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Ouganda : l’exode des réfugiés congolais

Ouganda : l’exode des réfugiés congolais

UN REPORTAGE DE SEREINA DONATSCH EN OUGANDA – MEDIA DE REFERENCE : ATS

Dans un paysage verdoyant, à la périphérie de la ville de Kisoro, prisée par les touristes en quête des derniers gorilles des montagnes, se dessine un vaste pré sur lequel se dressent des centaines de tentes blanches estampillées du logo du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR). C’est ici, au centre de transit de Nyakabande, à 20 km de la frontière de la RDC, que les réfugiés congolais ont été transférés par l’armée ougandaise. En toile de fond, le volcan Muhavura s’élève à plus de 4000 mètres.

Plusieurs organisations humanitaires, dont le HCR, Médecins Sans Frontières (MSF), Unicef et la Croix-Rouge ougandaise travaillent sur ce site de quelque 30’000 m2. Elles y fournissent des abris, de l’eau, de la nourriture et des soins. Uniquement destiné au transit, le site offre le minimum. Ils sont entre huit et quinze à dormir sous la bâche en toile et affronter le froid de Kisoro la nuit. Certaines tentes peuvent même accueillir entre 200 à 300 personnes. Une situation qui paraît irréelle, au milieu de cette immensité verte dans ce pays que Winston Churchill avait nommé «la perle de l’Afrique».

«Tel que tu me vois, j’ai fui»

Et pourtant, chaque jour une centaine de personnes sont enregistrées dans ce camp après des kilomètres de marche. Bon nombre d’entre elles se sauvent avec pour seul bagage les vêtements qu’elles avaient sur le dos. «Tel que tu me vois, j’ai fui». Tongs, veste noire poussiéreuse, pantalon kaki et casquette vissée sur la tête, Bisimana Musseka, 28 ans, n’a pas eu le temps d’emporter plus d’affaires.

Il a quitté son village dans le secteur de Kiwanja au Nord-Kivu, pour échapper aux forces rebelles du M23. Bisimana a marché une semaine avec son épouse et ses trois enfants en bas âge. «Des troupes que je ne connaissais pas sont arrivées dans ma communauté. Elles pillent les biens des habitants et les menacent», raconte le jeune homme au visage balafré. «Les civils sont particulièrement menacés, les rebelles brûlent nos maisons et détruisent tout sur leur passage», poursuit Habamgira Ntahobari, un autre réfugié assis à ses côtés. La plupart d’entre eux espèrent rentrer chez eux, une fois la situation stabilisée dans le Nord-Kivu. «En attendant nous cherchons un endroit sûr, une vie meilleure», glisse Daniel, 36 ans.

Selon les organisations humanitaires travaillant dans le camp, les réfugiés sont majoritairement des fermiers fuyant pillages, harcèlements, viols et enlèvements. «Des milices Maï Maï, Nyatura et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) kidnappent les civils», affirme Bisimana, des trémolos dans la voix. Alors que les discussions s’animent, – chacun souhaitant y ajouter son témoignage – les filles d’Habamgira jouent autour de lui, pieds nus. Ebouriffées, robes déchirées, leur regard transperce la poussière qui recouvre leur visage. Sa femme écoute, le regard triste.

Un semblant de normalité

Des enfants, il y en a partout à Nyakabande. Ils accourent vers les visiteurs, les suivent parfois toute la journée. Beaucoup sont seuls et cherchent un peu de réconfort ou d’affection. «Souvent, ils sont à l’école lorsqu’un conflit éclate dans leur village et ils ne peuvent plus revenir à la maison», explique Bernard Manishimwe, travailleur humanitaire de la Croix Rouge ougandaise. Sur 1000 réfugiés installés à Nyakabende, il y a une cinquantaine d’enfants mineurs non-accompagnés.

Certains retrouvent leur famille, d’autres sont orphelins: «j’ai trouvé cet enfant au bord de la route», narre Uwimana Nyirakadari, âgée de 58 ans, la tête entourée par un foulard jaune safran et une robe traditionnelle de toutes les couleurs. «Sa mère a été tuée», poursuit-elle en allaitant le bébé comme si c’était le sien. Uwimana ignore quant à elle où sont ses quatre enfants et son mari.

