un modèle similaire à ce qui est fait en Suisse (voir ci-dessous), en 2018.

Sollicité, le Ministère de l’environnement, responsable du dossier, n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. Pour l’heure, un centre comme celui d’EWA ne reçoit aucune subvention. Le recyclage informel a encore de beaux jours devant lui.

Carte: arcinfo

Ces appareils qui viennent d’Europe

Parmi les déchets traités en Côte d’Ivoire, beaucoup d’appareils viennent d’Europe. Le réparateur Adolf Monney, à Bingerville, confie que ses clients préfèrent ces appareils de seconde main «plus solides» aux appareils chinois neufs, pourtant moins chers.

Le vendeur du magasin à l’entrée de la casse de l’Afecam le confirme. Il vend tout un stock d’ordinateurs issus d’une entreprise française pour 50 000 à 100 000 francs CFA (85 et 170 francs suisses), là où un ordinateur neuf de fabrication chinoise, «de performance similaire», se monnaie 250 000 francs CFA (425 francs suisses).

Est-ce vraiment logique, pour l’économie comme pour l’environnement, de donner une seconde vie aux appareils du Vieux Continent? Ne vaudrait-il pas mieux utiliser les filières locales de recyclage plutôt que d’envoyer en Afrique nos ordinateurs usagés?

Pour Evariste Aohoui, tout dépend de l’encadrement de la pratique. «Si les appareils envoyés sont testés et fonctionnels, alors oui, c’est une bonne chose de prolonger leur durée de vie et cela permet à des personnes qui n’ont pas beaucoup de moyens d’avoir un ordinateur. Mais si c’est envoyé en vrac, c’est une catastrophe. Dans le meilleur des cas, on devra démonter, trier et renvoyant les composants qu’on n’arrive pas à traiter, ce qui peut revenir très cher. Au pire, ça finira dans la lagune.»



EN SUISSE, UN RECYCLAGE ORGANISE MAIS IMPARFAIT

Deux associations gèrent le recyclage des appareils électroniques et informatiques en Suisse, Sens et Swico. La première s’occupe des appareils électroniques, la seconde du matériel informatique. Chacune demande une écotaxe lors de la vente des appareils, permettant de couvrir les frais de recyclage.

Un réseau de sous-traitants – à Neuchâtel par exemple, Vadec, ou JobEco au Locle, sont labélisés par Sens et Swico – s’occupe ensuite de collecter et d’envoyer les composants vers des usines spécialisées. Ainsi, les écrans plats peuvent être envoyés à Moudon (VD), chez Thévenaz-Leduc où une machine, la Bluebox, les broie et trie les différentes matières.

Bien organisée, la filière n’échappe pas à certaines critiques. Le conseiller national Fabien Fivaz (Verts/NE) déplore notamment le fait que l’on recycle des composants toujours fonctionnels et que la filière exclut la possibilité de les remettre sur le marché.



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L’article paru dans arcinfo:

Matthieu Henguely

Matthieu Henguely, 32 ans, est journaliste à ArcInfo, à Neuchâtel. Diplômé de l’Académie du journalisme et des médias, il a effectué son stage au secrétariat de rédaction du quotidien neuchâtelois. Il y a continué de faire ses armes en devenant ensuite correspondant au Val-de-Travers, puis responsable adjoint de la rubrique locale. En quête d’ailleurs constitue sa première expérience à l’étranger et une formidable chance d’élargir ses horizons.

Délorès Pie

Je suis Délorès Pie. Je suis juriste de formation. J’ai étudié notamment le droit privé, carrière judiciaire à l’université d’Abidjan. Après avoir exercé à différents postes en entreprise, ma passion pour l’écriture me conduit au journalisme à le média Citoyen depuis 2019. J’ai également fait un passage à Opera News en 2021-2022. J’écris principalement sur les sujets de société, de droits de l’homme et je m’intéresse ces dernières années à l’environnement. EQDA sera ma première expérience à l’étranger et je me réjouis d’y prendre part.

Matthieu Henguely

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