LE REPORTAGE DE BASILE WEBER EN CÔTE D’IVOIRE
Quels effets a le réchauffement climatique sur la culture cacaotière ? Le spécialiste ivoirien Cédric Lombardo donne son éclairage.
Quels sont les effets du changement climatique en Côte d’Ivoire ?
Les changements climatiques sont une réalité depuis 50 ans en Côte d’Ivoire. Ça fait un demi-siècle qu’on est dans le pétrin! Il y a un déficit pluviométrique mais il est difficile de savoir comment ça va évoluer. Il y a notamment la désertification et l’érosion du littoral… Nous avons tous les défis à relever! Les changements sont violents lorsqu’on se trouve proche de l’Equateur, beaucoup moins lorsqu’on s’en éloigne. Il faut s’y adapter localement. Il n’y a pas encore de mesures concrètes face au changement climatique. Il manque des analyses de vulnérabilité et des plans d’adaptation au réchauffement climatique. Une recherche scientifique de pointe est nécessaire.
Quel pourrait être son impact sur la culture du cacao ?
Avec ce réchauffement, on risque de perdre 70% de surface cultivable d’ici 2050 en Côte d’Ivoire. On risque de ne plus pouvoir cultiver le cacao. A cause de la pluviométrie, on est condamné à aller vers l’ouest. Mais si c’est aussi déforesté au Liberia, il n’y aura plus de pluie!
Le cacao ivoirien est cultivé dans trois boucles, à l’est, – la plus ancienne – au centre et à l’ouest. Il s’agit originellement d’un arbre de sous-bois qui pousse à l’ombre de la canopé. Avec la déforestation, ce n’est souvent plus le cas…
Le vieillissement des vergers semble être un problème majeur.
C’est une préoccupation urgente. Il faut les régénérer car ils sont trop vieux. 70% des cacaoyers ivoiriens ont plus de 16 ans, âge où l’arbre atteint un pic de production: avec l’âge, le cacaoyer est moins performant. C’est vrai pour tout! Donc la productivité va baisser. Il faut régénérer ça à grande vitesse. Avec 1,7 million d’hectares, ça représente 2,6 milliards d’arbres à changer dont 800 millions qui devraient l’être rapidement!
La Côte d’Ivoire reste numéro 1 mondial du cacao…
Oui, pour le moment! Le marché mondial est en hausse mais la production ivoirienne stagne depuis quinze ans. Nous avons un immense potentiel d’amélioration. Avec de bonnes mesures, on peut la multiplier par deux en dix ans. Selon les projections du FMI (réd: Fonds monétaire international), les revenus du cacao ivoirien vont reculer de 3,4 milliards de francs en 2010 à 2,4 milliards en 2017. Dans le même temps, le pétrole va rapporter un milliard de plus par an et supplantera le cacao. Barry Callebaut (réd: multinationale suisse numéro un mondial du chocolat) cherche une nouvelle Côte d’Ivoire. Ils plantent au Vietnam et en Indonésie. En Côte d’Ivoire, le café a déjà été passablement délaissé pour l’hévéa et le palmier à huile. Ça paie mieux et ça pousse plus facilement.
Comment jugez-vous la libéralisation du marché du cacao ivoirien ?
C’est un échec avec un prix payé au producteur en baisse: un kilo de cacao rapportant environ 700 francs CFA au planteur (1,25 francs). On a arrêté l’accompagnement du planteur. On l’a tué! Des producteurs ivoiriens sont allés vendre illégalement leur cacao au Ghana voisin afin d’obtenir un prix décent, le secteur y étant contrôlé par l’Etat avec un prix minimum.
Quelles pistes préconisez-vous ?
Il faut améliorer la qualité du cacao et développer des produits fins. C’est mon rêve! Le cacao de haute qualité ne représente que 20% de la production ivoirienne actuelle. Depuis 2004, la qualité du cacao ivoirien baisse. Sans prime à la qualité, les producteurs n’ont aucune raison de faire mieux: vous me payez la merde que je produis! Il faudrait un nouveau modèle de plantation multibusiness avec maïs, cacao, arbres fruitiers, bananiers, bois… On augmente ainsi la diversité dans la plantation et on diminue les risques. Il faut une amélioration des revenus des producteurs et des pratiques agricoles.
Et si l’OMC autorisait l’utilisation d’arômes de synthèse pour le chocolat ?
Si l’interdiction des arômes de synthèse saute, on tue le cacao! C’est le rêve des gros producteurs. On pourrait alors utiliser l’huile de palme avec des arômes artificiels…
COMPLÉMENT D’ARTICLE :
Une déforestation catastrophique
Cédric Lombardo présente la carte des forêts ivoiriennes entre 1900 et aujourd’hui. Le vert qui recouvrait l’ensemble du territoire a quasi disparu. «C’est une catastrophe! Nous sommes passés de 16 millions d’hectares de forêt à 2,5 millions selon les chiffres officiels, soit la même surface que le cacao. En réalité, jusqu’à 80% de cette forêt est détruite et même les parcs naturels sont touchés: 30% de la surface subit des attaques.»
Le spécialiste ivoirien dénonce «un modèle non-durable de développement qui se base sur la destruction de l’environnement».
Selon lui, la déforestation ivoirienne est un accélérateur du changement climatique ouest-africain. Le couvert forestier joue en effet un rôle essentiel de tampon thermique.
Sur les 2,5 millions d’hectares de cultures de cacao en Côte d’Ivoire, «80% issues de la déforestation et environ 65% des plantations de cacao sont sans ombrage d’autres plantes», détaille Cédric Lombardo. Corollaire? Une hausse de l’absorption en eau et nutriments dans le sol et un vieillissement plus rapide des cacaoyers
Pénurie de chocolat ?
Au mois de juin, l’Alliance des pays producteurs de cacao (Copal), réunie à Abidjan, a tiré la sonnette d’alarme: la baisse de la production due notamment au changement climatique menace la filière chocolatière. En 2012, la production mondiale devrait s’élever à 4 millions de tonnes, soit une baisse de 7% par rapport à 2011, selon l’Organisation internationale du cacao. Le déclin de la Côte d’Ivoire en serait la cause première. Selon le géant chocolatier Barry Callebaut, basé à Zurich, un million de tonnes de cacao pourrait manquer dans huit ans.
Afin d’améliorer le rendement et la qualité de vie dans les plantations, la multinationale a investi 40 millions de francs en mars. Le secrétaire général du Copal, Naga Coulibaly, estime que la pérennité de la cacaoculture «est menacée par de nombreuses contraintes», notamment «le vieillissement de nos vergers de cacaoyers, les effets du changement climatique, la forte pression parasitaire et le sous-financement de la recherche. S’il n’y a pas une réaction rigoureuse aux menaces, il va sans dire que dans 50 ans ou un siècle on ne pourra plus avoir de cacao.» Il plaide pour une «aide financière accrue à la recherche des chocolatiers et gouvernements des pays producteurs ». La baisse du cours du cacao est aussi en cause: de nombreux producteurs se tournent vers l’hévéa ou le palmier à huile, qui rapportent davantage…