«Mon village a été attaqué par les rebelles. J’ai marché avec mes enfants de deux ans et demi pendant trois jours pour arriver ici», raconte Maria, une réfugiée de Kibumba. «J’étais très inquiète, car une de mes filles était très malade», poursuit-elle dans un souffle ténu, alors que ses deux jumelles mangent le plat préparé par leur mère.

A l’instar de Maria, ils sont nombreux à se faire à manger dans le camp, tentant de retrouver un semblant de normalité. Pendant ce temps, des nouveaux arrivants affluent. Fourbus, ils sont debout dans une file d’attente pour s’inscrire auprès du HCR et des autorités ougandaises. D’autres font la queue pour obtenir un repas chaud ou pour lancer un coup de fil à leurs proches, un service téléphonique que la Comité International de la Croix-Rouge (CICR) offre depuis l’année dernière.

Eglise et hôpital dans le camp

Pour des raisons de sécurité, «les réfugiés restent en règle générale au maximum trois semaines» à Nyakabende, explique la commandante du camp qui travaille pour le gouvernement. Les autorités ougandaises jugent le site trop proche de la frontière avec la RDC. A la tombée de la nuit, des sentinelles montent d’ailleurs la garde dans les guérites placées aux quatre coins du camp.

Après leur séjour à Nykabende, les réfugiés sont transférés par bus à Rwamwanja, un centre permanent à 350 kilomètres au nord de Kisoro. Ce site fait plus de vingt kilomètres de long et ressemble plus à une ville qu’à un camp de réfugiés. Ils sont plus de 37’000 à y habiter, dont plus de 95% de Congolais. Ecole, hôpital, église, tout y est.

Chaque famille reçoit une parcelle de terrain à cultiver et du matériel pour s’établir, et «une fois sur place, ils peuvent demander le statut de résident», explique Geoffrey Upon, du HCR. D’aucuns y ont passé déjà vingt ans de leur vie. «Certains enfants ne connaissent que ce camp. Ils y sont nés, y ont fait leur école, se sont mariés», observe-t-il. A Rwamwanja, l’idée d’un retour en RDC se perd en effet dans les méandres d’une guerre qui n’en finit pas.

Un camp de réfugiés à Nyakabende, dans le district de Kisoro, au sud-ouest de l’Ouganda, à 20 km de la frontière de la République Démocratique du Congo (RDC). Sur l’image, des enfants jouent devant les tentes mises à disposition par le Haut commissariat pour les réfugiés qui travaille sur ce site. 3 juillet 2013
Des réfugiés congolais attendent dans le camp de Nyakabende. Ils ont fui leur pays en raison de la guerre dans le Nord-Kivu (est de la RDC). 3 juillet 2013
Des réfugiés congolais qui ont fui la guerre du Nord-Kivu (est de la République Démocratique du Congo) sont transférés en bus du camp de transit de Nyakabende vers un camp de réfugiés permanent à Rwamwanja, à 350 kilomètres. 3 juillet 2013.

COMPLÉMENT D’ARTICLE :

Les factions armées en RDC

Depuis plus de vingt ans, des combats quasi incessants pour le contrôle des terres, des richesses minières et du pouvoir terrorisent la population de la République Démocratique du Congo (RDC). Dans le Nord-Kivu (est) les conflits entre milices rebelles y font rage. Selon la confédération d’organisations Oxfam, plus de 5,4 millions de personnes ont perdu la vie en RDC depuis 1998. Depuis avril 2012, des troupes rebelles contrôlent des vastes zones à l’est du pays et les combats se sont intensifiés. D’après l’ONG, les meurtres, viols et extorsions se multiplient à l’encontre de la population civile.

