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Travailleurs arméniens en Russie : « Tant que ça marche, ils y retournent »

Travailleurs arméniens en Russie : « Tant que ça marche, ils y retournent »

UN REPORTAGE D’ANTOINETTE PRINCE (ATS) EN ARMENIE

Acheter un billet d’avion pour Moscou ou pour une ville lointaine de Sibérie: ils sont des dizaines de milliers d’Arméniens à faire le pas chaque année. Objectif: aller travailler en Russie et gagner de quoi faire vivre la famille restée au pays. L’Arménie a mal à son économie, dominée par des oligarques et entravée par des tensions avec ses voisins turcs et azerbaïdjanais.

Rencontré à Erevan, Agashi Tadevosyan, anthropologue à l’Université d’Etat, explique les multiples raisons qui poussent les jeunes Arménien à quitter leur pays. (Photo : Antoinette Prince, ats)

Dans cette ancienne république soviétique, les travailleurs n’ont souvent d’autre choix que de s’exiler, en Russie de préférence. Coup d’œil sur ces saisonniers du 21ème siècle avec Agashi Tadevosyan, docteur en anthropologie sociale de l’Université d’Etat d’Erevan.

Ce sont presque exclusivement les hommes qui partent, explique le chercheur. Ils ont en général entre 20 et 55 ans. «Souvent, ils partent une première fois, pas forcément pour longtemps, quelques mois. Et tant que ça marche, ils y retournent», explique le chercheur.

D’abord parce qu’ils ne trouvent pas de travail en Arménie, ou seulement une occupation mal rémunérée. La Russie représente alors la solution la plus simple: aucun visa n’est nécessaire, on y déniche facilement un emploi et les salaires sont trois à cinq fois plus élevés.

Une bonne connaissance de la langue russe facilite l’accès à ces emplois tant espérés. Tout comme l’existence d’un réseau arménien sur place, un frère, des cousins, quelqu’un du même village.

Ils se sentent plus libres

Mais dans certaines régions rurales de ce petit pays enclavé du Caucase, on n’émigre pas uniquement par nécessité économique. Parfois, c’est la tradition qui pousse à partir en Russie. «Le père l’a fait, le grand-père aussi, c’est considéré comme normal», relève M. Tadevosyan. Travailler en Russie correspond à leur image «d’une bonne vie et d’un bon job».

Certains ne peuvent imaginer leur vie autrement. Et «ils y trouvent certains avantages», souligne l’anthropologue, «ils se sentent peut-être plus libres, surtout les jeunes hommes. Les filles ou les femmes arméniennes sont plus traditionnelles que les Russes». En d’autres mots, ils peuvent avoir plus facilement des relations sexuelles avec des femmes en Russie.

Douze à quatorze heures par jour

Qualifiés ou non, ces hommes se retrouvent la plupart du temps sur des chantiers, à construire des routes ou des immeubles. Ils sont aussi engagés dans les services, comme la restauration. «Ils travaillent toujours assez dur, de 12 à 14 heures par jour, quand ce n’est pas davantage, quelquefois sept jours sur sept», explique le spécialiste.

Il leur arrive d’avoir des démêlés avec un employeur qui ne verse pas le salaire promis ou qui tarde à payer. Certains patrons «oublient» simplement les démarches administratives, ou ne rédigent pas de contrat en bonne et due forme. Malgré cela, l’attrait reste fort pour ces emplois.

S’ils sont partis sans leur famille, ils vivent à plusieurs dans des logements communautaires, sur le lieu de travail. Ils font cuisine commune, ce qui leur permet de garder une alimentation familière. Et avec les moyens tels que Skype, ils peuvent communiquer beaucoup plus facilement avec leurs proches.

Baptêmes et mariages

Quand ils rentrent au pays pour quelques semaines ou quelques mois, «ils s’achètent une nouvelle voiture, des meubles», souvent des biens de consommation, résume M. Tadevosyan. «L’argent gagné en Russie améliore vraiment et considérablement la vie quotidienne des familles ».

Une amélioration matérielle surtout, « mais aussi en termes d’éducation – une année d’université coûte entre 1500 et 2000 dollars – ou de soins médicaux de qualité».

Sans oublier la vie sociale: organiser un baptême, un mariage, ou simplement s’y rendre comme invité peut coûter cher. Or ces événements restent très importants dans cette société attachée aux traditions.

Peu de création d’emplois

L’argent provenant des travailleurs arméniens à l’étranger représente environ 20% du PIB arménien, soit près de deux milliards de dollars, selon plusieurs estimations. Une somme considérable, mais qui ne contribue que de façon restreinte au développement du pays, par la création d’emplois par exemple.

Un déménagement à Erevan. (photo : Antoinette Prince, ats)

Les grandes entreprises, détenues par des oligarques proches du pouvoir, ne voient en effet pas d’un bon œil la création d’un tissu de PME ou d’une production locale performante, explique le chercheur. Ces riches gens d’affaires ont même tout intérêt à ce que cet argent soit dépensé en biens de consommation dans leurs supermarchés et autres commerces.

Le tabou des MST

L’anthropologue aussi tient à aborder l’une des «retombées» de cette migration dont «personne n’ose trop parler»: les maladies sexuellement transmissibles (MST). Pendant leur séjour en Russie, nombre d’hommes ont des relations non protégées. Au retour, il leur arrive de transmettre des MST à leurs épouses. Des ONG s’efforcent d’informer et de faire de la prévention. Mais le sujet est tellement tabou que certains séropositifs n’osent même pas aller consulter.

