LE REPORTAGE D’OMAR DIOUF EN SUISSE
(Berne) – Député suisse d’origine angolaise, Ricardo Lumengo trouve que la loi helvétique sur la naturalisation est encore beaucoup plus exigeante que celle des pays voisins. Entretien avec ce socialiste de 48 ans, dont 28 passés en Suisse et seul élu noir, en octobre 2007, au Parlement fédéral à Berne.
Le Soleil: Depuis quand êtes-vous entré en politique?
Ricardo Lumengo: Depuis 1997, je suis membre de la section locale du Parti socialiste de ma ville, Bienne. Mais, j’ai commencé à assumer un mandat politique en 2005, où je suis entré au Parlement local de la ville. Et je suis élu conseiller national en octobre 2007 au Parlement fédéral.
En tant que seul député suisse d’origine africaine au Parlement fédéral, avez-vous le sentiment de devoir y jouer un rôle particulier?
Oui. Oui! Les rôles à jouer sont toujours importants. Mon domaine de prédilection, ce sont les droits des étrangers, leur intégration, l’asile, etc. L’aspect de la politique extérieure de la Suisse, l’aide au développement sont également des domaines auxquels je tiens. Ensuite, j’ai siégé aussi dans la Commission de la politique de sécurité. Là, on parle beaucoup plus de problèmes de la Police, de la procédure pénale. C’était beaucoup moins intéressant pour moi, mais en tant que juriste, il y a toujours des aspects qui se recoupent.
Et pensez-vous que c’est facile pour un étranger de s’intégrer en Suisse?
Oui, c’est possible, c’est facile. Cela dépend. Parce que c’est une nécessité. L’étranger, c’est valable dans tout pays, qui vient habiter, doit apprendre les us et coutumes du pays hôte, respecter l’ordre juridique, apprendre la langue, etc. Ce sont ces éléments-là qui sont essentiels pour l’intégration d’un étranger. Pour le moment en Suisse, d’ailleurs c’est un sujet qui est brûlant parce que d’un autre côté, il y a un durcissement des droits des étrangers. Parce que, aujourd’hui – (le 2 juin – ndlr) le débat concerne une proposition à inscrire dans la Constitution la possibilité d’expulser des étrangers, etc. Cela montre que l’opposé de se faire expulser pour l’étranger est de s’intégrer, s’adapter à la société. C’est possible, mais c’est vrai que c’est beaucoup plus difficile qu’à l’époque. Avec la crise économique, le chômage, mais aussi avec la montée de la xénophobie, c’est vrai qu’il est devenu un peu plus difficile pour l’étranger de faire son chemin.
Trouvez-vous que le droit de vote et d’éligibilité est souple pour l’étranger en Suisse?
Selon les statistiques, les comparaisons internationales, on dit que la Suisse est le pays où la loi est beaucoup plus rigide, beaucoup plus sévère. D’abord pat la durée. Pour la naturalisation normale d’un étranger, il faut attendre douze ans. Et la durée moyenne dans beaucoup de pays d’Europe c’est entre cinq et dix ans. Donc sur cet aspect-là on voit que la loi suisse est beaucoup plus exigeante. Et ensuite aussi dans le cadre de la procédure de naturalisation, les conditions exigées par l’Etat sont beaucoup plus sévères. Je pense, nous avons fixé la barre plus haut en Suisse.
Est-ce que, au sein de votre parti et dans les débats à l’Assemblée fédérale, vous intervenez en tant que parlementaire pour faire assouplir ces lois?
Oui! C’est le rôle d’un parlementaire, se sentir porte-parole. Il ne s’agit pas seulement dans le domaine de la politique des étrangers, c’est également contribuer au changement de la loi dans les domaines qui correspondent à ses convictions. Comme je disais avant, ce qui concerne la loi sur les étrangers est un de mes domaines de prédilection pour lesquels je m’engage. Donc, j’apporte ma contribution en tant que parlementaire dans ces domaines-là.
En tant que député suisse, d’origine africaine, êtes-vous un exemple d’intégration pour les étrangers?
C’est toujours un exemple ! Parce qu’il n’y a pas beaucoup d’Africains dans la réalité politique en Suisse. Dans la vie politique suisse, je suis un des rares. Et puis les personnes, ce qui est tout à fait normal, aiment qu’il y ait un modèle pour les encourager, pour motiver. C’est une constatation.
Avez-vous une idée du nombre d’émigrés africains en Suisse?
C’est difficile de donner le chiffre exact. Mais, le nombre d’Africains est relativement bas par rapport à des pays comme la Belgique, la France, l’Angleterre…
Ces Africains présents en Suisse viennent-ils vers vous, le parlementaire. Si oui, comment ça se passe?
Ça se passe normalement. En ce sens que c’est mon milieu. J’ai grandi dans ce milieu-là, je ne suis pas un extraterrestre (rire – ndlr). J’ai mené ma vie comme un Africain normal. Donc, il y a tous les niveaux de contacts que vous voulez. Contacts spontanés, des amis, des gens que l’on connaît, selon les communautés. Mais, c’est vrai qu’il y a eu après ces contacts formels dès le moment qu’on assume des fonctions. Je suis devenu conseiller national (député – ndlr), il y a les médiats, la presse, on est contacté par les emails, le téléphone, etc. Ça, c’est la particularité aussi de la vie politique en Suisse. En ce sens que les hommes politiques restent encore dans la société. On ne crée pas de barrières, on n’a pas de gardes du corps. On continue de mener sa vie toujours normalement. Ce qui veut dire que rien n’a changé de ma vie antérieure. Quand je quitte le Parlement, je prends le train pour rentrer à la maison. En route, il y a des gens que je croise, si j’ai le temps, on cause. Sinon, on se fixe un rendez-vous.
Justement, depuis combien de temps vous vivez en Suisse. Vous venez de l’Angola, n’est-ce pas?
Oui, je viens de l’Angola et je vis et j’habite en Suisse depuis 1982. Je suis naturalisé officiellement Suisse depuis 1997. Je parle le français et l’allemand.
Vous avez de la famille en Suisse?
Pas vraiment. J’ai encore la majeure partie de ma famille qui vit en encore Angola et je pars souvent leur rendre visite.»
Omar DIOUF Le Soleil