⁃ Le Mouvement du 23-Mars (M23)
Le M23 est apparu en avril 2012. Il est principalement composé de membres de l’ancienne rébellion pro-tutsie, mais aussi de mutins de l’armée congolaise. Selon les Congolais interrogés au camp de réfugiés de Nyakabande, ils sont vêtus d’un treillis militaire et donc aisément reconnaissables. Son nom fait référence à un accord signé le 23 mars 2009 entre le gouvernement et l’ancêtre du M23, le CNDP (Congrès national pour la défense du peuple). Dans cet accord, le M23 demande notamment l’intégration de ses hommes dans l’armée et au sein du gouvernement central en échange de la fin des hostilités. Un accord qui n’a pas été respecté, puisque l’armée gouvernementale congolaise combat le M23 depuis mai 2012. Affaibli, le M23 disposerait aujourd’hui d’environ 1500 hommes, selon un groupe d’experts des Nations unies sur la RDC. D’après leur rapport transmis au Conseil de sécurité de l’ONU le 20 juin, le Rwanda voisin soutiendrait le M23, une affirmation que Kigali réfute.

⁃ Les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR)
Ce mouvement, fondé en 2000, regroupe des rebelles rwandais hutus, dont certains sont recherchés par Kigali pour leur implication dans le génocide des Tutsis en 1994 au Rwanda. Le régime de Joseph Kabila, le président de la RDC, a régulièrement été accusé par Kigali d’avoir appuyé les FDLR. Selon plusieurs rapports de l’ONU, les viols de masse, massacres et autres atrocités commis par les rebelles du FDLR, mais aussi par les troupes gouvernementales, sont fréquents dans la région. Les FDLR se seraient alliées à l’armée congolaise, notamment au moment de la prise de la ville de Goma par le M23 en novembre 2012. Réparties entre le Nord et le Sud-Kivu, les FDLR compteraient également 1500 soldats. Ces dernières sont habillées en uniforme militaire de la RDC et «portent une ceinture qui permet aux habitants de les identifier», expliquent ceux qui y ont été confrontés.

⁃ Les milices Maï Maï
Actifs notamment dans le Nord et le Sud Kivu, les groupes armés Maï Maï (littéralement « eau eau »), sont des combattants formés et dirigés par des seigneurs de guerre, des chefs tribaux traditionnels, des chefs de village, ou des leaders politiques locaux. Ils sont divisés en plusieurs milices (Patriotes résistants congolais, Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain, etc.) censées, selon elles, protéger la population. D’après les témoignages recueillis, ils sont généralement en tenue kaki et affublés d’herbe et donc aussi facilement repérables.

⁃ Les milices Nyatura
Les milices nyatura sont issues de l’ethnie hutu et proviennent des hauts plateaux de Nyabibwe en territoire de Kaleh, dans le Sud-Kivu. Les Nyatura sont basés à Lukweti dans le Masisi, au Nord-Kivu. Selon des membres de sociétés civiles locales, les Nyatura feraient souvent alliance avec la milice hutu des FDLR. Outre les violences qui leur sont attribuées, ils seraient d’autant plus dangereux, car difficiles à repérer, en raison de leurs habits civils.

Sereina Donatsch

Après un Master en science politique à l’Université de Lausanne, Sereina Donatsch, 30 ans, a écrit des piges pour 24 heures, tout en travaillant à la rubrique en ligne de l’Agence Télégraphique Suisse (ATS) pendant une année. A côté de son emploi, Sereina a également travaillé pour l’association Franc-Parler où elle a enseigné bénévolement le français à des femmes immigrées. Actuellement elle termine son stage RP à la rubrique étrangère de l’ATS.

Matilda Nzioki

Matilda Nzioki est une jeune journaliste kenyane spécialisée dans le reportage. Elle travaille dans les médias depuis un peu plus de cinq. Elle collabore à Mediamax Network à Nairobi. Matilda est diplômée en langage et communication, et en français, de l’Université de Nairobi. Elle est actuellement en congé de formation (Global Media and Communication) à l’Université de Warwick en Grande Bretagne. Auparavant elle a collaboré comme reporter, depuis 2008, au quotidien The Standard, toujours à Nairobi Matilda parle kamba, swahili et anglais, mais se débrouille aussi couramment en français, qu’elle a étudié à l’école, puis à l’Alliance Française et enfin lors de ses études universitaires. Motivée par l’espoir de voir la fin de la souffrance humaine, elle donne de son temps libre à des activités bénévoles.

Sereina Donatsch

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