COMPLÉMENT D’ARTICLE :

L’émigration change la donne dans l’agriculture

Dans les régions rurales, quand les hommes partent en Russie, les travaux de la terre pâtissent du manque de bras. D’autant plus que la population arménienne est en baisse. Les familles des propriétaires terriens essaient de pallier en louant les services des hommes qui sont restés dans les villages.

Elles les paient avec le ou les salaires qui viennent de Russie. « C’est un nouveau phénomène, une nouvelle répartition économique », souligne l’anthropologue Agashi Tadevosyan.

Autre nouveauté: les familles qui n’ont personne en Russie empruntent aux familles des migrants, pour acheter des machines agricoles, du carburant, des produits chimiques. « Il se crée un nouveau mode de relation entre les familles des saisonniers et les autres », constate le chercheur.

« Les premières ont du ‘cash’ et peuvent prêter. Elles injectent ainsi de l’argent dans l’agriculture. Cela aide à la fois les familles et l’économie. »

PME agricole: un espoir?

A Gyumri, deuxième ville du pays, un responsable de Caritas souligne que parmi les travailleurs qui rentrent, ceux qui ont un projet de PME agricole ont plus souvent du succès.

Une observation que nuance Ilona Ter-Minasyan, responsable du bureau arménien de l’Organisation mondiale pour les migrations (OIM). « Ils se lancent volontiers dans l’agriculture parce qu’ils n’ont pas besoin de payer d’impôt. Mais ils n’ont pas toujours les connaissances nécessaires et leur projet ne réussit pas nécessairement. »

Population surestimée

Difficile de savoir si l’agriculture – 20% du PIB national – connaît un recul marqué en raison du départ des hommes dans les régions rurales. Voire si elle est en péril.

Chercheuse spécialisée en migration à l’université d’Etat d’Erevan, Alina Pogoshyan relève que dans certains villages, l’agriculture est délaissée. « Les gens ne gardent que des petits jardins. »

Globalement, l’Arménie a une population qui diminue, en raison de l’émigration, mais aussi d’un faible taux de natalité. Officiellement, le pays compte 3,1 millions d’habitants. Mais des sources concordantes, dont des organisations internationales, estiment que le nombre réel est plus proche de 2,5 millions, voire inférieur.

La même précarisation que les saisonniers de Suisse

Le sort des saisonniers arméniens du 21ème siècle n’est pas sans rappeler celui des hommes qui faisaient tourner les chantiers suisses à partir des années 1950. Cette migration-là était, elle aussi essentiellement masculine, caractérisée par une précarisation des conditions de travail et une séparation des familles.

« Les saisonniers des pays méditerranéens en Suisse étaient aussi en majorité des hommes seuls », commente Saffia Elisa Shaukat, doctorante en histoire contemporaine à l’Université de Lausanne et La Tuscia (I). Les lois suisses ne leur permettaient pas le regroupement familial.

Ces hommes vivaient alors souvent sur le lieu de travail, comme leurs homologues arméniens aujourd’hui en Russie. Ce qui leur permettait de mettre plus d’argent de côté et de l’envoyer au pays.

Pas de plans à long terme

Ces fonds servaient d’abord aux besoins quotidiens de la famille. Au-delà, la priorité absolue était de construire une maison. L’acquisition de biens de consommation était moins importante. Mais ceci est peut-être lié à une époque, où les objets considérés comme « indispensables » étaient moins nombreux, explique Mme Shaukat.

Ce qui frappe le plus la chercheuse tessinoise, c’est l’absence de perspective à long terme dans les deux situations. « Le fait de ne pas pouvoir organiser une vie sur le long terme », l’attente, d’une année à l’autre, de savoir ce qui va se passer, l’illégalité parfois, tout cela est le lot commun de ces travailleurs saisonniers, selon Mme Shaukat.

Antoinette Prince

Depuis cinq ans, Antoinette Prince travaille à l’Agence télégraphique suisse (ATS) à la rubrique internationale et online. Elle participe aussi à la rédaction de L’Accent multilatéral, une publication de la Direction du développement et de la coopération (DDC) et du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). Après des études de pédagogie curative et une première quinzaine d’années dans l’enseignement spécialisé, elle a décidé de bifurquer vers le journalisme, son vieux rêve. Elle s’est formée comme journaliste RP dans des rédactions régionales et à la rubrique suisse de l’ATS. Aujourd’hui, elle satisfait ses envies d’ailleurs et sa curiosité par des voyages et son goût pour les langues.

Babken Tunyan

I was born in 1980, Yerevan, Armenia. In 2001 I graduated from the Yerevan State University (faculty of Economics) with bachelor’s degree. In 2003 I got masters degree in Economics at the same University. In 2003 I went to Russian-Armenian University to defend my PhD, but unfortunately there was no enough time to combine work and study, so I stopped the educational process. Instead, while working I had a lot of opportunities of trainings and lectures in Armenia and in other contries (United Kingdom, United States of America, France). The most significant course was in London. I was choosen by the Hansard Scholars program and studied public policy 3 months at the London School of Economics. As for work experience, I started to work quite early, in my second year of study. In 1999 I started to work at the Armenian Red cross society as assitant of the head of Migration department. Then I worked for the NGO of producers and exporters of natural active substances (assistant of the president), in TV5 channel. I came to 168 Hours newspaper in 2005 and still work there. I work as economic observer, but often cover also political, foreign and social issues. Since 2012, when our website was renewed, I was apoointed editor of the economic sector of the online version. I want to mention, that for a short period (2007-2009) I was the chief editor of the “3 Million” magazine, which was a part of 168 Hours LLC.

Antoinette Prince

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